Centrafrique : il y a 17 ans le général Bozizé renversait le président Patassé

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Putsch fatal à Patassé en Centrafrique

Par Christophe Ayad — 

Les rebelles du général Bozizé ont pris Bangui sans combat.

Et à la sixième tentative, Patassé est finalement tombé. Le président de la République centrafricaine, Ange-Félix Patassé, a été renversé, samedi, dans un coup d’Etat fomenté par son ancien chef d’état-major, le général François Bozizé, en exil à Paris jusqu’à ces derniers jours. Difficile de dire aujourd’hui si ce nouveau coup de force va encore un peu plus pousser vers l’abîme un pays qui pourrait fort bien incarner le «coeur des ténèbres», selon Conrad, ou si, au contraire, il va permettre un sursaut. Car, si les coups d’Etat ne sont jamais de bonnes nouvelles, en Afrique comme ailleurs, la destitution de Patassé, bien que «légitimement élu», en est assurément une.

Aucune résistance. La population et même l’armée centrafricaines étaient tellement lasses des excès et des turpitudes d’AFP (le surnom de Patassé) qu’elles n’ont opposé aucune résistance à l’entrée des rebelles par le nord de la capitale, samedi. Dès hier matin, les insurgés contrôlaient tous les points stratégiques de Bangui : le palais présidentiel, l’aéroport, la radiotélévision, les grands axes et les rives du fleuve Oubangui, qui sépare le Centrafrique du Congo-Kinshasa. Ils avaient profité, samedi, de l’absence du Président, qui se trouvait à Niamey (Niger), où il assistait à un sommet de chefs d’Etat de la région, pour attaquer la ville. Samedi après-midi, l’avion présidentiel, qui a essuyé des tirs lors de son approche de l’aéroport de Bangui, a été dérouté vers Yaoundé, au Cameroun.

Malgré une nuit de pillage, aucun combat n’était signalé, hier, à Bangui. Les forces loyalistes, et même la garde présidentielle, se sont évanouies dans la nature dès l’arrivée des rebelles, quand elles ne les ont pas ralliés. Quant à la population, elle est descendue dans les rues pour mettre à sac les résidences des dignitaires du régime, à commencer par celles de Patassé et du Premier ministre, Martin Ziguélé. Des habitations de ressortissants français, des commerces et des entreprises ont également été pillés par une noria de civils, selon des témoignages cités par l’AFP et RFI.

Lors de sa première intervention à la radio nationale, le porte-parole de la rébellion, Parfait Mbaye, a remercié la population de Bangui au nom du «président Bozizé» et lui a demandé de «garder son calme» et de «cesser les pillages». «Nous suspendons d’ores et déjà la Constitution et annonçons la dissolution de l’Assemblée nationale et du gouvernement», a déclaré, plus tard dans la soirée, le général Bozizé, dans une allocution radiodiffusée à la nation, en évoquant une période de «transition». Reste à savoir si, après «cette interruption du processus démocratique en Centrafrique (…), nécessaire pour remettre les choses à plat et repartir», le «président» autoproclamé ne sera pas tenté de rester au pouvoir et d’oublier ses amis de la Coordination des forces patriotiques centrafricaines, qui le soutient et qui représente la quasi-totalité de l’opposition.

Ange-Félix Patassé, un universitaire qui a été ministre puis opposant de Bokassa, a été élu une première fois, en 1993, et réélu pour six ans, en 1999. Volontiers grandiloquent, il s’est toujours maintenu au pouvoir grâce à des forces étrangères, voire des mercenaires comme le commandant Paul Barril, dont des hommes sont présents à Bangui.

Milice du régime. En 1996-1997, l’armée française était venue à bout de trois mutineries qui avaient rapidement pris l’allure d’insurrections politico-ethniques. Ecoeurée de jouer un rôle de milice du régime, l’armée française profite d’une vaste réforme de sa présence en Afrique pour fermer ses bases de Bangui et de Bouar. A partir de 2001, Patassé s’est tourné vers la Libye du colonel Kadhafi.

Le président centrafricain est, en effet, de plus en plus contesté par l’opposition et les syndicats pour sa gestion clanique et calamiteuse, provoquant une quasi-banqueroute de l’Etat et des retards de paiement des fonctionnaires allant jusqu’à plusieurs dizaines de mois. Une centaine de soldats libyens ont sauvé Patassé une première fois, le 28 mai 2001, lorsque sa résidence était attaquée à l’arme lourde par des partisans d’ethnie yacoma de l’ex-président André Kolingba. La répression, menée notamment par le Mouvement de libération du Congo (MLC) du chef rebelle Jean-Pierre Bemba, est féroce. En octobre dernier, c’est au tour de Bozizé, réfugié au Tchad après son limogeage, de tenter un coup de force, une fois de plus repoussé par les Libyens et le MLC. Les combats sont acharnés et la répression, notamment contre les immigrés tchadiens et les populations arabo-centrafricaines, accusés de collusion, est telle qu’elle provoque une plainte de la Fédération internationale des droits de l’homme devant la toute nouvelle Cour pénale internationale.

Force régionale. Face à la montée des critiques sur son rôle en Centrafrique, Kadhafi ordonnait le départ de son contingent, fin décembre. Patassé, qui sait que les miliciens congolais de Bemba ne font pas le poids, en appelle à la France, après l’avoir accusée de tous les maux. Mais Paris ne veut rien entendre, d’autant qu’une petite force régionale, envoyée par la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac), est chargée d’assurer la protection du président centrafricain. Dans les faits, la centaine de soldats gabonais de la Cemac n’ont pas levé le petit doigt.

Le Centrafrique est devenu, ces dernières années, un vaste terrain de jeu d’influences. L’implication libyenne a entraîné une ingérence du Tchad, dont l’engagement aux côtés de Bozizé ne fait aucun doute, dans le cadre du conflit larvé opposant Tripoli à N’Djamena. Quant aux miliciens de Bemba, ils avaient été envoyés en Centrafrique pour «sécuriser» leur base arrière, par laquelle transitent bon nombre de trafics (or, diamants, essence, armes). Paris, qui a condamné «toute tentative armée de renverser un chef d’Etat légitimement élu», ne peut, une fois de plus, que constater les dégâts dans une autre de ses ex-colonies. Mais contrairement à la Côte-d’Ivoire, il n’est pas question d’intervenir en Centrafrique : il est vrai que Bangui n’a jamais été un «joyau» du pré carré français et que cela fait longtemps qu’il n’y a plus rien à sauver.

Christophe Ayad

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