Centrafrique : Entretien exclusif avec le directeur général de la douane et des droits indirects Frédéric Inamo sur la mission économique russe

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Depuis quelques jours, il est fait état de l’implication directe des russes dans la gestion de l’administration de la douane centrafricaine, conformément à un protocole de collaboration signé entre le ministère des finances et du budget et la mission économique russe, le 7 mai 2021. Pour lever toute équivoque sur certaines incompréhensions qui enflent à ce sujet, ces derniers temps, dans l’opinion nationale et internationale et sur les réseaux sociaux, nous avons accordé, le vendredi 21 mai 2021, un entretien exclusif au directeur général de la douane et des droits indirects Frédéric Inamo.

Jean – Paul Naïba : Monsieur le Directeur Général, Bonjour !

Frédéric INAMO : Bonjour, Monsieur le journaliste.

JPN : Dans un article intitulé « Centrafrique : quand le DG de Douane Frédéric Inamo et son réseau mafieux s’en prennent aux russes », publié le 17 mai 2021 par le site http://cava-sesavoir.over-blog.com, vous avez été accusés de vouloir empêcher les russes d’aider l’administration douanière à lutter efficacement contre les fraudes fiscales, conformément aux instructions du président de la République. De quoi s’agit – il exactement ?

FI : Je vous remercie pour l’occasion que vous me donnez pour apporter la lumière sur la coopération avec la mission économique russe. D’abord, je n’ai pas lu l’article dont vous parlez, car je ne suis pas un habitué des réseaux sociaux. Ensuite, je ne me suis jamais opposé à cette coopération; bien au contraire, je suis l’initiateur de ce protocole de collaboration entre mon administration avec la mission économique russe afin d’éviter des dérapages, en tenant compte de la réglementation inter – communautaire en vigueur. Par ailleurs, qui suis – je pour m’opposer à une mission diligentée par les plus hautes autorités du pays ? Cela ne saurait être vrai tant le premier bénéficiaire de cette mission se trouve être moi qui assume les nobles et très délicates fonctions du premier responsable de l’administration douanière et dont la principale mission consiste à renflouer les caisses de l’Etat.

JPN : Quel est le rôle assigné à cette mission économique russe, en sus de ce qui est défini par le Protocole de Collaboration ?

FI :  Le rôle assigné à cette mission est principalement d’aider l’administration des douanes centrafricaine à lutter efficacement contre la fraude douanière et la corruption.

JPN : Ce Protocole de Collaboration n’est – il pas en réalité un acte de délégation des attributions régaliennes du ministère des finances et du budget, en matière douanière ?

FI : Non, ce n’est pas une délégation de pouvoir régalienne ! Lorsque vous lisez bien ce protocole de collaboration, il limite le champ d’application de la mission exclusivement dans le domaine de transit. Les partenaires ne rentrent pas dans la gestion comptable; par contre, ils aident nos agents à bien s’appliquer dans les opérations de dénombrement et les inspecteurs dans leur travail d’évaluation et de taxation.

JPN : Intervenant directement sur le terrain dans la gestion, la collecte et le maniement des recettes, comme nous l’avons constaté à Béloko et Bang, quelles sont les limites de leur collaboration avec les fonctionnaires et agents de la douane ?

FI :  A ce sujet, je dois vous informer que depuis le 9 mai 2021, date de la mise en exécution effective de la mission, nous n’avons accueilli que cinq (5) experts douaniers russes répartis de la manière suivante : 1 à Béloko, 1 à Gamboula, 1 au Barc, 1 au Terminal à conteneurs et 1 à la brigade du port Beach. Il est, par conséquent, difficilement soutenable et crédible que cinq (5) personnes puissent se substituer techniquement et matériellement à plus de 600 experts douaniers centrafricains. Je répète que leur mission se limite dans le cadre du contrôle de transit.

JPN : Pouvez – vous nous dire quel est le nombre des membres composant cette mission ? Et sont – ils des coopérants techniques relevant directement du ministère russe des finances et de l’économie ou tout simplement des paramilitaires du Groupe Wagner, comme le soutiennent couramment certaines sources proches du dossier ?

FI : Les experts douaniers russes sont au nombre de 5. Ils relèvent de l’administration russe, parce qu’ils sont passés officiellement par leur ambassade en Centrafrique.

