Centrafrique : La sourde ascension de Dimitri Sytyi, nouveau patron de Wagner à Bangui

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Centrafrique : La sourde ascension de Dimitri Sytyi, nouveau patron de Wagner à Bangui

À 35 ans, le chef des activités civiles de l’organisation paramilitaire russe, qui a survécu à la mort de son fondateur, Evgueni Prigojine, a étendu son aire d’influence. Il est passé des secteurs de la diplomatie culturelle et de la propagande aux domaines économique et sécuritaire.

Publié le 23.05.2024 à 4h40 GMT
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Officiellement directeur du centre culturel russe et chef de l’ombre de la branche civile de la nébuleuse Wagner en Centrafrique, le jeune Dimitri Sytyi se met volontiers en scène dans une posture martiale. Ces dernières semaines, le stratège, âgé de 35 ans et à l’allure d’étudiant, a rompu avec son attitude discrète pour se montrer sur les réseaux sociaux Telegram et Facebook, vêtu d’un ensemble militaire kaki. Ce fut le cas à Obo, une ville isolée de l’extrême sud-est du pays, dans laquelle il a inauguré, début avril, une nouvelle base militaire.

Ce site stratégique, au carrefour du Soudan du Sud et de la République démocratique du Congo, et non loin de l’Ouganda et du Soudan, est aussi symbolique. Il a autrefois accueilli le dispositif militaire américain et ougandais lors de la traque vaine du chef de guerre ougandais Joseph Kony, autoproclamé « prophète » mystique. Dimitri Sytyi a désormais planté le drapeau de son organisation paramilitaire sur cette « base Obama », comme elle a un temps été surnommée.

Volet militaire

Étrangement porté disparu depuis le 15 novembre 2023, le binôme de Dimitri Sytyi chargé des questions militaires, Vitaly Perfilev, a été remplacé par un ancien, comme lui, de la Légion étrangère, prénommé « Denis ». Faute d’osmose avec son nouveau collègue, Dimitri Sytyi a peu à peu pris l’ascendant et s’est approprié le volet militaire de Wagner en Centrafrique. Sa démonstration d’Obo vient ainsi asseoir ce nouveau statut. Jusque-là diplomate culturel, point de contact avec la classe politique centrafricaine, et cogestionnaire de l’empire économique de Wagner en Centrafrique, le jeune homme ciblé par des sanctions du département du Trésor américain et de l’Union européenne (UE) s’impose aussi sur le plan sécuritaire. Et ce, dans une période où le Kremlin n’a pas réussi à reprendre la succession de l’organisation Wagner (AI du 19/01/24).

Près d’un mois après l’ouverture de la base d’Obo, Dimitri Sytyi, posait fièrement en uniforme au centre de combattants du groupe armé A Zandé Ani Kpi Gbe. Constituée en mars 2023, cette milice a tout juste été réintégrée dans les rangs des Forces armées centrafricaines (FACA) avec l’aide des instructeurs russes mués en artisans d’un embryonnaire programme informel de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR). La cérémonie officielle tenue début mai a été suivie d’une distribution de kits humanitaires à la population, un fait rare de la part de Wagner.

« Maison russe »

Toujours sur la même ligne, mais de manière plus discrète cette fois, Dimitri Sytyi s’est également essayé, mi-avril, à la prise en charge de quinze mineurs échappés des rangs d’une milice issue de la Lord’s Resistance Army (LRA) de Joseph Kony. Pendant quelques jours, les instructeurs russes ont gardé ces jeunes dans leur base de Béloko, cité frontalière du Cameroun, avant de les raccompagner à Bangui. Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, les anciens captifs de la nébuleuse LRA apparaissent dans des tenues flambant neuves de l’équipe nationale de football centrafricaine en train de jouer avec des éléments de Wagner, qu’ils remercient face caméra. Dimitri Sytyi a orchestré cette opération de communication avant de transférer les jeunes évadés au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), à Bangui.

