Wagner en Afrique : que vont devenir les mercenaires de Prigojine ?

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POLITIQUE

Wagner en Afrique : que vont devenir les mercenaires de Prigojine ?

Depuis sa tentative de coup de force contre l’état-major russe et le président Vladimir Poutine fin juin, le groupe Wagner a vu son avenir se brouiller, y compris en Afrique. Quelles seront les conséquences de cette nouvelle donne sur le continent ?

LE DÉCRYPTAGE DE JA – Il s’était bâti un empire, il est désormais en délicate posture. En lançant ses mercenaires à la conquête de Moscou, le 23 juin, avant de finalement leur intimer de regagner leurs casernes le lendemain, Evgueni Prigojine a ouvertement défié le régime de l’homme qui l’a construit : Vladimir Poutine.

Depuis sa rébellion ratée contre le maître du Kremlin, l’ancien vendeur de hot-dogs de Saint-Pétersbourg devenu seigneur de guerre est exilé en Biélorussie. De l’autre côté de la frontière, un démantèlement progressif de ses nombreuses activités – mercenariat, propagande… – a été lancé par les autorités russes. De quoi susciter de nombreuses interrogations sur l’avenir de Wagner, en particulier en Afrique.

1. Que va devenir la machine de propagande de Wagner ?

Si Wagner est surtout connu pour ses mercenaires, le groupe possède une autre spécialité, tout aussi apprécié de ses clients : la propagande et l’influence médiatique. Grâce à de nombreux sites et à des équipes contrôlant des comptes sur les réseaux sociaux, Evgueni Prigojine a mis sur pied ces dernières années le projet « Lakhta ». Ce dernier propose un ensemble de services numériques, de l’ingérence dans les élections à la déstabilisation d’opposants, en passant par l’entretien du sentiment anti-français en Afrique.

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Durant les quelques jours ayant suivi la tentative de rébellion de Prigojine en Russie, le 23 juin, l’activité des comptes liés à Wagner a considérablement chuté sur les réseaux sociaux, comme VK (l’équivalent russe de Facebook) ou Telegram. Certains sites du Patriot Media
Group de Prigojine ont même été bloqués par les autorités russes, tandis que d’autres publiaient des contenus en soutien à Vladimir Poutine et critiquant le coup de force de Wagner. En ce qui concerne l’Afrique, les faux comptes et relais de « Lakhta » ont cependant rapidement repris une activité normale.

La machine de propagande de Wagner est-elle menacée ? Le 1er juillet, le nom de Wagner a été retiré de l’immeuble qui abritait ses bureaux principaux à Saint-Pétersbourg. Mais l’empire semble plutôt prêt à être découpé en plusieurs structures, dont certaines devraient être reprises par des oligarques plus proches, à l’heure actuelle, du Kremlin, comme Iouri Kovaltchouk. Dans cette optique, la partie africaine semble avoir de beaux jours devant elle : les propagandistes anti-français de Wagner ont développé une expertise qu’il sera difficile de remplacer.

2. Que signifie l’exil de Prigojine en Biélorussie ?

Le patron de Wagner n’a pas habitué ses fidèles et ses détracteurs au silence. Pourtant, en exil en Biélorussie après sa rébellion avortée et muet depuis le 27 juin, il ne s’est exprimé que le 3 juillet sur l’une des chaînes Telegram de son groupe. « Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin de votre soutien. Merci pour ça. […] Je veux que vous compreniez que notre ‘Marche de la Justice’ visait à combattre les traîtres et à mobiliser notre société. Et je pense que nous y sommes parvenus en grande partie », a-t-il déclaré.

Sous la pression du Kremlin et des services de renseignement russes qui ont perquisitionné ses bureaux à Saint-Pétersbourg, Prigojine cherche à donner des gages de « délité à Vladimir Poutine et à éviter le démantèlement complet de son empire. Il a même assuré que ses mercenaires seraient bientôt de retour sur le front ukrainien. Mais les médias russes ont d’ores et déjà adopté le narratif dicté par le Kremlin et le présentent désormais comme un traître à Moscou. Prigojine peut-il reconstruire son image et conserver une partie de sa puissance depuis la Biélorussie ?

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Au moins une base serait en construction en territoire biélorusse et pourrait accueillir plusieurs milliers de mercenaires. Les autorités russes ont en effet laissé le choix à ces derniers de suivre Prigojine dans son exil ou de signer un contrat avec le ministère de la Défense. Le patron de Wagner avait estimé, peu de temps avant sa rébellion, que plus de 95 % de ses hommes refuseraient de se lier avec l’armée. Il parie aujourd’hui sur la « délité de ces derniers pour reconstruire son contingent depuis la Biélorussie. Reste à savoir combien sont prêts à le suivre. Selon certaines sources, près d’un millier l’auraient déjà fait.

3. Le groupe Wagner continue-t-il de recruter ?

Un message publié le 4 juillet sur l’une des chaînes Telegram du groupe l’affirme : « Le groupe continue de recruter du personnel ». Si ses activités sont à l’arrêt en Ukraine et destinées à se restructurer depuis des bases en Biélorussie, avec l’accord du président Alexandre Loukachenko, Wagner souhaite donc continuer à embaucher des mercenaires. Dans la même communication, le groupe affirme que l’État russe ne le lui a pas interdit et que son centre de Molkino, où les recrues sont accueillies, reste ouvert. « Il n’y a pas d’obstacles juridiques », précise Wagner.

