OPÉRATION « A MOLENGUÉ TI ÉCOLE KOUDOUKOU »

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M. Jean-Paul Enza, citoyen Centrafricain, Gestionnaire adjoint dans un lycée du département du Val de Marne, a été ce jour au centre des échanges chez Mbi la gué. Un plaisir que d’entendre ce grand homme nous parler de son Projet Opération « A Molengué ti école Koudoukou » et d’aborder certaines questions sur l’Education Nationale, sujet cher à la rédaction.
Avec quelques compatriotes à lui, M. Enza s’attèle à redorer le blason de son école d’enfance, celle qui lui a donné sa première instruction.
Suivons-le.

Depuis plusieurs mois vous êtes très engagé sur une opération appelée OPÉRATION A MOLENGUÉ TI ÉCOLE KOUDOUKOU. Expliquez-nous.
Cette action aurait pu porter un autre nom tel « A moléngué ti KM5 » en lien avec ce grand favela du km 5 qui part du pont Jackson, Bea Rex, Fatima, Gbaya Dombia jusqu’à Malimaka, ce qui était trop vaste mais nous l’avons baptisé « A moléngué ti école Koudoukou » tout simplement parce que cette grande école et la plus vielle école de la capitale a formé plusieurs de nos concitoyens qui sont aujourd’hui des cadres. Cette école est aujourd’hui dans un état où elle a besoin d’aide de la part de tous ceux et celles qui l’ont fréquentée. Je dirai que cette école attend son retour sur investissement.

Comment a commencé cette aventure ? De quel constat est-elle partie ?
L’idée a germé dans des échanges entre ressortissants du KM5 en France d’abord et au cours de ces échanges, il se trouve que bon nombre viennent de l’école koudoukou. Au fil du temps, compte tenu du temps, de nos responsabilités et de nos agendas, trois personnes dont Aimé Sylvestre qui est Administrateur des hôpitaux à l’Hôpital Quinze Vingt à Paris, Cyrille ZAOLO qui est Logisticien et moi-même avons commencé à dessiner le projet.
Le constat était simple, la crise qui a secoué le pays est passée par là, la capitale Bangui n’y a pas échappé et l’Ecole Koudoukou et ses élèves étaient l’épicentre de cette crise. Je ne vous raconte pas la suite de l’histoire.
Nous avons ainsi décidé de penser à mettre en place une action en faveur de cette école. J’ai proposé de récupérer des ordinateurs, des logiciels didactiques et des livres puisque j’en avais la possibilité. Cyrille, lui, était disposé à les faire acheminer puisqu’il va une fois par année à Bangui pour ses affaires.

Expliquez-nous chaque étape, les difficultés, les challenges ?
La première étape a été la récupération des matériels qu’on faisait au fur et à mesure de ce que l’on pouvait. Avec l’aide des réseaux sociaux, nous avons reçu le soutien d’une grande importance de la part d’un autre compatriote Gestionnaire adjoint dans un lycée dans le Val de Marne qui nous a fournis des livres mais de niveau secondaire, des didacticiels.
Nous avons lancé une cagnotte et votre site d’info a relayé les informations et je vous en remercie. Cette cagnotte n’a pas donné grand-chose et je comprends que la générosité des centrafricains a été souvent sollicitée pour des cas plus graves. Je remercie ici mon amie madame Hélène BOGANDA et son association Fraternité Boganda, Chris Can, de généreux compatriotes de France et un autre qui est à Dakar. Cette cagnotte permettra de mettre aux normes les installations électriques de cette école pour un bon usage de ces ordinateurs.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?
J’avais eu l’occasion de dire dans une interview donnée à la radio NDEKE LUKA, le 4 juillet 2018, que lorsque tout sera prêt et fini à notre niveau, ces matériels arriveraient à Bangui et à l’Ecole Koudoukou. A ce jour Cyrille a fait acheminer tous ces matériels en direction de Bangui. A l’heure où je vous parle il est à Douala pour réceptionner le conteneur qu’il ramera sur Bangui. Dès l’arrivée de Cyrille avec tout le matériel, une cérémonie officielle sera organisée pour la remise. Je reviendrai sur les réseaux sociaux pour vous informer.

Parlez-nous de votre travail pour le Ministère de l’Education Nationale.
Je fais partie du corps de l’administration scolaire et universitaire et j’occupe un poste de Gestionnaire adjoint dans un lycée du département du Val de Marne.

Nous constatons comment la plus part des enfants d’origine centrafricaine réussissent brillamment leur scolarité en France. Comment pouvons-nous expliquer cela ?
A titre personnel, je ne suis pas étonné du fait que je fais partie de cette grande institution qui est l’Education Nationale, depuis plus de 20 ans. Cette réussite s’explique tout simplement par l’encadrement qu’offre l’institution d’une part et le suivi des parents qui ont à cœur la réussite de leurs enfants d’autre part. Il faut dire que c’est une chance pour nous qui venons d’ailleurs. Tous les parents consciencieux doivent saisir cette opportunité et accompagner leurs enfants pour leur offrir un avenir meilleur.

