« Nous sommes devant des personnes qui ont renié leur serment »(Martin Ziguélé, opposant)

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« Nous sommes devant des personnes qui ont renié leur serment »(Martin Ziguélé, opposant)

Les élections municipales et le premier tour des élections régionales auront lieu en octobre 2024 en Centrafrique. À quelques quatre mois de ces joutes électorales, l’opposition pose ses conditions pour des élections libres et transparentes. Elle  exige par ailleurs la réforme de l’Autorité Nationale des Élections (ANE), l’organe chargé de superviser les processus électoraux de la RCA

Dans cet entretien exclusif, l’opposant et ancien Premier ministre centrafricain insiste sur la mise ne place des conditions d’une élection inclusive.

Lesnouvellesdafrique.info : Martin Ziguélé bonjour. Vous êtes le chef de file de l’opposition en Centrafrique. Pourquoi l’opposition centrafricaine tient à une réforme de l’Autorité Nationale des Élections (ANE) avant les élections locales ? Est-ce un manque de confiance vis-à-vis de cet organe chargé de superviser les élections ?

Martin Ziguélé : Je voudrais d’abord dire que je ne suis pas le chef de file de l’opposition. Je suis plutôt Président d’un parti politique de l’opposition démocratique. Si on peut prendre comme critère de chef de file de l’opposition, le nombre de députés à l’Assemblée nationale, nous sommes en ex-aequo avec l’un des partis politiques de l’opposition. Et si on prend les scores aux présidentielles, celui qui vient avant moi, c’est Anicet Georges Dologuélé. Donc je ne peux pas me revendiquer chef de file de l’opposition et je voudrais que cela soit clair.

Deuxièmement, si nous avons décidé de ne pas faire confiance à l’Autorité nationale des élections, qui est la structure chargée des élections, ce n’est pas par caprice, mais c’est tout simplement parce que nous avons tiré les leçons de l’histoire. L’Autorité nationale des élections est composée théoriquement d’experts indépendants. Mais lors des dernières élections, il nous a été donné de constater que, en fait, c’était des personnes qui travaillaient dans un sens, celui du pouvoir.

Et je vais vous donner un simple exemple : il y a un article du code électoral qui dit que lorsque les opérations électorales sont terminées et que les procès-verbaux sont signés, il faut que l’ensemble des candidats concourant à la présidentielle aient une copie des procès-verbaux sous peine de nullité des résultats dans ces bureaux-là. Et tenez-vous bien, aucun d’entre nous qui allions aux élections en 2020/20 21 contre Faustin-Archange Touadéra, aucun d’entre nous n’a eu le procès-verbal de ces résultats par bureau de vote. Donc nous ne connaissons pas nos propres résultats jusqu’à ce jour.

Et c’est l’Autorité nationale des élections qui nous a affecté des résultats et nous sommes censés les accepter. Et lorsque nous avons saisi la Cour constitutionnelle avec cet argument de droit que nous n’avons pas inventé, qui est la loi, mais il n’a pas été tenu compte de notre requête. Ainsi, nous avons estimé que ces deux institutions-là ne peuvent pas concourir à la manifestation de la vérité des urnes. Donc, il n’y a pas de transparence et nous ne pouvons pas aller à des élections juste pour faire plaisir à qui que ce soit. Nous allons aux élections parce qu’un parti politique aspire à accéder au pouvoir par le biais des urnes. Et si les élections ne sont ni transparentes, ni fiables, ni crédibles, l’exercice n’a aucun sens.

Lesnouvellesdafrique.info : La RCA est dirigée par Faustin Archange Touadera qui a récemment fait modifier la Constitution par référendum pour s’offrir un nouveau mandat très controversé. Et l’opposition n’a pas pu l’empêcher de le faire. Qu’avez-vous alors comme moyen de pression pour exiger la réforme de l’ANE ?

Martin Ziguélé : D’abord, par rapport à ce référendum constitutionnel, c’est un hold-up, c’est un coup d’État constitutionnel, il faut le dire, parce que la Constitution du 30 mars 2016 n’autorisait pas de révision sur un certain nombre de points et encore moins de changement de la Constitution parce qu’aucune procédure n’était prévue pour changer la Constitution. Donc l’artifice pour le pouvoir a été de dire que c’est le peuple naturellement qui l’a appelé à changer de Constitution. Alors que c’est le même peuple qui a voté massivement la Constitution du 30 mars 2016. Donc nous avons trouvé que c’était une entourloupe politique, c’était une escroquerie politique pour dire les choses clairement. Et nous ne reconnaissons pas cette Constitution et les institutions qui en sont issues naturellement.

