Paris-Bangui: Emmanuel Macron demande des garanties au président centrafricain Touadéra

0
1189

Paris-Bangui: Emmanuel Macron demande des garanties au président centrafricain Touadéra

Le président français a reçu son homologue centrafricain, le 5 septembre à l’Elysée, pour évoquer la situation politique, économique et sécuritaire à Bangui

Les présidents Macron et Touadéra, à l’Elysée.

Les présidents Macron et Touadéra, à l’Elysée.
© Sipa Press

La France s’est profondément réinvestie en Centrafrique ces derniers mois pour contrer les influences russe et chinoise. Le président de ce pays, Faustin-Archange Touadéra, était reçu ce jeudi matin à l’Elysée pour faire le point sur la relation bilatérale et évoquer l’avenir politique du pays à un peu plus d’un an d’une présidentielle qui suscite déjà beaucoup de convoitises.

Il a eu droit à un recadrage de la part de son homologue qui attend des résultats. Emmanuel Macron, selon l’AFP, a rappelé au président centrafricain son attachement à l’organisation d’élections libres et inclusives fin 2020. Il a ajouté que le partenariat entre la France et l’Afrique centrale était « indispensable notamment pour la sécurité avec les pays voisins. »

De son côté, le président centrafricain a insisté sur la souveraineté de son pays, qui s’est ouvert à la Chine et à la Russie, tout en louant le partenariat historique et privilégié de la France.

Depuis l’indépendance de l’ex Oubangui-Chari en 1960, la France a souvent fait la pluie et le beau temps dans ce pays. Son influence est réelle, même si elle avait fortement réduit son dispositif avant la crise de 2013. L’armée française forme et entraîne les forces armées centrafricaines (les « Faca ») quasiment sans discontinuer. Elle y a aussi conduit une demi-douzaine d’interventions militaires pour rétablir l’ordre ou protéger ses ressortissants dont la dernière est l’opération Sangaris, entre 2013 et 2016.

Cette opération a permis de faire baisser les tensions intercommunautaires et interconfessionnelles, notamment à Bangui. Mais les provinces du pays sont toujours contrôlées à 80 % par les groupes armés essentiellement crées par des anciens mercenaires des ex-présidents Patassé et Bozizé reconvertis en rebelles sans réelles revendications politiques. En février dernier, le gouvernement et 14 groupes armés ont signé un accord de paix à Khartoum, parrainé par la Russie et son allié d’alors soudanais dont l’exécution tarde à venir. L’Elysée a insisté, jeudi, pour le respect de cet accord par les groupes armés. Les forces internationales sont régulièrement prises à partie par les rebelles et les attaques contre la population civile se poursuivent – meurtres, viols, braquages, détentions arbitraires, attaques sur les personnels humanitaires – avec 10 à 70 violations de l’accord enregistrées chaque semaine par la Mission de l’ONU en République Centrafricaine (Minusca).

« Cet accord de Khartoum fait figure de leurre, explique Jean-Pierre Mara, député centrafricain. Un des chefs des groupes armés notamment issu de la communauté peule se dit demi-frère du président Touadéra. Si cette relation est avérée, elle expliquerait en partie l’impunité dont bénéficient ces derniers. Par ailleurs, en ayant signé un accord avec les groupes armés et installé des structures de son parti (le MCU) dans les zones occupées, le président pourra y faire campagne – ce que ne pourra pas faire l’opposition – et obtenir ainsi le soutien des populations pour la présidentielle de décembre 2020. En échange, il est prêt à continuer à leur offrir une immunité et leur permet de poursuivre leurs activités illicites  ».

Au nord du pays, les chefs de guerre peuls comme Bi Sidi Souleymane (alias Sidiki) et Ali Darrassa vivent de nombreux trafics et de taxes perçues sur les commerçants. L’opposition dénonce le non-respect de l’accord de paix alors que les groupes armés ont obtenu des postes au sein des institutions à Bangui. Sidiki est conseiller militaire du Premier ministre mais n’a pas facilité la mise en place des unités mixtes associant milices et Forces armées centrafricaines.

La Centrafrique reste le pays de l’économie illicite, notamment du commerce informel du diamant. Les maigres recettes de l’Etat proviennent des impôts sur les importations de marchandises transitant par le Cameroun

« Les chefs de guerre se sont engagés à Khartoum sur plusieurs actions politiques comme préalables à leurs entrées dans le gouvernement. Entre autre engagement, la dissolution de leurs groupes armés pour monter des partis politiques, poursuit Jean-Pierre Mara. Or, aucun de leur engagement n’a été respecté à ce jour !  » Le processus de désarmement ne progresse guère. Et les Faca, en cours de formation, restent cantonnés au sud du pays (notamment à Bangui et Kaga-Bandoro)… au grand dam des populations qui dénoncent l’incapacité des forces de défense et des troupes onusienne à les défendre.

La Centrafrique reste le pays de l’économie illicite, notamment du commerce informel du diamant. Les maigres recettes de l’Etat proviennent des impôts sur les importations de marchandises transitant par le Cameroun. Sans l’aide internationale, le pays ne pourrait s’en sortir. Paris insiste pour que l’Etat améliore sa gouvernance et cherche de nouvelles ressources. La France a proposé un appui pour structurer et formaliser la filière diamant dont le produit s’évapore clandestinement par toutes les frontières.