Quel constat de la politique nationale en matière d’Education Nationale en Centrafrique?
Une très bonne question. Je n’ai pas tous les éléments mais je me pose la question comme vous. A ce jour je ne connais pas la politique publique en Centrafrique en matière d’éducation.
De là où je suis, je vois et ressens la politique publique en matière d’éducation avec les réformes qui sont sans cesse organisées par notre ministère de tutelle. Je prends pêle-mêle, la réforme du système APB au PARCOURS’SUP dédiée aux bacheliers leur permettant un choix de filière de formation après le baccalauréat, le projet REUSSITE POUR TOUS pour les élèves défavorisés etc.

Quelles sont les principales réformes qu’il faudrait instaurer pour rehausser le niveau dans les écoles, collèges, lycées et à l’université en Centrafrique?
Il ne faut pas se le cacher, le niveau de l’enseignement en Centrafrique mérite une grande réforme. Je l’ai déjà dit en 1996. Je vous demande de faire un tour à l’Université de Bangui qui pour moi est devenu un grand collège pour vous en rendre compte. Je ne voudrai pas créer la polémique mais ça crève les yeux.

Avez-vous un projet en matière d’éducation qui vous tient à cœur pour la Centrafrique?
Les projets ne manquent pas. Nous sommes plusieurs d’origine centrafricaine dans le système éducatif aussi bien dans l’administration, dans le corps des personnels de directions et d’encadrement que d’enseignants. Je ne connais pas un à qui les pouvoirs successifs ont contacté pour faire des propositions. Et pourtant les volontaires ne manquent pas car je ne voudrai pas citer de noms.
Je vous raconte une anecdote : un matin du 19/08, je reçois une alerte suite à la réforme des lycées que des milliers de livres allaient être mis au rebus. Une association de la RDC avec l’appui de la PEEP était sur la ligne pour récupérer ces bouquins pour les envoyer en RDC. J’en parle avec un responsable du ministère de l’éducation chez nous, je reçois cette réponse: « La RCA et ses élèves ne sont pas des poubelles pour recevoir des livres obsolètes »
Ce pays et son système ont besoin de réforme et pour cela ce pays aura besoin de tous ses enfants d’où qu’ils se trouvent. Il suffit de réunir toutes les âmes de bonne volonté autour d’une table et d’en parler.

Il faut un autre système sinon refonder notre système éducatif. Je prends quelques exemples : qu’est ce que l’on propose aux élèves qui
1. n’ont pas réussi par deux fois le concours d’entrée en 6ème ;
2. ceux qui n’ont pas réussi leur brevet de collège et qui quittent le collège ;
3. ceux qui n’ont pas obtenu le Bac ;
4. ceux qui ne peuvent pas franchir le cap d’une première année de la Fac etc.

On appelle cela tout simplement de la DEPERDITION. Voilà des sujets de réflexion pouvant faire l’objet d’un séminaire.
Quand j’évoquais ces questions en 1996, les autorités de l’époque disaient que j’étais fou. Trente ans aujourd’hui qui a raison ?
Si rien est fait, l’on ne pourra jamais et au grand jamais retrouver dans l’élite nationale, un enfant né à Zémio, Obo, Carnot, Berbérati, Bouca, Gbassoré, Ouadda, Birao… Un enfant du quartier Kidjigra, Sangbada, Tokoyo, Nguendjé, Kantanga ne quittera jamais son quartier pour accéder à la capitale Bangui par la voie des études qui devait être le seul ascenseur social pour les milieux défavorisés.
A titre personnel, j’en ai profité, donc je le souhaite pour tous les jeunes enfants de mon pays, notre pays, la République Centrafricaine.
Le meilleur investissement est celui de l’éducation et de la formation. D’autres pays ont compris cet enjeu. A nos autorités de prendre le taureau par les cornes.

Quelle analyse faites-vous de la situation politique, sécuritaire, sociale et économique du pays ?
Sans langue de bois, je suis dépassé. Je n’ai pas tous les éléments du dossier mis à part ce que l’on lit sur les réseaux sociaux mais je suis meurtri dans mon cœur avec ce qui se passe dans mon pays. Je ne comprends rien à ces accords signés je ne sais pas combien de fois pour tenter de ramener la paix. Visiblement, on n’a toujours pas trouvé le bon accord

Un dernier mot, un message ?
Un seul message, une seule prière: QUE LA PAIX REVIENNE DANS MON PAYS ET QU’IL RETROUVE SA PLACE AU SEIN DU CONCERT DES NATIONS

Propos recueillis par Lydie NZENGOU OUMAT-GUERET

Source : Mbi la Gué

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