Quels moyens de pression ? Nous avons des moyens de pression d’un parti politique : c’est la parole et l’action politique. C’est-à-dire mobiliser la population pour faire comprendre que nous sommes devant des personnes qui ont renié leur serment. Des gens qui font de l’escroquerie politique, comme je venais de le dire tantôt, et que nous ne pouvons pas encourager cela en tant que parti qui aspire à diriger un état de droit en respect des lois. Nous ne pouvons pas accepter une violation de la Constitution et nous engouffrer dans cette brèche-là pour consacrer la violation de cette constitution.

Lesnouvellesdafrique.info : La nouvelle Constitution, adoptée suite à un référendum en juillet 2023, a été critiquée pour avoir exclu les binationaux de la possibilité de se présenter à une élection. Comptez-vous revenir sur ce sujet aussi controversé que le troisième mandat du président Touadéra ?

Martin Ziguélé : Mais oui, mais vous aurez compris que l’objectif du président Touadéra, c’est d’obtenir un troisième mandat et de s’éterniser au pouvoir, comme il l’a vu ailleurs. D’autres ont tenté et la pilule a été avalée. Donc il veut tenter la même chose en Centrafrique. Sauf que là, nous avons dit que s’il veut être empereur, parce que la République centrafricaine, c’était un empire sous Bokassa et le MLPC est né dans la lutte contre l’Empire, s’il veut être empereur dans une République, il le fera sans nous. C’est-à-dire que nous n’allons pas cautionner cette démarche-là.

C’est pour ça que nous résistons par la parole, par l’action politique, par la mobilisation de la population pour que cette supercherie soit dénoncée.

Quand vous parlez de binationalité dans cette Constitution, ce n’est pas le seul problème. Le problème le plus grave, c’est qu’on divise les Centrafricains en plusieurs catégories. C’est-à-dire qu’il y a des Centrafricains qui seraient des Centrafricains d’origine. C’est-à-dire de père et de mère centrafricains et d’autres qui ne seraient pas des centrafricains d’origine. C’est la première fois au monde qu’on voit une Constitution consacrer la division des fils et des filles du pays en catégories de personnes. Aujourd’hui, au XXIe siècle, nul ne peut comprendre cela.

Donc, c’est une Constitution raciste et raciale qui divise les enfants du pays.Et en plus, pour accéder à de hautes fonctions politiques et militaires, il faut être centrafricain d’origine, c’est-à-dire être centrafricains nés de père et de mère centrafricains d’origine, alors qu’on sait que la République centrafricaine n’existe juridiquement sur le plan international que depuis l’indépendance en 1960.

C’est à ce moment que le pays est devenu sujet de droit international. Avant cela, c’était un territoire, une possession française. Donc là également, c’est une absurdité sur le plan juridique parce qu’avant 1960, il n’y avait pas de Centrafricains et nos parents sont nés avant 1960, donc ils ne sont pas centrafricains. Les Centrafricains n’existent que depuis que la République centrafricaine existe en droit. Donc ce sont des incongruités. Et cela explique pourquoi le projet de Constitution a été caché au peuple. On n’a pas eu copie de la Constitution. C’est à une semaine ou dix jours après le début du référendum qu’ils ont distribué le texte de manière restreinte.

Donc beaucoup de Centrafricains ne savent pas que cette Constitution est une Constitution, en fait, qui divise, qui sépare, qui consacre l’apartheid comme en Afrique du Sud sous les Boers, il y avait des Noirs, la majorité, qui ne pouvaient pas voter parce qu’ils étaient étrangers dans leur propre pays.

Lesnouvellesdafrique.info : La RCA est devenu un terrain d’expérimentation et d’opération, par excellence, des mercenaires Russes qui exploitent aussi les ressources minières et forestières du pays. Vous êtes aussi impuissants face à cet état de fait non ?

Martin Ziguélé : Nous avons plusieurs fois interpellé le gouvernement par des conférences de presse et des déclarations. Nous avons condamné et nous condamnons, chaque fois que nous le pouvons, la présence et l’utilisation des mercenaires Wagner dans notre pays.

C’est l’exemple le plus achevé de la division du pays, de la subordination du pays à des intérêts étrangers et dans le domaine militaire et de la sécurité.

Donc, c’est quelque chose que nous condamnons, mais comme je vous l’ai dit, les limites de l’action politique, c’est que vous n’avez que la parole et la mobilisation des populations.