Outre ses récentes opérations de communication liées aux actions de terrain, Dimitri Sytyi dispose d’un levier de puissance historique : le centre culturel russe de Bangui, plus communément appelé la « Maison russe » (AI du 08/09/23). À travers cette antenne, le chef de Wagner – qui n’a cure de l’ambassadeur russe à Bangui, Alexander Bikantov, dont l’influence est limitée – se permet d’entamer des démarches officielles avec le pouvoir centrafricain. Début mars, il a ainsi signé un accord de coopération avec le premier ministre, Félix Moloua, définissant la stratégie pour attirer les investisseurs russes en Centrafrique. Et l’encadrement en direct par Dimitri Sytyi, qui étend son pouvoir dans les sphères économiques.

Tête-à-tête avec le président

Depuis son arrivée dans le pays, en 2017 à l’âge de 28 ans, cet interprète russe a su se constituer un réseau dans les plus hautes sphères du pouvoir centrafricain. Initialement simple traducteur du russe au français au service de Valery Zakharov (AI du 19/12/23), artisan de l’installation de Wagner en Centrafrique, Dimitri Sytyi, a un temps navigué entre Saint-Pétersbourg (Saint Petersburg State University of Economics), Barcelone (Universitat Internacional de Catalunya) et Paris (Skema Business School).

Il n’a néanmoins jamais obtenu de diplômes dans l’Hexagone, où résident toujours son ex-femme, française, et son fils. Après un bref passage à l’Internet Research Agency (IRA), l’organisation russe de cyberpropagande, il s’est établi à Bangui, où il s’est peu à peu imposé comme l’un des stratèges de Wagner. Il a désormais l’habitude de discuter en tête-à-tête avec le président Faustin-Archange Touadéra et son chef de gouvernement, de même que l’un de ses prédécesseurs, Firmin Ngrebada (2019-2021), allié politique privilégié de Wagner.

À l’Assemblée nationale, il sait qu’il peut s’appuyer sur le premier vice-président, Évariste Ngamana (AI du 15/03/24). Il peut également compter sur les hauts cadres sécuritaires. Il est proche du ministre de la défense, Claude Rameaux Bireau. Ainsi que du directeur général de la police centrafricaine, Bienvenu Zokoué, ou encore de l’ancien ministre de la sécurité publique, aujourd’hui à la tête du renseignement, Henri Wanzet Linguissara.

Autonomie de façade

Tous ont l’habitude de négocier des dossiers stratégiques avec l’homme de la « Maison russe ». Cette structure créée en 2021 reste pilotée exclusivement par Wagner. L’État russe n’a pas souhaité ramener dans son giron cet instrument d’influence aux mains de Dimitri Sytyi. Dans le dispositif paramilitaire russe sur le continent africain, la Centrafrique fait désormais figure d’exception. Wagner semble avoir préservé une autonomie de façade vis-à-vis du Kremlin, qui a repris en main les opérations de la nébuleuse et développé une véritable architecture militaire au Sahel, du Mali à l’Est libyen.

Moscou goûte peu les manœuvres diplomatiques et sécuritaires du président Touadéra, qui a entamé ces derniers mois un rapprochement avec Paris et Washington (AI du 05/04/24) et tient à garder une emprise sur ses relais à Bangui, étroitement encadrée par des agents du Service de renseignement extérieur (SVR). Dimitri Sytyi, qui a failli perdre la vie dans un attentat au colis piégé, fin 2022, a, jusqu’ici, réussi à rester indispensable (et en vie) après la mort, en août 2023, de son mentor, le fondateur de Wagner, Evgueni Prigojine. Dans sa stratégie militaire et d’influence sur le continent, le ministère russe de la défense opère depuis fin 2023 de manière visible sous la bannière de l’Africa Corps, qui s’abstient jusque-là d’intervenir en Centrafrique.

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