Le combat du prêtre Aurelio Gazzera contre les mines d’or chinoises en Centrafrique

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A Bozoum, dans le nord-ouest du pays, le père Aurelio Gazzera dénonce une exploitation « sauvage » nocive pour l’environnement et la santé.

 

Un site aurifère dans la région de Bozoum, en Centrafrique.
Un site aurifère dans la région de Bozoum, en Centrafrique. Aurelio Gazzera

Installé depuis plus d’un quart de siècle en Centrafrique, dont une quinzaine d’années à Bozoum (nord-ouest), le père Aurelio Gazzera est bien souvent la première voix – et la seule – à s’élever pour dénoncer le sort réservé à ses ouailles. Apparition d’une nouvelle rébellion, exaction d’une bande armée, déplacement forcé de population… Le longiligne missionnaire italien a été le témoin de tous les maux centrafricains.

Depuis mars, il s’est engagé dans un nouveau combat. Inspiré par la parole du pape François, pour qui « l’activité minière devrait être au service de la personne humaine et non le contraire », le religieux dénonce l’implantation de mines d’or « sauvages », ouvertes par des sociétés chinoises autour de Bozoum. « Il n’est pas question d’empêcher le développement industriel de la région, mais il faut que cela profite à la population et que l’environnement ne soit pas totalement dégradé », insiste-t-il.

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Depuis décembre 2018, une dizaine de sites ont émergé sur les rives de l’Ouham. La rivière a été déviée en plusieurs endroits pour faciliter l’exploitation. La pollution de l’eau serait constatée sur des centaines de kilomètres. Une partie de la forêt a été dévastée. Des chantiers ont été abandonnés sans remise en état, « laissant des trous pleins d’eau dans lesquels plusieurs personnes ont trouvé la mort ». Des dizaines d’excavateurs et de camions-citernes ont été mobilisées.

Fausses couches et mortalité infantile

Selon le père Gazzera, des soldats centrafricains sont « payés entre 10 000 et 15 000 francs CFA par jour » (entre 15 et 23 euros) pour protéger les sites jusqu’à la nuit tombée. L’obscurité sert alors de refuge aux creuseurs clandestins prêts à se délester de quelques billets auprès des forces de l’ordre contre un droit d’entrée sur les chantiers. « C’est un peu drôle qu’un Etat qui se plaint de ne pas avoir des forces armées pour protéger la population civile trouve les hommes pour le faire pour une entreprise privée », note le curé, qui soupçonne l’entreprise chinoise de ne payer « rien ou presque à l’Etat » et d’évacuer discrètement l’or extrait via le Cameroun voisin.

Plus grave : une augmentation des cas de fausses couches et de mortalité infantile, ainsi qu’une multiplication des décès dans les villages de pêcheurs, seraient également notées. Alerté, le ministre des mines et de la géologie avait, le 25 mars, suspendu « jusqu’à nouvel ordre » les activités des sociétés chinoises Tian Xiang, Tian Roun, Meng et SMC Mao (toutes gérées par une même entité), notamment pour « manquement aux obligations relatives à la protection de l’environnement ». La sanction n’a pas duré un mois.

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Puis, le 27 avril, Aurelio Gazzera est embarqué par les forces de l’ordre alors qu’il filme et photographie un chantier sur les bords de l’Ouham. Du fait de la mobilisation d’une partie des habitants et de la colère grandissante contre l’entreprise chinoise et les autorités locales, la détention à la brigade minière locale – un don des Chinois – ne s’est pas prolongée.

Deux jours plus tard, l’agitation de Bozoum a en revanche résonné à Bangui. Devant l’Assemblée nationale, le premier ministre, Firmin Ngrébada, accuse ouvertement le curé. « Ce prêtre, il est en concurrence avec les Chinois qui opèrent dans la zone. Nous avons autorisé les Chinois à exploiter l’or à Bozoum pour booster l’économie. Mais lui, il monte la population contre ces opérateurs économiques chinois, assure-t-il aux députés. Il dit à la population que l’exploitation a de l’impact sur l’environnement. Nous avons envoyé des experts dans la région, qui ont infirmé ces allégations. Le prêtre prêche la contre-vérité dans l’église. Est-ce cela l’évangile ? »

Mission d’enquête parlementaire

Le religieux catholique et le premier ministre se sont finalement rencontrés à Bangui, le 8 mai. Le père s’est offusqué qu’on puisse le soupçonner d’avoir acheté la moindre once d’or. Le responsable politique a souri, puis accusé Aurelio Gazzera d’avoir troublé l’ordre public et prévenu du risque de « manipulation et d’appropriation politique ».

