Rébellion de Prigojine : «Cela pourrait être la bonne excuse pour mettre un terme à la guerre», estime un ancien de Wagner

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Interview

Rébellion de Prigojine : «Cela pourrait être la bonne excuse pour mettre un terme à la guerre», estime un ancien de Wagner

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Evgueni Prigojine, le chef du groupe de mercenaires Wagner, a tenté ce samedi un coup de force contre le commandement militaire russe. Après avoir pris le quartier général de Rostov, il a menacé de marcher sur Moscou, avant de se raviser.
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Marat Gabidullin, qui a quitté l’organisation paramilitaire en 2019, explique à «Libération» comment, pour lui, Evgueni Prigojine est victime de son ego mais comment, paradoxalement, son coup de force pourrait servir de prétexte au Kremlin pour mettre fin à son invasion de l’Ukraine.

par Veronika Dorman

publié aujourd’hui à 15h39

Engagé comme mercenaire de Wagner entre 2015 et 2019, Marat Gabidullin avait été le premier à témoigner à visage découvert des batailles menées par l’armée de Evgueni Prigojine, dont il fut aussi le secrétaire, quand celle-ci œuvrait dans la plus grande clandestinité dans le Donbass, sur le front syrien ou en Afrique. L’existence même de la compagnie militaire privée était niée par le Kremlin, qui s’en servait pourtant pour ses guerres hybrides et autres opérations d’influence. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022, les mercenaires de Wagner se sont imposés comme l’une des forces les plus organisées et les plus efficaces sur le front. Prigojine, lui, est non seulement sorti de l’ombre, mais s’est lancé dans un bras de fer houleux avec le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou, tout en cimentant ses ambitions politiques. Selon son ancien assistant, Prigojine a été, une fois de plus, victime d’«un débordement de son ego».

Est-ce que Prigojine croit vraiment qu’il peut marcher sur Moscou et imposer sa loi ? Ou bien est-ce un geste désespéré ?

Sa position est assez claire aujourd’hui : il a pratiquement pris le contrôle du quartier général des forces armées russes dans le sud. Il les retient en otage, mais en même temps, il n’entrave en rien leur travail. Il fait tout pour que l’appareil d’opérations de combat du ministère de la Défense fonctionne bien. Mais ils sont coincés. Lui, il est dans une grande ville, avec des unités qui savent parfaitement se battre en milieu urbain, ça fait un an qu’ils s’entraînent. Personne ne peut leur tenir tête au sein de l’armée régulière. Mais tout le monde comprend que pour déloger les mercenaires, il faudra lancer contre eux un ou deux corps d’armée.

Ce qui s’est passé vendredi, cette escalade si abrupte, est-ce une surprise pour vous ? Qu’est-ce que tout cela signifie ? La guerre civile ? Vous attendiez-vous à cela ?

Non, j’espérais honnêtement qu’il avait tiré des leçons de ses erreurs passées. Je pensais qu’il avait pris conscience de sa position de force. Il a gagné, il a atteint ses objectifs, il se permet de critiquer le ministère de la Défense sans conséquences pour lui, il obtient des armes. D’en arriver à de telles extrémités, c’est un débordement de son ego. Il a perdu ses repères. Tout comme il l’avait fait en Syrie en 2017 lorsqu’il a voulu s’emparer des champs gaziers. C’est donc son moi intérieur qui s’est à nouveau manifesté. Pourquoi de cette façon ? C’est sa nature.

Quand il dit que la Russie va bientôt avoir un nouveau président, y croit-il vraiment ?

C’est aussi sa façon de fanfaronner. Il ne peut plus s’arrêter. Il espère que le Président se rangera à ses côtés et parviendra à un accord avec lui. Il pense que la situation lui est favorable. Que sa personnalité, ses capacités (y compris ses projets en Afrique) et sa position sur le front en Ukraine et la personnalité de Choïgou sont dans la balance. Il pense qu’il peut gagner mais il se trompe. Il est en train de perdre. On ne lui pardonnera pas cette dernière sortie.

Quand Prigojine assure que toute l’armée va passer de son côté maintenant, soutenir Wagner, est-ce réaliste ?

C’est son fantasme. L’armée, c’est quoi ? Un troupeau de moutons obéissants. Vu l’état des forces armées russes… Il pense peut-être qu’à cause de la guerre, des combats, les soldats ont fait une sorte de réévaluation de la situation dans le pays. Mais il a oublié les leçons de l’histoire. En 1945, l’armée [soviétique, ndlr] qui s’était battue pendant quatre ans est rentrée dans les rangs sans broncher.

Ses mercenaires lui sont-ils vraiment fidèles ? Quelle menace représentent-ils pour le pouvoir ?

Ils n’ont jamais représenté aucune menace pour le pouvoir. Certaines cohortes resteront avec lui jusqu’à la fin, mais pour la plupart, ce sont des Russes ordinaires. Ils se trouvaient simplement dans des conditions différentes pendant un certain temps, dans un cadre très rigoureux. Mais si on fait sauter le cadre, et qu’on leur demande de faire un choix difficile, prendre une décision par eux-mêmes, leur nature se réveillera d’un seul coup. «J’ai peur, je ne peux pas me le permettre.» Ils jetteront la mitrailleuse à terre et courront se planquer.

Comment imaginez-vous la suite des événements ?

Il n’y a que des scénarios, mais le Kremlin pourrait se servir du prétexte d’avoir à gérer une rébellion à l’intérieur du pays pour donner l’ordre de retirer d’urgence les forces armées du territoire de l’Ukraine. «L’opération spéciale» est clairement un échec, et il faut y mettre un terme. Ce serait une bonne excuse.

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