Présence de la Russie et du Groupe Wagner en Afrique: l’Algérie se rebiffe

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MONDE

Présence de la Russie et du Groupe Wagner en Afrique: l’Algérie se rebiffe

Alors que l’organisation paramilitaire russe continue d’étendre ses tentacules, au risque de déstabiliser encore davantage la moitié nord du continent, la diplomatie algérienne s’en inquiète officiellement pour la première fois.

Après une longue période de retenue, le gouvernement algérien a décidé de crever l’abcès. Le 2 mai 2024, le ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf s’en est plaint officiellement auprès de son homologue russe, Sergueï Lavrov, lors d’une rencontre à New York. Alger ne peut plus supporter la présence en Afrique, jugée menaçante, du groupe paramilitaire Wagner, rebaptisé depuis quelques mois «Africa Corps».

Comme attendu, la Russie n’a fait aucun commentaire public. Elle a néanmoins consenti, un fait rare, à former avec l’Algérie une commission mixte pour étudier la question. C’est un dilemme pour le pays du Maghreb. Comment continuer à être un allié stratégique de Moscou, au moment où ses intérêts sont menacés par l’influence grandissante d’une milice armée réputée pour ses exactions dans tout son voisinage en Afrique (Mali, Niger, Libye, etc.)? Que fera l’Algérie si jamais la Russie s’en lave les mains? L’universitaire algérien Toufik Bougaada estime que l’Algérie «se contentera de demander d’éloigner Wagner de ses intérêts vitaux à travers le continent».

Une peur refoulée

Il faut dire que dès le mois d’avril 2022, lors d’un échange avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken, qui avait fuité sur les réseaux sociaux, le président algérien Abdelmadjid Tebboune avait dénoncé en des termes on ne peut plus clairs la présence en Libye et dans la région du Groupe Wagner, en le désignant comme un groupe de «mercenaires».

Il en parlera encore, quelques mois plus tard, dans une interview pour Le Figaro fin décembre 2022, en regrettant les ressources investies par la junte malienne pour s’offrir les services des mercenaires du groupe russe. À la question sur son opinion quant à «la présence des hommes de la milice russe Wagner dans cette région», Abdelmadjid Tebboune avait simplement répondu«L’argent que coûte cette présence serait mieux placé et plus utile s’il allait dans le développement du Sahel.»

Dans une dépêche du 30 décembre 2022, relative à cette interview, l’agence publique Algérie Presse Service (APS) avait éludé le passage où le Groupe Wagner était mentionné. Signe que la question demeurait, encore jusqu’à cette date, un tabou en Algérie. Et dire qu’en octobre 2021, la presse française estimait qu’Alger «ne voyait pas d’un mauvais œil» le recours du Mali aux mercenaires du Groupe Wagner, afin de combattre l’offensive djihadiste dans la zone. En septembre 2023, l’apparition mystérieuse en Algérie de Sergueï Sourovikine, ancien général de l’armée russe, tout juste écarté en raison de ses liens avec Wagner, a nourri des spéculations qui confortaient cette thèse de connexions secrètes entre Alger et l’organisation paramilitaire controversée.

Qu’est-ce qui a fait réagir les autorités algériennes maintenant? A priori, la dégradation brusque et synchronisée des relations entre l’Algérie et ses voisins du sud, particulièrement le Mali et le Niger, suggère que les régimes dans ces deux pays, portés par des coups d’État successifs et lourdement soutenus par le Groupe Wagner, étaient mus par un sentiment de puissance qui les autorise désormais à s’en prendre à leur grand voisin du nord.

L’annulation par la junte malienne de l’accord de paix d’Alger, signé en 2015 entre le gouvernement de Bamako et les groupes rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad qui régnaient sur le Nord-Mali, sera le premier acte de cette animosité ouverte entre les deux pays. Cette décision a été prise, faut-il le souligner, au lendemain de la prise de la ville de Kidal (nord-est du Mali) par l’armée malienne, aidée par les mercenaires du Groupe Wagner.

Telle une toile d’araignée

La résurgence du conflit avec les groupes rebelles du Nord-Mali a poussé les différentes factions de la Coordination des mouvements de l’Azawad (réputés proches d’Alger) à se réorganiser et créer le 2 mai 2024 une nouvelle coalition, appelée Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad (CSP-DPA), pour faire face à l’armée malienne et ses alliés.