Quatre ministres ont cependant été dépêchés sur place, le 2 juin, pour s’enquérir de la situation. Arrivés à 13 heures à la mairie de Bozoum, ils en sont repartis une heure plus tard. Le temps d’entendre quelques brèves doléances sur la détérioration de l’environnement et l’absence de bénéfice pour les riverains.

Depuis décembre 2018, une dizaine de sites aurifères ont émergé sur les rives de l’Ouham, ici en juin 2018 (à gauche) et en juin 2019.
Depuis décembre 2018, une dizaine de sites aurifères ont émergé sur les rives de l’Ouham, ici en juin 2018 (à gauche) et en juin 2019. DR

Cette équipe a été suivie d’une autre, moins arrangeante semble-t-il. Entre le 6 et le 10 juin, une mission d’enquête parlementaire s’est rendue dans la région. Celle-ci a recommandé « d’arrêter sans délai les travaux », après avoir constaté que « l’exploitation de l’or par les entreprises chinoises à Bozoum n’est pas rentable pour l’Etat et préjudiciable pour la population et pour l’environnement. […] Et le fait de ne rien faire est apparenté à un bradage de nos ressources, avec la complicité de certains responsables du ministère des mines ».

Le rapport des députés mentionne également que « de sources concordantes, il est fait état de l’existence d’une unité de transformation de l’or en lingots à l’insu des autorités ». Selon ce document, le cahier d’exploitation présente une production de 400 grammes à 1 kg par site et par mois. Une situation qui « semble inacceptable au regard des dépenses ». Le directeur régional des mines, des ingénieurs géologues stagiaires en service sur les sites et le chef de la brigade des mines de Bozoum sont pointés comme « complices des pratiques frauduleuses des sociétés chinoises ».

Des taux de mercure anormalement élevés

Contactée par Le Monde Afrique, Zhao Baome, qui dirige les quatre sociétés chinoises, jure de son innocence et égraine, photos à l’appui, la liste de ses bienfaits pour les habitants de la région : un hôpital, une école, une tribune pour le défilé de la fête de l’indépendance, un pont de 48 mètres, des puits, six bœufs, des vêtements, des cahiers, des sacs à dos… La tribune officielle est bien sortie de terre, mais l’école et le dispensaire sont encore au stade de promesses. « Tout le monde est content grâce à nous ! 500 personnes ont signé une pétition pour nous. J’ai donné beaucoup d’argent pour la Centrafrique. C’est seulement le prêtre qui est contre nous », dit-elle, accusant le curé de Bozoum d’être à la tête d’un réseau de vente clandestine d’or.

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Zhao Baome dément par ailleurs toute utilisation de mercure sur ses chantiers. Des prélèvements d’eau, traités par le laboratoire d’hydrosciences Lavoisier à Bangui, indiquent pourtant que sur quatre sites, « le mercure se trouve à des concentrations variant entre 4,2 et 26 µg/litre », quand la norme se situe à 1 µg/litre. Le rapport des scientifiques précise par ailleurs qu’« il convient de noter que la présence de mercure n’était pas détectée en amont du site d’exploitation minière. Donc cette pollution en métaux lourds très toxiques proviendrait des sites d’exploitation ».

Alors que les mines sont actuellement à l’arrêt du fait de la saison des pluies, l’enquête des députés doit être présentée en session plénière à l’Assemblée nationale après la reprise parlementaire, le 1er octobre. Contacté par Le Monde Afrique, le ministre centrafricain des mines n’a pas donné suite à nos appels.

Source : Le Monde Afrique

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