Spartacus, l’esclave qui a défié Rome

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Spartacus, l’esclave qui a défié Rome

Aujourd’hui, il est sûrement le plus célèbre gladiateur de l’histoire. Sa vie a d’ailleurs inspiré des séries et des films, comme le péplum de Stanley Kubrick. Dans ce nouvel épisode de « Au cœur de l’histoire », produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars brosse le portrait de Spartacus, un homme révolté qui a tenu tête à la République romaine.

En 73 avant JC un gladiateur révolté, à la tête de plusieurs milliers d’esclaves, a tenu tête à la République romaine. Dans ce nouvel épisode de « Au cœur de l’histoire », produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars vous raconte l’histoire de Spartacus.  

 

A l’été 73 avant J.C., après s’être échappé en pleine nuit avec 70 à 80 compagnons d’infortune de leur école de gladiateurs à Capoue, Spartacus prend le chemin du Vésuve. Ils sont sortis sans armes après avoir neutralisé les gardiens de leur ludus. Le ludus est une école de gladiateurs. Ceux-ci sont des esclaves et le ludus est aussi une prison. En cours de route, les gladiateurs s’arment de gourdins et de dagues dont ils dépouillent quelques voyageurs.

A la sortie de Capoue, la chance leur sourit : ils croisent des chariots remplis d’armes de gladiateurs qu’on transportait vers une autre ville. Ils se débarrassent des conducteurs. Spartacus et ses compagnons s’emparent des boucliers et des épées dont ils connaissent parfaitement le maniement. Grâce à cette première chance, ils ne sont plus de simples esclaves en fuite. Ils se transforment en un commando redoutablement armé, d’autant plus efficace qu’ils n’ont plus rien à perdre. Ils se dirigent donc vers les pentes du Vésuve, à 40 km de Capoue. Il les atteignent en environ sept heures.

 

Entre-temps, l’alerte a été donnée à Capoue : 70 à 80 gladiateurs qui s’évadent si facilement pourraient donner des idées aux centaines de gladiateurs enfermés dans les ludus de Capoue et de toute la Campanie. Leur piste est facile à suivre : on trouve les cadavres des voyageurs dépouillés et des conducteurs de chariots. Les fugitifs ont aussi pillé quelques villas isolées pour trouver de la nourriture et des vêtements.

On envoie à leur poursuite une centaine d’hommes appartenant à la police urbaine de Capoue. Spartacus et ses compagnons en viennent rapidement à bout, en exterminant une partie. Les autres s’enfuient en abandonnant leurs armes que les gladiateurs vont récupérer. Bientôt, les fugitifs gravissent les pentes du Vésuve. Ils installent leur campement dans un replat du volcan, entouré d’un cercle de falaises. Un camp retranché idéal. Ils sont dans la partie rocailleuse du Vésuve, juste au-dessus des jardins et surtout des vignobles.

Sitôt arrivés, ils s’organisent. Leur chef est évidemment Spartacus, originaire de Thrace, l’actuelle Bulgarie, au bord de la Mer Noire. La moitié des compagnons de Spartacus viennent de la même région. Les autres sont des Gaulois. Les deux adjoints de Spartacus sont aussi des Gaulois, ils se nomment Crixos et Oenomos. Quelques femmes sont avec eux, notamment la compagne de Spartacus.

Du haut du Vésuve, les rebelles peuvent admirer la riche Campanie. C’est la terre la plus fertile d’Italie. Les grands domaines agricoles sont cultivés par des milliers d’esclaves. Les vignes produisent des vins de qualité, exportés dans des amphores aux quatre coins des territoires conquis par Rome.

Il y a aussi d’immenses champs d’oliviers qui produisent une huile indispensable à l’alimentation mais aussi à l’éclairage. Depuis ces lati fundia si prospères, les esclaves peuvent voir, la nuit, les feux de camp des gladiateurs, dans les hauteurs du Vésuve. Bientôt, eux aussi vont se révolter, tuer leurs gardiens et gagner le camp de Spartacus. Au début, quelques centaines, bientôt plusieurs milliers. Ils apportent avec eux des chariots tirés par des bœufs, remplis de sacs de blé, d’amphores pleines de vin, d’huile et de salaisons.