Et si vous avez en face un gouvernement autiste qui met en avant ses intérêts personnels, naturellement, la bataille, la lutte sera longue et dure, mais le peuple aura un jour raison. Il pourra récupérer sa souveraineté aussi bien sur ces ressources que dans d’autres domaines qui relèvent de la souveraineté nationale.
Aujourd’hui, Wagner exploite une mine d’or qui est la plus grande au pays et peut-être même la seule dans le monde qui a dix tonnes de réserves, d’à peu près 2 milliards et demi de dollars.

Lesnouvellesdafrique.info : La mine d’or de Ndassima, c’est bien ça ?

Martin Ziguélé : Oui et si vous mettez en face un pays dont le PIB est à peu près de 2 milliards et demi ou trois milliards de dollars des États-Unis, cela veut dire que c’est l’équivalent de toute la richesse nationale qui a été donnée à un groupe en rétribution d’actions de soutien et par des mercenaires. Or, sur le plan du droit international l’utilisation de mercenaires est condamnée , notre pays a souscrit à ces conventions internationales. Donc on viole le droit international et la souveraineté populaire.

Lesnouvellesdafrique.info : A côté des supplétifs russes, plusieurs membres de la société civile accusent aussi le Rwanda qui y a déployé des militaires, d’exploiter les ressources de la RCA au détriment des populations. La RCA est-elle devenue un pays sous contrôle d’autres Etats ?

Martin Ziguélé : Je me permets d’apporter la précision. Le Rwanda est un État qui coopère avec la RCA comme État également et les troupes rwandaises sont venues dans le cadre d’un accord bilatéral. Donc, il est difficile de contester la légitimité de cette démarche, d’avoir des accords bilatéraux avec un pays africain pour vous aider militairement ou économiquement ou financièrement ou sur d’autres plans.

Maintenant, par rapport à la question de l’exploitation des ressources, c’est ce que nous entendons, mais nous n’avons pas de preuves, comme dans le cas des Wagner. On n’a pas une documentation précise, on entend des allégations d’achats de terres, de commerce dans le domaine minier, et cetera. Il faut que nous ayons des éléments probants, des éléments de preuves avant d’affirmer qu’ils se livrent à la même opération que les Russes.

Lesnouvellesdafrique.info : Pour en revenir aux élections locales en vue, si vos exigences ne sont pas totalement satisfaites, que comptez-vous faire ?

Martin Ziguélé : Nous avons dit et répété que nous n’irons pas aux élections locales si la question de la Constitution que nous considérons comme un hold-up électoral n’est pas réglée.

Si l’affaire de l’autorité nationale des élections et de la cour constitutionnelle ne sont pas réglées nous n’irons pas aux élections locales. Nous l’avons dit avant le référendum constitutionnel, en mai 2023. Et nous le réaffirmons chaque fois que l’occasion nous est offerte pour le dire. Et tous les acteurs nationaux et internationaux connaissent parfaitement la position de l’opposition démocratique réunie au sein du Bloc républicain pour la défense de la Constitution, dont je suis humblement le porte-parole.

Lesnouvellesdafrique.info : Enfin, Martin Ziguélé, quel regard portez-vous sur la communauté internationale en ce sens qu’un on a l’impression qu’elle regarde la RCA de loin pour ne pas dire qu’elle a détourné son regard de cette crise politique. Car les autorités centrafricaines ne subissent aucune pression de la part des partenaires internationaux pour que des élections libres et transparentes soient organisé dans votre pays. Quel regard portez-vous sur ça ?

Martin Ziguélé : Vous avez fait le constat que je partage. Vous savez que la communauté internationale est composée d’États ou d’organisations qui ont leurs propres intérêts et leur propre agenda. Nous, nous nous battons pour l’intérêt du peuple centrafricain.

Quelle crédibilité peut avoir une opposition qui avaliserait donc une constitution issue d’un coup d’État, d’une démarche anti juridique ? Je vous rappelle que la présidente de la Cour constitutionnelle à l’époque , ce n’est pas moi qui le dis, a rendu un arrêt de la Cour constitutionnelle qui est insusceptible de recours et qui a dit que le processus de changement et de révision de la Constitution étaient des processus illégaux. Elle a été limogée, mise à la retraite avec un autre juge constitutionnel et parce qu’elle a dit le droit. et des partis politiques de l’opposition vont faire le contraire ?

Nous cherchons à construire un État de droit et un État de droit, c’est quoi ? C’est un État qui fonctionne selon la Constitution et les lois qui en découlent et qui respecte également les lois, les conventions internationales qui sont une norme au-dessus des lois nationales.Donc nous voulons construire un État de droit. Et nous, nous nous battons par rapport aux intérêts du peuple centrafricain.

Lesnouvellesdafrique.info : Merci Martin Ziguélé.

Martin Ziguélé : C’est moi

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