Cette rebuffade malienne sera vite suivie d’un coup de théâtre au Niger, qui a accusé l’Algérie de maltraiter ses ressortissants qui vivent sur son sol et qui a convoqué l’ambassadeur d’Algérie à Niamey, le 3 avril, pour protester officiellement. Au Niger, la présence russe est plus visible et plus assumée. Au début du mois de mai, des troupes de l’armée russe ont été autorisées à investir une base aérienne, située près de l’aéroport international de la capitale Niamey et occupée depuis longtemps par l’armée américaine (qui a, elle, été priée de quitter le pays par la junte militaire au pouvoir).

«La présence de Wagner ne peut qu’aggraver la situation dans la région, car cela ne fera que remplacer l’influence française par une influence milicienne.»

Bouhania Goui, spécialiste algérien en relations internationales 

Cela dit, ce qui justifie davantage la colère d’Alger, c’est la présence des mercenaires de Wagner signalée également près de sa frontière avec la Libye, à l’est, aux côtés du maréchal Khalifa Haftar, foncièrement antialgérien. Galvanisé par le soutien que lui apportent les Émirats arabes unis, le commandant en chef de l’autoproclamée Armée nationale libyenne continue de contester la légitimité du gouvernement de Tripoli, qui est pourtant reconnu à l’international, et veut saper toute démarche de rapprochement avec Alger.

Profitant de l’instabilité qui règne dans la région, en partie due au retrait des troupes françaises et au repli des forces internationales, la Russie, à travers son organisation tentaculaire, s’est aussi infiltrée au Soudan depuis plusieurs années. L’organisation paramilitaire russe est là aussi aux côtés d’un général dissident, Mohamed Hamdan Dogolo, dit «Hemeti», qui menace de diviser le pays (déjà précédemment fractionné en deux).

Cette présence étend l’influence de la Russie en Afrique, qui va désormais du Sahel à l’est du continent, jusqu’en Érythrée dont la diplomatie est également proche de la Russie. Selon certaines sources et analyses, le Groupe Wagner mène des opérations dans près de trente pays à travers le monde.

Une histoire de pillages

Bouhania Goui, spécialiste algérien en relations internationales que nous avons interrogé, estime que l’Algérie «appréhende sérieusement le rôle que joue la milice russe Wagner dans les pays subsahariens». Il juge que cette présence «ne peut qu’aggraver la crise et hypothéquer les décisions politiques dans la région, car cela ne fera que remplacer l’influence française par une influence milicienne».

Pour notre interlocuteur, l’activisme incontrôlé du groupe paramilitaire russe est susceptible d’alimenter l’instabilité dans cette zone et de contribuer à l’apparition d’États faillibles. Le Mali en est un. Indubitablement, cette situation accentuera les menaces dites douces (migration clandestine) et dures (trafic d’armes, trafic de drogue, crime organisé) sur l’Algérie. Selon Bouhania Goui, l’Algérie s’en est plaint auprès du gouvernement russe, avec lequel elle tient néanmoins à garder «d’excellentes relations».

En plus de son rôle sécuritaire, la milice russe a accès à des richesses naturelles importantes, comme l’orle diamant ou le pétrole dans ces pays africains. Ces ressources aident à renflouer les caisses de l’État russe et à contourner les sanctions occidentales qui ont été instaurées contre Moscou en raison de la guerre en Ukraine.

Ce qui fait le plus peur à l’Algérie dans la conjoncture actuelle, c’est cette alliance objective qui se tisse, telle une toile d’araignée, sur toute l’étendue de la région (du Soudan à la Mauritanie, en passant par la Libye ou le Niger), entre la Russie et les Émirats arabes unis, avec une Chine plus conquérante que jamais, ces trois pays étant unis au sein du groupe élargi des Brics+.

Il y a comme un jeu caché entre de nouvelles puissances qui viennent «manger la carcasse de la Françafrique, l’empire néocolonial français en déclin, pour reprendre les mots du célèbre historien français Gérard Prunier»comme l’écrivait Courrier international en mars 2023. Il y a un peu plus d’un siècle, à la chute de l’Empire ottoman après la Première Guerre mondiale, les Français et les Britanniques s’étaient précipités pour se partager les territoires abandonnés par la Sublime-Porte (le nom du gouvernement ottoman), l’Algérie en tête.

SLATE

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