Diamants, mercenaires et triple assassinat de journalistes

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Trois journalistes russes ont été assassinés en République centrale africaine alors qu’ils s’apprêtaient à tourner un film documentaire sur la compagnie militaire privée « Wagner » de Eugène Prigojin appelé le « Cuisinier de Poutine ». Ses mercenaires « protègent » les mines de diamants en Centrafrique.
Le 30 juillet, le journaliste russe Orhan Djemal, le régisseur Alexandre Rastorguev et le cameraman Kirill Radchenko ont été assassinés en République centrafricaine. Orhan Djemal était un journaliste russe, correspondant de guerre. Il avait effectué des reportages dans les points les plus chauds du globe, du Caucase en passant par le Donbass, la Libye et la Syrie. Sa dernière mission en Centrafrique lui a été fatale. Orhan critiquait le Kremlin. Il désignait le « monde russe » responsable de la répression des Tatars de Crimée. En Russie, des centaines de journalistes ont été assassinés ces dernières années. Orhan Djemal et ses deux collègues ont été tués en Centrafrique où ils avaient été dépêchés par le fond d’investigation de l’opposant russe en exil, Mikhail Khodorkovski. Ils sont arrivés à Bangui le samedi 28 juillet. Le 30, ils ont été assassinés dans une embuscade qui leur a été tendue sur une route au nord de Bangui.
Leur documentaire devait élucider le rôle des mercenaires de la société militaire privée « Wagner » dont le propriétaire est Eugène Prigojin, un repris de justice qui est devenu cuisinier de Poutine et milliardaire. Ses activités de restaurateur se sont étendues à la fabrique de trolls sur internet et à la militarisation. Il a créé l’armée privée de mercenaires « Wagner ». Chacun sait que le véritable chef de cette troupe de soldats de fortune est Poutine lui-même. Cette activité prospère en Russie aujourd’hui, bien qu’elle soit interdite par la législation russe. Le salaire des soudards varie de 160.000 roubles à 400.000 roubles. Une aubaine lorsque le salaire moyen est de 25.000 roubles en province.
Les pertes militaires ou paramilitaires en temps de paix sont classées secrets d’État en Russie. Le rapatriement des corps et les enterrements se font en catimini. Il fut tout de même difficile de camoufler l’hécatombe survenue le 7 février 2018 en Syrie. Des mercenaires de la société « Wagner » ont été mitraillés par l’armée américaine alors qu’ils tentaient de s’emparer d’un site pétrolier kurde sur la rive gauche de l’Euphrate. La mission de « Wagner » est d’assurer en Syrie la protection des gisements pétroliers pour le compte de leur propriétaire et non de saisir le bien d’autrui. Ayant décelé l’attaque, les militaires américains ont appelé leurs homologues russes qui leur ont répondu : « Les nôtres ne sont pas là ». Il s’agit de la phrase laconique qui permet de se débarrasser de sa responsabilité en toutes occasions. L’artillerie et l’aviation américaines ont donc copieusement mitraillé et bombardé les attaquants. On a compté les victimes par dizaines, par centaines selon certains. Cette hécatombe a mis à jour les activités de « Wagner » qui agissait depuis longtemps au Donbass tout d’abord et en Syrie ensuite. Cependant, la déroute syrienne n’a pas découragé « Wagner » de s’engager dans des activités militaires risquées dans d’autres pays du tiers monde.
Les activités « Wagner » se sont étendues au Soudan, puis en Centrafrique. En 2013, l’ONU avait imposé un embargo sur la livraison d’armes en République centrafricaine. Mais la Russie est parvenue à obtenir une dérogation. En avril 2018, des images ont montré des hommes de type européen en uniforme militaire observant l’entraînement de militaires africains. Sur les photos apparaissent des camions russes récents de marque Oural. Les approvisionnements en matériel militaire en Afrique s’effectuent depuis la base russe de Hmeimim  en Syrie. Le pont aérien atteint Khartoum, puis Bangui en République centrafricaine. La presse occidentale a rapporté une activité croissante russe dans ce dernier pays.  En février 2018,  un lot d’armes légères, capables d’équiper 1.300 personnes, et des munitions ont été livrées. 170 instructeurs russes civils ont été envoyés pour former des militaires centrafricains.
L’automne dernier, des citoyens russes ont enregistré en Centrafrique une société de sécurité « Sewa Security Services » et une société minière « Lobaye Invest ». La première serait une couverture de la société militaire privée « Wagner » d’Eugène Prigojin. La deuxième est liée à Eugène Khodotov, vétéran des forces de sécurité de Saint-Pétersbourg et propriétaire de la compagnie « M-Finans » spécialisée dans l’exploitation des pierres précieuses.
En Centrafrique, il y a des mines d’or et de diamants. Le territoire de la RCA est divisé entre islamistes et forces gouvernementales. Une guerre « de tous contre tous » ensanglante le pays. Le conflit s’est transformé en un massacre interconfessionnel. Les militants du groupe musulman « Seleka » et la milice chrétienne d’autodéfense « Anti-balaka » terrorisent les civils. Chacun exploite les gisements qu’il contrôle et s’adonne à la contrebande des pierres précieuses. Des chasseurs russes de diamants établissent des contacts sous couverture diplomatique pour faire des affaires avec tous les camps.
Des experts militaires russes parcourent la Centrafrique à bord d’un avion Cessna 182. L’appareil est enregistré à l’aéro-club Nevsky en Russie. Cet avion atterrit régulièrement aux abords des mines de diamants. Les experts russes participent à des réunions avec les dirigeants de divers groupes armés, dont du Front populaire pour la Renaissance de la Centrafrique, émanation du groupe islamiste Seleka. Les Russes ont su s’entendre avec eux.  L’agence de presse centrafricaine « Corbeau News Centrafrique » avait rapporté qu’en avril 2018 les habitants de Kaga-Bandoro avaient bloqué un Cessna avec quatre « experts militaires » russes à son bord. On sait que Orhan Djemal et son groupe ont pris la direction de la destination du village de Kaga-Bandoro. Selon toute vraisemblance, Orhan Djemal avait l’intention d’interroger les habitants afin de connaître les raisons de leur action. Il n’arrivera pas à destination.
Le 30 juillet dernier, des guérilleros de Seleka ont tendu une embuscade et assassiné Orhan Djemal et ses deux collègues. Ils n’ont pas abattu leur chauffeur. On soupçonne une complicité de sa part.  Les trois journalistes portaient sur eux 8.500 $ en liquide. Les agresseurs ont saisi cette somme, ainsi que les appareils de tournage. Ce seul vol n’explique pas ce triple assassinat qui semble être un avertissement à tous ceux qui voudraient élucider les activités de la société « Wagner » et ses liens avec les diamants en Centrafrique. Dans ses reportages sur l’assassinat des trois journalistes russes en Centrafrique, les chaînes de télévision russes n’ont pas fait état de la société privée militaire « Wagner ».
Orhan Djemal, Alexander Rastorguev et Kirill Radchenko sont morts pour avoir voulu rechercher la vérité et pour nous informer. Rendons leur hommage !
Médiapart

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