JPN : Selon des informations en notre possession, l’implication de ces russes dans le contrôle de flux des marchandises est très mal perçue par vos collaborateurs. Qu’en dites – vous ?

FI :  Toute réforme est difficile et doit faire face à une certaine opposition. Il est, donc, tout à fait normal que certains collaborateurs se demandent, puisque c’est la première fois de vivre une telle expérience. Mais c’est une mission qui ne va pas s’institutionnaliser. Comme tout projet de coopération, elle sera sujette à l’implacable et précieuse règle d’évaluations , selon des critères de performances bien déterminés ; l’objectif visé en l’espèce consiste à renforcer les capacités de nos collaborateurs en la matière afin de mieux lutter contre ces phénomènes de fraudes fiscalo – douanières qui assèchent régulièrement les caisses de l’état et contribuent à limiter les capacités d’actions du gouvernement.

JPN : Cette coopération avec la mission économique russe a – t – elle été décidée après consultations et avis préalables des partenaires privilégiés de la douane centrafricaine que sont le FMI, la BM et l’UE ? Verraient – ils d’un bon œil cette intervention dans la collecte des recettes ?

FI : En 2016, lorsque mon équipe était arrivée à la tête de la douane, l’on parlait seulement d’une trentaine de milliards des recettes douanières. Aujourd’hui, c’est – à – dire 5 années plus tard, le montant des ressources collectées est estimé à plus d’une soixantaine de milliards des recettes, bien que notre espace géographique d’activités ne dépasse pas plus de 20% du territoire national, du fait des activités des groupes armés. En dépit de toutes ces avancées dont le niveau en termes de productivité est nettement sensible et fort appréciable, les institutions financières internationales auxquelles vous faites allusion, n’ont jamais cessé d’attirer notre attention sur les multiples cas de fraudes et de corruption qui minent l’administration douanière et qui annihilent tous les efforts mobilisés déployés pour une croissance optimale de nos recettes domestiques . C’est donc en réponse à ces permanentes et urgentes préoccupations régulièrement exprimées par nos différents Partenaires Techniques et Financiers que les autorités ont sollicité cette expertise russe, afin d’aider la douane à lutter efficacement contre la fraude douanière et la corruption. Une expertise sans contrepartie en retour.

JPN : Que répondez – vous à ces nombreuses critiques qui s’élèvent pour parler de la privatisation de la douane, comme le président Faustin Archange Touadéra l’avait fait en 2008, quand alors premier ministre il avait délégué une partie des attributions douanières à la SODIF ?

FI : A ma connaissance, ce n’est pas l’actuel président qui a demandé la privatisation de la douane à l’époque ;  mais si vous en avez les preuves, vous pouvez lui poser directement  cette question, car depuis qu’il m’a nommé à ce poste, à ce que je sache, il ne m’a jamais parlé de la privatisation de la douane centrafricaine.

JPN : Qu’attendez – vous concrètement de ce nouveau partenariat ? En d’autres termes, quel sera l’impact réel de cette mission sur le niveau mensuel et trimestriel des recettes douanières ?

FI : Tout ce que nous attendons de cette mission, c’est de créer toutes les conditions a minima pour une augmentation mensuelle de nos recettes. Comme toute expérience, nous avons l’impérieuse obligation de procéder à l’évaluation de ce partenariat dans un délai relativement court dans l’objectif de mesurer techniquement son impact réel sur le niveau de nos recettes. A ce propos, conformément aux instructions du premier ministre Firmin Ngrébada, à nous données lors la dernière réunion, nous vous informons que ces évaluations doivent être faites au début de chaque mois, précisément le 5. 

JPN : Votre mot de la fin, Monsieur le Directeur Général ?

FI : Mon dernier mot de la fin, c’est de demander aux responsables de toutes les entités dont les activités sont liées à la douane, aux acteurs du commerce notamment, à mes collaborateurs, aux opérateurs économiques et aux transitaires de donner main forte à ces experts russes dans le cadre de leur mission auprès de la douane centrafricaine, car notre pays sera l’heureux bénéficiaire de cette coopération, si nous parvenons à en tirer des avantages de nature à améliorer de manière sensible et effective le niveau mensuel et trimestriel de nos recettes domestiques.

JPN : Je vous remercie.

FI : C’est moi qui vous remercie pour m’avoir donné l’occasion de donner des précisions sur le protocole de collaboration entre la mission économique russe et le ministère des finances et du budget en matière douanière.

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