Le groupe tenterait notamment d’attirer des combattants parlant arabe ou français. Sont-ils destinés à combattre en Afrique, et notamment en Centrafrique et au Mali, où ces deux compétences linguistiques sont appréciables ? D’après les critères énoncés, les candidats doivent avoir « entre 22 et 55 ans ». Ils peuvent toutefois être acceptés au-delà de l’âge limite, à condition d’être « en excellente forme physique » (« un kilomètre de course en moins de six minutes et vingt pompes ») ou d’être « un spécialiste dans un domaine important pour l’entreprise ».

Evgueni Prigojine a-t-il négocié avec le pouvoir russe a »n de continuer ses activités de mercenariat ? Le patron de Wagner a en tout cas été aperçu à Moscou le dimanche 2 juillet et plusieurs sources ont rapporté qu’il y avait assisté à une réunion à huis-clos. Quelques jours plus tôt, il aurait été aperçu à Saint-Pétersbourg, voyageant à bord d’un hélicoptère appartenant à l’une de ses sociétés. L’ancien restaurateur travaillerait à la restructuration de ses activités.

4. Le Mali et la Centrafrique vont-ils être impactés ?

À Bamako et à Bangui, la rébellion avortée de Prigojine a évidemment été suivie de très près. Elle a surtout suscité une certaine inquiétude autour du colonel Assimi Goïta et du président Faustin-Archange Touadéra qui, bien que dans des situations très différentes, ont tous deux fait le choix des mercenaires du groupe Wagner pour sécuriser leurs régimes respectifs. Que deviendraient-ils si, dans quelques semaines ou mois, cette forme d’assurance-vie leur était retirée ?

Dès le 26 juin, soit deux jours après la fin de l’offensive des hommes de Prigojine en Russie, Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, se voulait rassurant avec ses partenaires maliens et centrafricains. Dans une interview à la chaîne de télévision Russia today, il déclarait que le « travail » de Wagner dans les deux pays allait « bien sûr continuer » – reconnaissant au passage ouvertement la présence du groupe au Mali, ce que Bamako a toujours nié.

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Côté malien comme centrafricain, aucune réaction officielle ni remise en cause du partenariat avec Wagner. Pourtant, l’onde de choc provoquée par la rébellion de Prigojine commence à se faire sentir sur le continent. Dans la nuit du 6 au 7 juillet, plusieurs centaines de mercenaires (jusqu’à 500 à 600, selon certaines de nos sources) sur les près de 1 500 présents en Centrafrique ont décollé de Bangui pour la Russie. Sous la pression du Kremlin, Wagner s’apprêterait à revoir son organisation et à signifier à ces premiers contingents qu’ils répondront désormais davantage au ministère de la Défense russe. Ces hommes – ou une partie d’entre eux – pourraient ensuite regagner la Centrafrique.

Faut-il s’attendre à un mouvement similaire au Mali, où environ 1 400 mercenaires de Wagner sont présents depuis début 2022 ? Aucun rapatriement de troupes n’y a été jusqu’à présent observé, hormis des rotations habituelles de personnel depuis l’aéroport de Bamako à bord d’avions Iliouchine.

Même si le ministère russe de la Défense reprend davantage le contrôle sur ses activités, certains ne voient pas Wagner quitter totalement le Mali et la Centrafrique à court terme. « L’engagement russe en Afrique est hautement stratégique. Il ne s’agit pas d’un investissement périphérique. Il faudrait vraiment que la situation devienne critique en Russie, ce dont nous sommes loin, pour que l’avenir de Wagner soit remis en question sur le continent », estime une source française haut placée.

5. Wagner peut-il vivre sans le Kremlin ?

Or, pétrole, diamant, bois, ou même café et alcool… Les hommes de Wagner tirent d’importants profits des ressources qu’ils exploitent partout où ils sont déployés en Afrique – Lybie, Soudan, mais surtout Mali et Centrafrique. Difficiles à estimer, ces revenus se chiffrent en dizaines de millions de dollars chaque année, qui permettent à Prigojine de financer en partie ses différentes opérations militaires et d’influence.

Suffisant pour continuer à exister sans la généreuse bienveillance du Kremlin ? Le 27 juin, quelques jours après que Prigojine se fut rebellé contre son régime, Vladimir Poutine a publiquement affirmé que Wagner avait touché près d’un milliard d’euros d’argent public sur l’année écoulée. « Entre mai 2022 et mai 2023, l’État a versé 86,262 milliards de roubles (environ 922 millions d’euros) pour les paiements du groupe Wagner », a affirmé le président russe lors d’une réunion avec des responsables militaires diffusée à la télévision. Poutine a ajouté que l’État avait « complètement financé » Wagner, soulignant que l’entreprise Concord, le groupe d’Evguéni Prigojine, avait « en même temps gagné 80 milliards de roubles [environ 850 millions d’euros] »

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Outre cette immense manne financière, Wagner bénéficie depuis toujours du soutien logistique et matériel de l’armée russe. Une partie de ses mercenaires sont formés dans la base de Molkino, dans le sud-ouest de la Russie, qui appartient au célèbre GRU, les services de renseignement militaires russes. Les troupes de Wagner sont aussi déployées et relevées grâce à des avions de transport Iliouchine ou Tupolev de l’armée russe. Idem pour le matériel, les véhicules et les aéronefs qu’ils utilisent en opérations, là encore fournis par Moscou. Difficile, donc, d’imaginer que le groupe de Prigojine puisse poursuivre pleinement ses activités sans le soutien du Kremlin – qui a malgré tout besoin de Wagner pour conserver le terrain gagné en Afrique ces dernières années.

Enfin, selon certains médias russes, Evgueni Prigojine aurait récupéré les 10 milliards de roubles en cash saisis dans ses locaux de Saint-Pétersbourg lors d’une récente perquisition du FSB, les services de renseignement intérieur russe.

Jeune Afrique

 

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