RCA-ÉTAT VOYOU: DES JOURNALISTES ARRÊTÉS POUR FAIT DE REPORTAGE POURTANT LÉGAL

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S’il y’a un pays au monde où le reportage journalistique est bizarrement devenu un délit, ou le fait d’être présent à un lieu de manifestation autorisée ou non avec des appareils de reportage est un délit pour les journalistes concernés, c’est bien la République centrafricaine de Faustin Archange Touadéra.
S’il existe un pays au monde où les journalistes étrangers et internationaux régulièrement accrédités auprès du gouvernement à travers le ministère en charge de la Communication, peuvent être brutalisés, interpellés par les forces publiques et conduits à une unité spécialisée de la police où ils sont gardés à vue et dorment à même le sol, c’est encore la République centrafricaine.
S’il est un pays au monde où se présenter aux forces publiques comme reporter d’une agence de presse gouvernementale d’un pays étranger est un crime passible de maltraitance, de traitements inhumains, humiliants et dégradants, c’est toujours la République centrafricaine de Touadéra. Ceci, les journalistes français de l’AFP l’ont appris à leurs dépends et l’ont vécu avec la mort dans l’âme.
En effet, l’un des faits marquants des événements malencontreux du samedi 15 juin 2019 à côté du terrain de l’ex-UCATEX est l’embastillement et la garde à vue de deux journalistes de l’AFP qui ont l’habitude de venir à Bangui pour des enquêtes, reportages et interviews. Il s’agit des nommés Charles BOUESSELL et Florent VERGN.
Les deux journalistes de l’AFP ont été interpellés par les policiers de l’OCRB (la police anti-gang) ensemble avec l’ancien ministre Joseph Béndounga, l’un des organisateurs du meeting avorté. Ils ont été conduits d’abord à la direction générale de la police, là où le DG lui-même, le colonel Bienvenu Zokouè les a mis dans son véhicule de commandement pour les conduire à la Brigade criminelle, appellation courante nationale de la direction des services de la police judiciaire (DSPJ). Selon ses confrères français, ils sont régulièrement accrédités et n’ont fait que leur travail de reportage. C’est ce qu’ils font partout dans le monde d’ailleurs, même en Syrie ravagée par la guerre depuis huit ans, y compris en Algérie et au Soudan où la tension demeure très vive depuis la démission des présidents des deux pays.
«Nous avons été brutalisés et nos matériels de travail ont été sérieusement endommagés et détruits», ont rapporté les deux confrères au procureur de la République de Bangui qui a été les visiter et les interroger le samedi soir à la Brigade criminelle, accompagner de son substitut.
Ces journalistes arbitrairement arrêtés ont par ailleurs exigé la présence du ministre de la Communication pour témoigner qu’ils sont des journalistes de l’AFP régulièrement accrédités et qu’ils ne font que leur travail ici en Centrafrique.
Plusieurs sources proches du dossier ont déclaré que Béndounga et les deux journalistes français confondus ont été accusés d’incitation à la révolte et participation à une manifestation interdite. Ce que contestent les journalistes français qui rappellent les Conventions internationales et les liens de coopération entre leur pays la France et la République centrafricaine qui autorisent les journalistes des deux pays à se rendre dans l’un ou l’autre des pays pour des enquêtes, des reportages et des interviews qui sont des activités classiques et traditionnelles des journalistes.
Quand à Joseph Béndounga, il a déclaré avec sourire qu’il n’y a rien qui ressemble à l’incitation à la révolte dans sa présence et celle des autres à côté du terrain de l’ex-UCATEX. Il a d’abord affirmé que quelqu’un qui manifeste les mains nues ou avec un rameau n’est pas un révolté et ne peut en aucun cas constituer un danger pour le pays. Il a ensuite évoqué les dispositions des Articles 10, 14 et 15 alinéa 4 de la Constitution qui prévoient ce genre d’activité dans un Etat dit démocratique. Il a aussi évoqué les dispositions des articles 28 et 29 de la constitution qui interdisent l’usurpation de la souveraineté par coup d’Etat, rébellion, mutinerie, et qui interdisent aux auteurs et complices de ces genres d’activés d’exercer toute fonction publique dans les institutions de l’Etat. Tout citoyen ou groupe de citoyens a le droit et le devoir de s’organiser d’une manière pacifique, pour informer la population et mobiliser les citoyens pour faire échec aux groupes armés qui cherchent des raccourcis pour reprendre le pouvoir. Et c’est le sens de l’activité que la plateforme E Zingo Biani est en train de mener, a défendu Béndounga.
Au procureur de la République et au 1er substitut du procureur qui s’étaient rendus à la DSPJ le samedi soir pour interroger les gardés à vue, Joseph Béndounga a déclaré que le responsable du désordre est le ministre de la Sécurité publique qui a dans un premier temps autorisé la tenue du meeting avant de se rebiffer sans motif valable, alors que l’heure est grave avec les groupes armés qui contrôlent 80% du territoire national.
Le procureur de Bangui aurait dans un premier temps affirmé qu’il doit se référer au gouvernement pour le cas des journalistes français régulièrement accrédités en Centrafrique. Aussi bizarre que cela puisse paraître, dans les Etats dits démocratiques, la privation de la liberté d’un individu même pour une seconde est décidée par une autorité judiciaire et non par une autorité politique. Les journalistes français étaient assis à même le sol en ciment de la brigade criminelle, dépossédés de leurs documents officiels et de leur argent. C’est entre 20h30 et 21h que les journalistes français ont été mis en liberté et sont sortis de la Brigade criminelle sur autorisation de qui on ne sait. Cependant, leurs matériels de travail (caméras, photo numérique…) seraient irrécupérables. Cette situation ternie davantage l’image du régime Touadéra qui est en train de faire de la RCA une grande prison pour des journalistes.
Ce qui est arrivé à ces journalistes est le propre des Etats voyous où le simple reportage journalistique sur n’importe quel événement qui se produit dans un espace public donné est considéré comme un délit voire un crime par le pouvoir en place. Et nous oublions que le pays a ratifié plusieurs instruments juridiques internationaux qui garantissent la liberté de rechercher les informations, d’informer, d’exprimer et de diffuser les informations et opinions par la parole, la plume, l’image et tout autre moyen de communication. Même dans les grands pays de dictature comme la Corée du Nord, l’Iran, le Zimbabwé et l’Arabie Saoudite pour ne citer que ceux-là, les reportages sur les manifestations publiques autorisées ou non n’entrainent pas l’arrestation et la garde à vue des journalistes et professionnels des médias. Que penser dès lors de la République centrafricaine de Touadéra?
Affaire à suivre.
Jean-Bedel Dinga-Kpilé
Source: MEDIAS+

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