TRANSITION POLITIQUE AU MALI

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Quand la junte veut se tailler un mandat sur mesure

Trois ans ! C’est la durée de la transition que propose la junte militaire au Mali, après la chute du président Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK), la semaine dernière, dans les conditions que l’on sait. En tout cas, c’est ce qui ressort des 48 premières heures de négociations avec les émissaires de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui, après avoir brandi le bâton contre les putschistes de Bamako, s’essaie à la carotte dans le but de trouver un modus operandi pour le retour à l’ordre constitutionnel normal.  Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’après-IBK ne s’annonce pas comme une sinécure au Mali. Cela est d’autant vrai qu’entre les premiers mots des putschistes qui s’inscrivaient, dès le départ, dans la logique d’une transition civile la plus courte possible, et les discussions avec les émissaires de la CEDEAO, sur la même transition que les putschistes veulent maintenant de trois ans, sous la direction d’un président militaire et d’un gouvernement majoritairement composé  d’hommes en treillis, il y a comme  un parjure ou une volonté de conserver un pouvoir « ramassé » au détour de manifestations du M5-RFP, qui avaient déjà fortement ébranlé le régime du président IBK.

 

Les Maliens ne sont pas loin de la désillusion

 

Cette volonté à peine voilée d’accaparement, par les militaires, d’un fruit tombé d’un arbre qu’ils n’ont pas forcément secoué, ressemble à du déjà-vu sur le continent et peut être révélatrice de leurs intentions de balayer la maison pour mieux s’y installer. Autrement, pourquoi, après avoir publiquement proclamé leur désintérêt du pouvoir,  cherchent-ils  à présent coûte que coûte à diriger la Transition ? Est-ce parce qu’ils ont cru trouver dans le soutien populaire de vendredi dernier, la légitimité nécessaire pour mettre la barre des négociations si haut devant les émissaires de la CEDEAO ? Quoi qu’il en soit, c’est un revirement de position qui peut laisser croire que s’ils n’avaient pas, au départ, d’agenda caché, les hommes en kaki au pouvoir à Bamako, cherchent à présent, si ce n’est déjà fait, à s’en fabriquer un en voulant se tailler un mandat sur mesure à travers cette transition de trois ans qu’ils veulent contrôler exclusivement. Pire qu’au Soudan où après la chute du dictateur, les militaires ont eu la « décence », si on peut l’appeler ainsi, de proposer une gestion tournante de la transition avec les civils. C’est dire si une semaine seulement après l’arrivée de cette junte au pouvoir à Bamako, bien des Maliens ne sont pas loin de la désillusion. Car, si ces militaires ont pu se dédire en si peu de temps, rien ne dit qu’à la fin de la transition, ils ne trouveront pas prétexte à quelque chose pour prolonger leur bail à la tête de l’Etat. C’est pourquoi, autant cette offre de la junte peut paraître une stratégie de négociation, autant elle peut s’apparenter à une provocation de mauvais goût pour bien des Maliens qui se sont mobilisés dans la rue pour exiger le départ d’IBK du pouvoir.  En tout cas, c’est une critique à laquelle elle ne peut pas échapper d’autant qu’en dehors de la caserne, la place d’un valeureux militaire est au front et non dans les salons feutrés d’un palais présidentiel.

 

Assimi Goïta et ses camarades doivent apporter la preuve que leur coup d’Etat ne vise pas à se faire une place au soleil par la courte échelle

 

Mais pour autant que ces putschistes soient animés de nobles intentions et soient sincères, la transition qui est en passe de s’ouvrir au Mali, est une parenthèse qui pourrait permettre de revoir les fondements mêmes de l’Etat malien et remettre le pays sur les rails de la bonne gouvernance. Et qui sait si, à travers ce long intermède, ils ne veulent pas se donner les moyens de redresser les choses au double plan sécuritaire et politique avant de passer la main aux civils ?  Car, quand on voit le niveau de décrépitude de la gouvernance qui a poussé trop de mauvaises racines au Mali, on se demande si quelques mois seulement auraient suffi à nettoyer les écuries… de la classe politique dans son ensemble et à redresser la barre de la probité morale dans un pays gangrené par la corruption et où les leaders politiques donnent finalement le sentiment d’être plus guidés par la devise du « ôte-toi que je m’y mette », que par la capacité de montrer une véritable vision prospective pour le pays. Dans ces conditions, des élections précipitées ne seraient ni plus ni moins qu’une perpétuation de l’ordre ancien, à travers les mêmes tares de la mal gouvernance, qui ont fait le lit du mécontentement des populations qui ont fini par pousser IBK à la sortie. C’est dire s’il ne faut pas forcément faire une fixation sur le délai de la transition au risque de rater le coche. En revanche, Assimi Goïta et ses camarades doivent apporter la preuve que leur coup d’Etat vise véritablement à redresser le pays et non à se faire une place au soleil par la courte échelle. Peut-on leur faire confiance ? Là est toute la question. Car, l’histoire de la soldatesque à l’épreuve du pouvoir, comme ce fut les cas en Côte d’Ivoire avec Robert Guéi, au Zimbabwe avec le tombeur de Robert Mugabé ou au Soudan avec celle de Omar el Béchir, ne parle pas en leur faveur. C’est pourquoi au-delà de la CEDEAO qui cherche visiblement à prévenir une confiscation du pouvoir potentiellement dangereuse et contagieuse pour la sous-région, on attend de connaître la réaction de la classe politique malienne, principalement le M5-RFP qui a mené le combat du changement contre IBK. En tout état de cause, trois ans, c’est à la fois long et  court, mais c’est un sacrifice qui vaut la peine d’être consenti, si le Mali doit en sortir debout. A la soldatesque malienne de ne pas décevoir encore une fois.

 

« Le Pays »

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