En Centrafrique, une présence armée russe de plus en plus marquée

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A la faveur d’un accord militaire conclu entre Moscou et Bangui en décembre 2017, la Russie est devenue un nouvel acteur sécuritaire en Centrafrique. Le 30 juillet, trois journalistes russes y ont été tués.
On aurait pu en apprendre un peu plus sur les activités de la société militaire privée russe Wagner en Centrafrique, si trois journalistes russes qui enquêtaient sur cette entreprise controversée proche de Vladimir Poutine n’avaient pas été assassinés, lundi 30 juillet.
Kirill Radtchenko, Alexandre Rastorgouïev et Orkhan Djemal, très connus dans leur pays, ont été tués par neuf “ravisseurs enturbannés” ne s’exprimant ni en français ni en sango – la langue principale du pays – dans la ville de Sibut, à 300 km au nord de la capitale centrafricaine Bangui, où est déployé un bataillon militaire centrafricain entraîné par la Russie.
La société militaire privée Wagner, ayant participé à la guerre du Donbass en Ukraine et au conflit syrien,  aide en Centrafrique l’armée mal en point à mieux se structurer pour reprendre le contrôle des territoires encore occupées par des groupes issus de l’ex-rébellion Séléka, de confession musulmane, et des milices anti-balaka, d’obédience chrétienne.
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Déployés  « à la demande du président de ce pays […], les spécialistes militaires russes ne participent pas aux combats, ils ne s’occupent que de la formation », a clarifié vendredi 3 août, la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova, en réponse à des rumeurs distillées dans la presse locale, faisant état de l’implication des mercenaires russes dans des combats armés entre milices.
Près de 175 instructeurs dont cinq militaires, principalement employés par des entités privées russes ont été dépêchés pour former deux bataillons des Forces armées de la Centrafrique (Farca). Mais les Russes ne forment pas que les militaires de l’armée centrafricaine. Une quarantaine d’entre eux sont aussi présents dans la garde rapprochée du président Faustin-Archange Touadéra, dont la protection était assurée jusque-là par des casques bleus rwandais. “Du point de vue de l’opinion publique, les Russes sont proches de la présidence mais aussi de la milice Séléka avec qui, ils entretiennent des relations’’, analyse Roland Marchal, spécialiste de la Centrafrique et chargé de recherche au CNRS.
Levée de l’embargo sur les armes
En septembre 2017, la France, présente depuis le début du conflit en Centrafrique à travers l’opération Sangaris (2013-2016), propose de redonner des armes confisquées au large de la Somalie par la marine française en mars 2016, à l’armée centrafricaine déjà formée par une mission de l’Union européenne, mais démunie. La Russie oppose son droit de veto au Conseil de sécurité invoquant la résolution 2127 de décembre 2013 qui interdit toute livraison ou tout financement d’armes à la Centrafrique. “Mais les Français ont incité le président Touadéra à négocier avec les autorités russes pour qu’ils puissent lever leur veto’’, rappelle Roland Marchal.
Grâce à l’entregent de Firmin Ngrebada, directeur de cabinet du président centrafricain, une rencontre s’organise en octobre 2017 à Sotchi entre Faustin-Archange Touadéra et le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Plus qu’une simple levée de veto, c’est un accord militaire qui est signé. Il est approuvé en décembre 2017 par le Conseil de sécurité qui lève exceptionnellement l’embargo sur la livraison des armes à destination de la Centrafrique.
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Entre janvier et février 2018, la Russie équipe selon l’AFP, 1 300 soldats centrafricains, avec notamment 900 pistolets Makarov, 5 200 fusils d’assaut AKM, 140 armes de précision, 840 Kalachnikov, 270 lance-roquettes RPG et 20 armes anti-aériennes. Ces soldats peuvent désormais appuyer les casques bleus de la Mission multidimensionnelle des Nations Unies pour la Centrafrique (Minusca) qui sont déployés dans le pays depuis 2014.  La Russie se propose aussi de former l’armée sur le maniement de ces armes. La formation est assurée par d’anciens soldats ou d’anciennes forces spéciales russes déployés par des compagnies de sécurité privées.
Des tentatives de médiation infructueuses
Une fois sur le terrain, la Russie entreprend des négociations avec les troupes rebelles ex-Séléka et tente d’organiser, début juillet, une rencontre entre le gouvernement centrafricain et des groupes armés dans la capitale soudanaise Khartoum. Une volonté du Kremlin d’accroître son influence diplomatique. Sans succès. “Les Russes auraient quand même dû être un peu plus au courant de la situation politique centrafricaine et de la situation diplomatique. Se précipiter dans une médiation avec les mouvements armés, c’est oublier qu’une médiation est organisée à l’heure actuelle par l’Union africaine », souligne Roland Marchal, le spécialiste de la Centrafrique.
Depuis juillet 2017, un panel de facilitateurs de l’Union africaine rencontre tour à tour autorités et groupes armés centrafricains pour recueillir leurs revendications et poursuivre les discussions des modalités de paix. Les premières tentatives de médiation – l’accord de Sant’Egidio, le forum de Bangui en mai 2015, le forum de Brazzaville en juillet 2014 – ayant toutes échoué. La faute à un manque de pragmatisme du président Faustin-Archange Touadéra ? “Il a mis en concurrence toutes les possibilités de médiation qui étaient présentes de façon à ne rien choisir en choisissant tout le monde. Cela corrobore le sentiment d’une bonne partie de la classe politique centrafricaine selon laquelle le président n’est absolument pas intéressé par une véritable négociation. Il est surtout intéressé par une victoire à la prochaine élection présidentielle en 2021. »
Des inquiétudes sur la présence russe
Si officiellement l’accord militaire avec la Russie vise à renforcer l’armée en grande difficulté dans un pays où la majeure partie du territoire est contrôlée par des groupes armés, Moscou lorgne aussi sur les richesses sous-exploitées du pays telles que les diamants, l’or, l’uranium et le bois.
En effet, dans la foulée de la signature de l’accord militaire, des concessions minières ont été aussi octroyées. Notamment à Lobaye invest, une société minière russe spécialisée dans l’extraction de pierres précieuses. Cette dernière fait garder ses sites de prospection par Sewa Security Services, une compagnie russe de sécurité privée qui curieusement emploie aussi des instructeurs russes de l’armée.
“Il y a de sérieuses inquiétudes de la part des observateurs sur le but ultime de la présence russe. Ils sont à la fois dans une démarche de formation des Faca mais négocient aussi des accords économiques. Cela renforce simplement le fait que la crise centrafricaine ne semble pas avoir de solutions pour l’instant”, conclut Roland Marchal.
France 24

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