Face à la mal gouvernance, l’opposition et la société civile semblent prêtes à aller au bras de fer avec le pouvoir. Réunies au sein de la plateforme É Zingo Biani qui compte des hommes politiques comme Anicet-Georges Dologuélé, Jean-Serge Bokassa et Karim Meckassoua, elles envisagent de demander la destitution du chef de l’Etat. Elles tentent actuellement de rassembler une majorité des deux tiers à l’Assemblée nationale pour déposer un acte de mise en accusation pour« violation de serment », « affairisme », « homicides politiques » et « entretien de milices ». Le but est d’obtenir ensuite une destitution du chef de l’Etat par la Cour constitutionnelle et une comparution devant la Haute Cour de Justice.

Il sera toutefois difficile de rassembler le nombre d’élus nécessaires, certains restant fidèles au président Touadéra, d’autres estimant qu’il est contre-productif d’engager un bras de fer à un peu plus d’un an de la fin de son mandat.

La présidentielle est déjà dans toutes les têtes. Les proches du chef de l’Etat discutent actuellement du retour de l’ex président Bozizé, toujours en exil en Ouganda. Il pourrait lui être accordé le statut d’ex-chef d’Etat, incluant des émoluments, en échange d’un coup de pouce électoral.

« Le recensement n’est pas fait et ne peut être réalisé en l’état sécuritaire actuel, déplore Jean-Pierre Mara. On ne sait même pas qui pourra voter ». La cour constitutionnelle et l’Autorité nationale des élections sont accusées de partialité et de travailler à la réélection du chef de l’Etat. Un nouveau code électoral a été adopté, après moult discussion, mais beaucoup redoutent que le clan au pouvoir utilise l’identification à venir pour jouer sur la liste électorale. Dans le collimateur, la société Al Madina dirigée par Aziz Nassour, un diamantaire libanais très proche du clan Touadéra. Cette société a gagné de gré à gré le juteux contrat des cartes nationales d’identité, également convoité par une entreprise française.

L’attribution de contrats pour la confection de pièces d’Etat civil et autres documents officiels (permis, carte grise…) donnent lieu depuis trois ans à des querelles jusqu’au sein du pouvoir où les ministres s’opposent pour confier les marchés à des entreprises « amies ».

Mais l’opposition craint surtout qu’Al Madina aide le clan Touadéra à conserver le pouvoir en distribuant des cartes d’identité en priorité à leurs partisans. « L’ONU, l’Union africaine et la France n’auront plu aucun moyen de s’assurer que la présidentielle soit transparente », explique un diplomate européen.

D’après le code électoral, la nouvelle carte nationale d’identité est le document requis pour se procurer sa carte d’électeur. Son prix a été ramené à 6 000 francs CFA alors qu’Al Madina avait prévu de la faire payer 15 000 francs CFA. Toujours trop. Certains experts dénoncent une sélection par l’argent et craignent que de nombreux Centrafricains ne puissent accéder au document en raison de son coût. L’opposition redoute aussi que le clan au pouvoir se serve de cette carte d’identité pour recruter du « bétail électoral », notamment dans la zone des frontières avec le Tchad et le Cameroun, sous contrôle des chefs rebelles.

A Bangui, le président russe a nommé un nouvel ambassadeur en janvier, Vladimir Titorenko, qui semble avoir de meilleures relations que son prédécesseur avec les diplomates français

En ayant ouvert son pays à la coopération militaire russe et chinoise, le président Touadéra mise sur une garantie que le Conseil de sécurité de l’ONU ne lui soit pas hostile. La France s’est inquiétée de l’investissement russe en Centrafrique et de la présence nombreuse de « contractors » de Wagner, la société d’Evgeny Prigogine, un proche du Kremlin qui opère aussi en Syrie. Jusqu’à une période récente, la France redoutait aussi les critiques dont elle a été l’objet dans la presse et les réseaux sociaux. Elle a vu la main de la Russie dans cette opération de French bashing, via le financement de médias locaux. « Les attaques contre la France sont moins nombreuses, poursuit le diplomate européen. La reprise du dialogue franco-russe y est certainement pour quelque chose même si Vladimir Poutine ne maîtrise pas forcément tous ses services de renseignement sur le terrain ».

A Bangui, le président russe a nommé un nouvel ambassadeur en janvier, Vladimir Titorenko, qui semble avoir de meilleures relations que son prédécesseur avec les diplomates français. Moscou fait aujourd’hui profil bas. Les contractors de Wagner ont beaucoup été critiqués pour leurs frasques nocturnes. Ils sont aujourd’hui plus discrets, restant cantonnés entre le Camp de Roux à Bangui et l’ex palais de Bokassa à Berengo. « Les Russes sont présents dans le commerce de l’or, du diamant et de la viande », ajoute le diplomate européen. Convoitant les ressources du pays, les chinois ont, quant à eux, acquis des concessions pétrolières et minières.

« Peu importe l’issue de l’accord de Khartoum, nous devons refuser la reproduction des comportements qui génèrent l’injustice sociale et qui empêchent l’adhésion de tous derrière un programme de reconstruction à mettre en place par consensus », conclut le député Jean-Pierre Mara.

Source : www.lopinion.fr

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici