Accueil A la Une Rome : Caligula, la conjuration et la chute !

Rome : Caligula, la conjuration et la chute !

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Qui était vraiment Caligula, l’empereur pervers ?

Troisième empereur romain, descendant d’Auguste et de Marc-Antoine, Caligula est resté dans l’Histoire comme l’un des pires tyrans de Rome. Suétone, en particulier, l’a immortalisé comme un souverain sanguinaire, friand d’orgies et de décollations – un portrait probablement loin de la réalité, dont on ne sait finalement pas grand-chose.

Avant la tyrannie, l’inceste et la mégalomanie, l’histoire de Caligula, empereur de la dynastie julio-claudienne, est celle d’un enfant privilégié : Caius Augustus Germanicus, le fils du très populaire général Germanicus. Sa mère, Agrippine l’Aînée, aurait décidé pour lui d’une carrière militaire : troisième garçon d’une fratrie de six enfants, rien ne le destine à priori à un tel destin. Il est aussi le petit neveu et fils adoptif de l’empereur Tibère.

Dès l’âge de deux ans, il aurait donc rejoint sa famille sur les champs de bataille de Germanie, où Agrippine lui aurait fait tailler un costume de général sur mesure pour déambuler parmi les soldats. D’où son surnom de Caligula, « petites sandales » en latin.

Comment la famille de Caligula a-t-elle été massacrée ?

Historiens et psychologues ont beaucoup glosé sur cette enfance dorée, entouré des soins attentifs d’une armée et d’une mère qui l’adulent, et sur la jeunesse tragique qui s’est ensuivie, avec les assassinats successifs de tous les membres de sa famille. Un disciple de Sigmund Freud, Hanns Sachs, a même signé en 1932 une analyse psychologique complète du personnage, intitulée « Bubi ou l’histoire de Caligula« , où il attribue la mégalomanie du tyran à ces traumatismes.

Or ces analyses reposent pour la plupart sur des récits à charge, et à la fiabilité douteuse, explique Jean-Noël Castorio, auteur d’une biographie intitulée « Caligula : au coeur de l’imaginaire tyrannique« .

Toutes les sources dont on dispose sont extrêmement hostiles à Caligula, résume l’historien. Elles ne visent pas à décrire un personnage historique, mais à reconstituer l’archétype du tyran. Notons aussi que la source principale, Suétone, écrit 80 ans après les faits !

Selon Suétone, biographe des Césars, Agrippine, qui était la petite-fille préférée de l’empereur Auguste, n’aurait cessé de répéter à Caligula que son beau-père, l’empereur Tibère, était un usurpateur, et que c’est à son fils Néron Caesar, le frère aîné de Caligula, que le trône de Rome revenait de droit. « Or cette histoire d’enfance dans les camps n’est pas sûre, relève Jean-Noël Castorio, les sources sont contradictoires sur le sujet. On ne sait pas grand-chose non plus, finalement, des relations avec sa mère. »

Une nouvelle génération au pouvoir

Quoiqu’il en soit, Caligula voit très jeune sa famille décimée. Son père Germanicus, premier dans l’ordre de succession, meurt en 19 de causes inconnues, et sa mère et ses frères aînés sont emprisonnés et tués entre 29 et 33, selon Tacite sur ordre de Séjan, un proche de Tibère. Or Tibère se fait vieux (il est alors septuagénaire), et les complots successifs ont considérablement réduit la liste de ses successeurs potentiels. Ne restent plus que son petit-fils Gemellus, encore adolescent, son neveu Claude, en mauvaise condition physique et considéré comme peu viril selon les critères de l’époque, et son petit-neveu Caligula.

« Pour Tibère, le choix est limité, explique Virginie Girod, auteure de « La véritable histoire des douze Césars ». C’est une famille complètement toxique. Tout le monde est conscient qu’il peut être assassiné par un parent proche. » En mars 37, malade, empoisonné ou simplement à bout de forces (il a 77 ans), Tibère entame une longue agonie. Les circonstances de sa mort sont incertaines : pour l’historien romain Tacite, c’est le chef de la garde prétorienne allié à Caligula, Macron, qui aurait étouffé le vieillard pour plaire au jeune Caligula. Pour Suétone, c’est peut-être l’héritier lui-même qui aurait porté le coup fatal. « Ce qui est certain, rapporte Virginie Girod, c’est que Tibère met des jours à mourir. Et il est probable que dans ce contexte, où on attend avec impatience une mort assurée, on l’y ait aidé. »

C’est enfin au tour de Caligula de prendre le pouvoir. Son règne durera moins de quatre ans, mais ces quatre années suffiront pour que nous parvienne, dans le sillage de Suétone, l’image d’un empereur fou, ivre de sang et de pouvoir.

« Mon hypothèse, avance Jean-Noël Castorio, c’est que Caligula est le premier empereur sans légitimité, au sens romain du terme. Auguste a fait la guerre, Tibère est un grand général, mais Caligula est le premier des Julio-Claudiens à arriver au pouvoir grâce aux liens du sang. Il n’a exercé aucune des fonctions du cursus honorum pendant sa jeunesse : c’est vraiment une nouvelle génération qui arrive au pouvoir. » L’empereur semble manifester, dès sa prise de fonction, un certain mépris des corps intermédiaires du pouvoir, en particulier du Sénat. « C’est un empereur qui ne respecte pas les codes du système, résume Jean-Noël Castorio. Pour les Romains, l’empereur est le premier des sénateurs. Or on reproche à Caligula d’agir comme s’il avait ce pouvoir de droit, donc d’agir en tyran. »

Une tyrannie fantasmée ?

Ses exactions, bien que probablement largement fantasmées, sont restées célèbres. Suétone raconte notamment qu’il lui arrivait de donner des spectacles au Colisée et d’en faire retirer le velum, cette pièce de tissu étendue au-dessus des gradins pour protéger les spectateurs du soleil. Il interdisait alors à quiconque de sortir de l’amphithéâtre tant que durait le spectacle, c’est-à-dire la journée entière, en dépit du soleil de plomb. On lui prête également des sentences glaçantes : la célèbre « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ! », ou encore « Plût aux dieux que le peuple n’eût qu’une seule tête » (sous-entendu, pour pouvoir la trancher plus aisément). « Cette dernière phrase, on ne sait pas s’il l’a vraiment dite, reconnaît Virginie Girod. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’elle reflète ce que pense l’élite romaine : tant que Caligula est sur le trône romain, tout le monde est en danger. »

L’historiographie antique a aussi fait ses gorges chaudes des frasques sexuelles de l’empereur. Il aurait fait installer un bordel dans le Palais et aurait forcé les femmes des sénateurs à y officier, aurait entretenu des relations incestueuses avec ses sœurs, en particulier la jeune Drusilla… « Quand on veut détruire la réputation de quelqu’un à Rome, on lui prête des pratiques sexuelles dépravées, rappelle Virginie Girod. Il est vrai que quand on a du pouvoir, le sexe n’est jamais très loin : les hommes de pouvoir qui ont eu une sexualité monacale sont assez rares. Il y a du sexe dans la vie de Caligula, c’est certain : mais ce qui se passe réellement, bien malin qui pourrait le dire. En revanche, les orgies romaines qu’on voit dans les péplums [et notamment dans le Caligula de Tinto Brass (1979), à forte teneur pornographique, NDLR], c’est le délire hollywoodien ! »

Quant à ses amours interdites avec Drusilla, là encore, l’argument est classique. « L’accusation d’inceste a régulièrement été adressée à tous les empereurs que n’aime pas le Sénat, rapporte Jean-Noël Castorio. C’est un lieu commun depuis la plus haute Antiquité, qui vise à montrer que le tyran ne respecte aucune règle. Il va à l’encontre de la nature, à l’encontre des Dieux. » En revanche, il est plausible qu’à la mort prématurée de Drusilla, à l’âge de 21 ans, Caligula ait ressenti un chagrin authentique et ait véritablement ordonné sa divinisation – un privilège rare, jamais encore accordé à une femme. « Qu’il ait voulu diviniser sa sœur, ce n’est pas forcément un aveu d’inceste, relève l’historien. En revanche, cela témoigne d’une volonté d’imposer un pouvoir charismatique et démagogique fort, fondé sur une relation étroite avec le peuple. »