Le Sénat n’est pas inquiet

Les nouvelles de cette révolte d’esclaves au coeur d’une des plus riches provinces romaines finissent par atteindre Rome. Mais des révoltes d’esclaves, il y en avait déjà eu, par deux fois, en Sicile. Elles avaient été durement réprimées. Le Sénat n’est pas très inquiet. On désigne Claudius, un général assez obscur, pour affronter Spartacus. On lui confie trois mille hommes, jeunes mais pas très bien entraînés. Ce sera suffisant pour mater des esclaves !

Rome a d’autres guerres à mener, bien plus importantes, en Espagne et en Asie Mineure. Au bout de quelques jours de marche, Claudius et ses troupes sont au pied du Vésuve. Le général découvre tout de suite qu’on ne peut accéder au camp de Spartacus que par un chemin étroit et difficile. Il en conclut qu’il suffit de le bloquer pour couper les vivres aux rebelles. Il fait creuser un fossé profond et dresser une palissade aux pieds du sentier. Le passage sera gardé jour et nuit.

Claudius installe son camp au milieu des oliviers et des vignes, sans même prendre la peine de le fortifier. C’est un siège : les rebelles se rendront quand ils n’auront plus d’eau ni de nourriture. La situation de Spartacus semble donc désespérée. Mais il va montrer, pour la première fois, son talent de chef de guerre. Et pour cela, il va utiliser la nuit et les vignes. Laissons Plutarque nous le raconter : « Les fugitifs en coupèrent les sarments qui pouvaient leur servir, les entrelacèrent et en firent des échelles assez fortes et longues pour que, suspendues en haut, le long du précipices, elles puissent atteindre la plaine. Ils descendirent ainsi en toute sûreté, sauf un seul. Celui-ci était resté à cause des armes puis, lorsqu’il les eut toutes jetées, il se sauva, lui aussi, le dernier. »

Arrivés en bas, ils progressent à travers les vignes, éliminent les quelques gardes à moitié endormis et font irruption dans les camps où dorment les Romains. Ils en égorgent une grande partie, assomment ceux qui tentent de fuir. Claudius a sans doute été tué dans son lit car on n’en entendra plus jamais parler… Cette victoire, totale et rapide, permet aux rebelles de s’approprier les 3.000 équipements des soldats romains et provoque, surtout un tel enthousiasme qu’un grand nombre de bergers, d’esclaves et même d’hommes libres vont venir grossir les troupes de Spartacus. Mais qui est donc Spartacus ?

Un esclave devenu chef de guerre

On ne sait pas grand-chose des origines de Spartacus. Il est né en Thrace. Certains lui donnent une naissance princière. On ne sait pas mais quelques détails de sa vie permettent de penser qu’il a reçu une éducation aristocratique. Il sait combattre à cheval et semble connaître la géographie de l’Italie.

Au moment où il entre dans l’histoire, il a sans doute entre 25 et 30 ans. Pas plus car autrement, il n’aurait pas pu être gladiateur mais pas moins car il semble avoir déjà une certaine expérience. Il a été fait prisonnier par les Romains en Thrace puis amené à Rome sans doute en 74 avant l’ère chrétienne pour être vendu sur le plus grand marché aux esclaves du monde antique. Il est accompagné d’une femme qui prédisait l’avenir. Plutarque nous raconte sa prophétie : « On raconte que la première fois qu’il fut mené à Rome, pour y être vendu, on vit, pendant qu’il dormait, un serpent entortillé autour de son visage. Sa femme, de la même nation que lui, qui possédée de l’esprit prophétique de Bacchus, faisait le métier de devineresse, déclara que ce signe annonçait à Spartacus un pouvoir aussi grand que redoutable et dont la fin serait heureuse. Elle était alors avec lui. »

Spartacus est acheté, ainsi que sa femme, par un certain Lentulus qui avait une école de gladiateurs à Capoue. La Campanie est le berceau des gladiateurs en Italie. Les combats de gladiateurs ont des origines très anciennes. Homère en parle déjà dans L’Iliade. Ils accompagnaient souvent les cérémonies funéraires, ainsi le combat d’Ajax et Diomède organisé par Achille pour les funérailles de Patrocle pendant le siège de Troie.

Puis, ces combats sont devenus des spectacles, très prisés. Dès le 4ème siècle avant J.-C., il y en a, à Capoue, pendant les festins. Tous ces hommes s’entraînent quotidiennement au combat, sachant parfaitement que chaque fois qu’ils se produisent en public, ils risquent leur vie. Survivre deux ou trois ans relève déjà de l’exploit. Le statut des gladiateurs est extrêmement ambigu. On admire les meilleurs, ils sont acclamés mais ce sont des esclaves. Pour cette raison, les Romains les méprisent. On comprend donc que pour Spartacus, la seule possibilité de sortir de cet enfer programmé est l’évasion.

