RCA: «Je me situe clairement dans l’opposition à la politique actuelle»

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Abdou Karim Meckassoua, le 27 juillet 2018, lors d’une session de l’Assemblée nationale centrafricaine, alors qu’il en était le président. Charles BOUESSEL / AFP
En Centrafrique, Karim Meckassoua contre-attaque. Le 26 octobre dernier, il avait perdu la présidence de l’Assemblée nationale après un vote des députés qui lui reprochaient officiellement une « gestion patrimoniale et clanique » de la chambre. Aussitôt, il avait saisi la Cour des comptes. Le rapport de la Cour vient de tomber et l’ancien président de l’Assemblée s’estime lavé de toute accusation. Sera-t-il candidat en 2020 ? De passage à Paris, le député du quartier Kilomètre 5 à Bangui répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI: Dans son rapport, la Cour des comptes révèle l’existence de nombreux dysfonctionnements entre juin 2016 et septembre 2018. Elle dénonce notamment une mauvaise tenue de la comptabilité et un recrutement anarchique et pléthorique du personnel de l’Assemblée nationale. Vous, qui avez présidé cette Assemblée à partir de mai 2016, est-ce que vous n’avez pas des responsabilités dans ces graves dysfonctionnements ?

Karim Meckassoua: Aucune. Parce que, dès que j’ai été élu, ma première décision a consisté à demander à la Cour des comptes de m’établir un état des lieux pour me permettre d’avoir des outils de gestion corrects, efficaces et modernes. Tout ce que vous venez de dire relevait d’une gestion passée. Pas la mienne.

D’avant avril 2016 ?

Absolument.

L’une des affaires qui a nui à votre réputation et qui vous a coûté le perchoir il y a dix mois, c’est celle des kits de députés. Pour cent quarante députés ont été commandés 1 910 kits. Évidemment, la disproportion est énorme. Conclusion de la Cour des comptes : « Il s’agit d’un arrangement dont le seul but a été d’augmenter le montant de la facture et d’en tirer un intérêt »…

C’est moi qui ai dénoncé cela. J’ai été absent de l’Assemblée nationale pour cause de maladie. Dès que je suis rentré, la première décision que j’ai prise, c’est de dénoncer toutes ces malversations. Toutes ces magouilles. Tous ces détournements. Et grande a été ma surprise de constater que les voleurs ont crié au voleur. Et quand vous lisez ce rapport, des noms ont été cités. Ces noms existent dans le rapport. Mais vous ne trouverez nulle trace d’une malversation de Karim Meckassoua !

Donc ce que vous dîtes, c’est que l’on a profité de votre évacuation sanitaire pour commettre des malversations dans votre dos. Qui sont, à vos yeux, les principaux responsables de ce scandale des kits de députés ?

Ceux qui sont cités, c’est d’abord le premier vice-président de l’Assemblée nationale, la chargée de mission de l’Assemblée nationale et l’ancien président du Conseil national de transition.

Ceux qui sont cités dans quel rapport ?

Dans le rapport de la Cour des comptes.

Quand vous êtes tombé, en octobre dernier, vous aviez déjà pris vos distances avec le président Touadéra dont vous dénonciez la délivrance des permis miniers. Est-ce que ce n’était pas suicidaire, politiquement ?

Non, le Forum national de Bangui [de mai 2015] a fait de l’Assemblée nationale le garant de la souveraineté sur les richesses nationales. Cela a été inscrit dans la Constitution. Aucun permis minier, aucun permis financier, aucune convention financière ne peuvent être délivrés sans l’autorisation préalable de l’Assemblée nationale. Et mon vrai problème – vous savez, j’aspire à être un homme d’État –, c’est que je ne peux pas dire tout ce que j’ai dit au président de la République, mais c’était le principal sujet de discorde avec le président de la République.

Mais vous saviez que cela risquait de vous coûter votre perchoir ?

Oui, mais j’accepte. Et vous voyez le résultat aujourd’hui ? J’ai été destitué après ce misérable putsch. Et vous avez vu combien de permis miniers, aujourd’hui, ont été signés ? Vous avez vu les dégâts sur l’environnement ! Vous avez vu la plainte de la population ?! Et surtout – pour la première fois – vous avez vu le manque à gagner de l’État sur les mines ?!

Pensez-vous qu’il y a une main étrangère derrière votre chute d’octobre dernier ?

Mais écoutez… C’est évident. Le Conseiller spécial du président de la République – monsieur Zakharov – venait à l’Assemblée, rencontrait les députés, les convoquait… Leur faisait comprendre que Meckassoua était un danger et il ne s’en cachait pas.

Pourquoi ces conseillers russes voulaient-il vous faire tomber, à votre avis ?

Si je disais un certain nombre de choses très clairement, je mettrais en cause le président de la République. Alors, je préfère m’abstenir de le faire publiquement.

Vous pensez qu’il y avait des enjeux financiers ?

Plus que cela.

Sécuritaires ?

Plus que cela.

C’est-à-dire ?

L’heure viendra. Je rentrerai à Bangui. Il y aura un débat sur la mise en cause du président de la République dans certains dossiers qu’il a eus à trancher contre le peuple centrafricain.

Trois fois moins de violence depuis un an, selon la Minusca, c’est une bonne nouvelle. Est-ce que ce n’est pas un chiffre à mettre à l’actif du président Touadéra ?

C’est vrai, il y a moins de coups de feu. Mais ce qui est important, c’est de créer les conditions pour le « vivre ensemble ». Et nous en sommes très, très loin.

Visiblement, Faustin Archange Touadéra sera candidat à sa réélection à la fin de l’année prochaine. Et vous ?

Le président Touadéra a fait une alliance avec les groupes armés. Les conditions ne sont pas réunies pour que l’on ait des élections sereines. Tous les partis politiques dénoncent cela.

Et vous, certains vous reprochent d’avoir fait alliance avec les groupes d’autodéfense du PK5, ce quartier à majorité musulmane de Bangui, dont vous êtes député.

C’est impossible de m’accuser parce que je suis né au Kilomètre 5. C’est là où j’ai grandi. Je n’ai pas d’autre résidence qu’au Kilomètre 5 et j’ai entrepris de pacifier le Kilomètre 5. Mais vous ne trouverez nulle trace d’une collusion de Meckassoua avec les groupes d’autodéfense !

Donc vous ne serez pas candidat en 2020 ?

Les conditions ne sont pas réunies pour qu’il y ait élection ! Pourquoi voulez-vous insister sur les élections ?!

Vous appelez au boycott ? C’est cela ?

Je n’appelle pas au boycott. Je parle comme E-Zingo Biani, pour qu’il y ait des conditions équitables, pour que tout le monde puisse aller à ces élections.

Donc aujourd’hui, vous vous positionnez dans l’opposition. Et si la plateforme E-Zingo Biani présente un candidat, vous le soutiendrez ?

Bien entendu, je me situe clairement dans l’opposition à la politique actuelle.

Et qui soutiendrez-vous ? Plutôt Nicolas Tiangaye, plutôt Anicet-Georges Dologuélé, plutôt Jean-Serge Bokassa… ? Un autre ?

Vous voulez désespérer mes partisans.

Vous serez candidat vous-même alors ?

Vous voulez désespérer mes partisans.

Donc vous n’excluez pas d’être candidat…

Je n’ai rien exclu et je n’exclue rien du tout.

Par Christophe Boisbouvier

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