Caligula, un empereur réformateur

Suétone affirmait également que Caligula se croyait être un dieu incarné, et avait adopté en conséquence un comportement mégalomane. De ce dernier, aucune preuve archéologique n’a jamais été retrouvée. « Certes, on a trouvé une statue de lui en Jupiter, reconnaît Jean-Noël Castorio. Mais il n’est pas le premier : Auguste l’avait fait bien avant lui ! Caligula, finalement, ne fait que pousser au terme une tradition qui faisait de l’empereur une sorte de demi-Dieu. »

Au-delà de sa légende noire, Caligula est surtout un empereur réformateur. Dès sa prise de fonctions, il initie une libéralisation du régime qui cadre assez mal avec son caractère supposément tyrannique. Le jeune empereur lève des taxes, remet en circulation des ouvrages interdits… « Il semble en fait avoir voulu redonner du pouvoir au peuple romain, analyse Jean-Noël Castorio, alors que ce pouvoir avait été confisqué par le Sénat et l’aristocratie. Sa conception du pouvoir est une sorte de monarchie populiste, qui se passe d’intermédiaires. » Et cela, le Sénat ne le lui pardonne pas. Une anecdote, rapportée par Suétone, illustre cette haine réciproque : Caligula aurait poussé l’adoration pour son cheval, Incitatus, jusqu’à projeter de le faire consul. « Suétone adore les ragots, ironise Jean-Noël Castorio, il n’est pas très regardant sur la provenance de ses informations. Cette histoire de cheval est probablement une rumeur parmi d’autres. Mais que cette rumeur se soit développée, c’est révélateur de la relation très hostile entre le Sénat et l’empereur, qui ne respecterait rien. » Il le paiera de sa vie.

La conjuration et la chute

Au début de l’année 41, plusieurs tribuns de la garde prétorienne forment une conjuration à laquelle prennent part Chaerea, Cornelius Sabinus et Calliste, un épisode décrit avec force détails par Flavius Josèphe. Les prétoriens attaquent Caligula au sein même du palais et poignardent l’empereur à de multiples reprises. « C’est un acte pulsionnel, raconte Virginie Girod : on s’acharne sur son cadavre, on en fait de la bouillie. Pour en finir avec cette famille, on va dans la foulée assassiner sa femme et sa petite fille. C’est l’anéantissement complet de Caligula et de sa descendance. » Derrière la garde prétorienne, le complot remonterait à plusieurs sénateurs influents, selon Flavius Josèphe. La dernière goutte de sang versée, c’est l’oncle de Caligula, l’empereur Claude, qui prendra sa succession. « Claude est un intellectuel, qui travaille dans un bureau du palais au moment de l’assassinat, rapporte Virginie Girod. Il n’est pas particulièrement courageux, et quand il entend le ramdam dans les appartements de l’empereur, il se cache. Là, un prétorien entre dans le bureau, voit l’aîné de la famille impériale, donc a priori le plus légitime dans l’ordre de succession. On l’emmène, on l’acclame et c’est terminé : fin de la révolte ! »

L’assassinat de Caligula provoque une énorme émotion populaire. « Il y a eu des manifestations au lendemain de sa mort pour réclamer les coupables, rapporte Jean-Noël Castorio, ce qui est contradictoire avec son image de tyran haï. On sent qu’il avait une certaine popularité, notamment auprès des couches inférieures de la société : les femmes, les esclaves… Sa pratique démagogique du pouvoir lui avait attiré le soutien du peuple, et la haine des élites. Mais son règne est un échec. Son assassinat montre que sa pratique du pouvoir n’a pas été acceptée, et marque le point de départ de sa légende noire. » Car à Rome, le Sénat n’est pas que l’organe intermédiaire du pouvoir : il a aussi et surtout le monopole de l’écriture de l’Histoire.

Source : Géo

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