On peut dire aussi qu’il n’avait certainement pas, à ce moment-là, l’idée de fédérer d’autres esclaves et de prendre la tête d’une révolte, puis de les mener au combat. Tout au plus, pouvait-il espérer rejoindre un groupe de brigands et il y en avait beaucoup à cette époque, puis tenter de regagner son pays natal. Son destin va changer avec sa première victoire contre les légions romaines et le pousser à une fuite en avant, de plus en plus spectaculaire et de plus en plus périlleuse.

Le temps des succès

Bientôt, les hommes de Spartacus sont une véritable armée. Ils sont des milliers, équipés des armes de Claudius. Mais ils volent aussi des armes et des chevaux aux propriétaires de la région. La rébellion quitte le Vésuve et commence à s’attaquer aux villes, comme Nola et Niceria, toujours en Campanie.

A Rome, on s’inquiète de plus en plus. La révolte gagne en puissance. Aucune armée importante n’est disponible pour l’affronter. Le jeune Pompée est en Espagne pour lutter contre Sertorius, un rebelle qui avait fui Rome lors des proscriptions de Sylla. Sertotrius est si habile qu’il a été surnommé, en Espagne, le nouvel Hannibal ! Pompée a donc fort à faire en Espagne.

En Asie Mineure, c’est le roi Mithridate IV qui a déclaré la guerre à Rome. Par l’intermédiaire de pirates, il soutient Sertorius en Espagne. Lucullus est parti de Brindisi avec les meilleures troupes de la péninsule pour combattre Mithridate. Néanmoins, Rome veut venger l’humiliation faite à Claudius. Le Sénat envoie une armée importante, dirigée par Varinius. Spartacus ne souhaite pas l’affrontement. Il veut quitter la Campanie et se réfugier dans les Apennins car il sait que ses hommes ne sont pas prêts.

Son lieutenant, le Gaulois Oenomos, veut, lui, affronter les Romains. Avec trois mille Gaulois, il quitte l’armée de Spartacus. Il est battu et perd la vie dans cet affrontement. Spartacus s’engage ensuite dans le sud des Apennins. Il échappe à Varinius. Ce dernier, furieux, envoie Cossinius à la poursuite  de Spartacus. Cossinius est battu et tué. Encore une grande victoire de Spartacus ! Finalement, l’ancien esclave va défaire Varinius à la bataille de Venusia. C’est une nouvelle humiliation pour Rome ! Varinius et ce qui lui reste de soldats abandonnent la totalité du sud de l’Italie à l’armée des esclaves et à son chef. Ceux-ci y passeront tout l’hiver.

Un hiver mis à profit pour renouveler les équipements de ses compagnons, notamment les boucliers de terre cuite recouverts d’osier. Un entrainement intensif, comme dans les écoles de gladiateurs et surtout quelques mois de repos bien mérités après cette stupéfiante victoire.

On ne sait rien de ce que pense Spartacus à ce moment précis. Jusqu’ici, tout lui a réussi mais il se sent responsable de ces milliers d’esclaves qui l’ont rejoint. Que peut-il leur offrir ? Il ne peut douter que la République romaine, si elle utilise les grands moyens, va mettre fin à ce rêve. Tel Moïse, il va devoir les conduire loin des dangers, loin de Rome. Il songe alors à la Gaule cisalpine, c’est à dire au nord du Pô. Il faudra traverser le fleuve. Puis, il ira vers les Alpes pensant qu’après les avoir franchies, chacun rentrerait dans son pays respectif, les uns en Gaule transalpine, les autres en Thrace.

La longue marche vers le nord

Pendant ce temps, à Rome, le Sénat s’active. Dès l’annonce de la défaite de Varinius, on a recruté tous les jeunes gens en âge de se battre et les anciens soldats, encore valides, sont armés pour encadrer les nouvelles recrues. De son côté, l’armée de Spartacus va se mettre en route au début du printemps. Mais l’un de ses lieutenants, le Gaulois Crixus, préfère piller l’Italie. Il est grisé par les précédentes victoires, ses hommes aussi. Une scission va donc se produire dans l’armée des esclaves.

En ce printemps 72 avant Jésus-Christ, Crixus entraîne avec lui vingt mille Gaulois. Ils s’engagent sur la Via Appia qui conduit à Rome. On ne sait s’il rêve de prendre la ville mais c’est parfaitement déraisonnable. De son côté, Spartacus, pour atteindre les Alpes, suit la côte jusqu’au golfe de Tarente puis oblique vers le nord, en empruntant les chemins de transhumance dans les montagnes. Il est conduit par des bergers qui connaissent parfaitement la région. L’armée de Crixus va affronter les Romains en un lieu assez imprécis, probablement Nuceria, au nord de Foggia. C’est un carnage. Les Romains, comme le raconte Tite-Live, taillent en pièces vingt mille esclaves rebelles avec leur chef Crixus.

Comme les Gaulois étaient trente mille, on peut penser que dix mille ont réussi à rejoindre l’armée de Spartacus. De combien d’hommes Spartacus dispose-t-il à ce moment là ? On l’estime à cinquante mille hommes. L’armée romaine du consul Lentilus suit de loin la progression vers le nord des troupes de Spartacus. Il est rassuré car il a compris que le chef rebelle n’avait pas l’intention d’attaquer Rome. Cependant, il attend de faire sa jonction avec l’armée qui a vaincu les Gaulois de Crixus pour en finir avec les esclaves.

Spartacus a très bien compris la manœuvre : il faut qu’il attaque l’une des deux armées avant qu’elles ne se rejoignent. Comme le consul lui barre la route du nord, Spartacus fait volte-face et s’attaque d’abord au vainqueur de Crixus. Il le met en pièces avant de se retourner contre le consul et de le battre à son tour. C’est une victoire spectaculaire que Spartacus décide de célébrer en organisant des funérailles exceptionnelles pour ses officiers morts au combat. D’abord, il immole aux mânes de Crixus trois cents prisonniers romains. Ensuite, autour des bûchers où l’on brûle les corps de ses officiers, il oblige les Romains prisonniers à se livrer à des duels de gladiateurs. Ce sont des duels à mort. Trois cents prisonniers romains sont contraints de se battre comme des gladiateurs. Ces cérémonies barbares mais grandioses sont destinées à célébrer non seulement la victoire mais aussi l’unité retrouvée de l’armée des esclaves.

Désormais, Spartacus continue sa marche vers le Pô. Hélas, le fleuve est en crue et il est impossible de le traverser en cette saison. Spartacus change de stratégie. Il n’a plus d’espoir de franchir les Alpes. A l’été 72, l’armée de Spartacus compte plus de cent mille hommes ! C’est presque trop, l’intendance est lourde. Il est obligé de refuser les nouveaux arrivants. L’historien Eric Teyssier considère que son comportement prouve qu’il ne mène pas une guerre contre l’esclavage mais une guerre contre Rome.

Entre temps, Rome a nommé un nouveau chef, le richissime Crassus, 44 ans, bien équipé pour être le vainqueur de Spartacus. Lorsque ce dernier atteint l’extrémité de la péninsule, il négocie avec des pirates le passage en bateau, d’une partie de son armée en Sicile. Il est certain de pouvoir y continuer son combat. Hélas, les pirates se jouent de lui. Ils prennent son argent et disparaissent aussitôt avec leurs bateaux. Pendant ce temps, Crassus élève des fortifications pour piéger Spartacus, dans le cul-de-sac de la péninsule italienne. Une fois de plus, celui-ci réussit à forcer le blocus et à s’échapper mais cette fois, il est trop tard.

Une dernière bataille contre Crassus tourne au désastre. Il y perd la vie avec soixante mille des siens. On ne retrouvera pas son corps ; les Romains ne font que six mille prisonniers. Ils seront tous crucifiés sur les 195 kms de la Via Appia, ce qui veut dire une croix tous les 30 mètres. Comme la Via Appia est très fréquentée, ce spectacle se veut dissuasif pour tout esclave qui tenterait d’échapper à son sort. Cette séquence est dans les dernières images du somptueux film de Stanley Kubrick. Mais il y avait une erreur : Spartacus n’a pas été crucifié, il est mort au combat. Il n’avait pas besoin de cette fin horrible pour être célèbre. Aujourd’hui, le nom de Spartacus est le deuxième qui apparaît, après celui de Jules César, comme les plus importants de l’histoire romaine…

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