Nation : M. Touadéra, « …On entend des pleurs amers » (Jer 31,15) !

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Message des Evêques de Centrafrique à l’Eglise Famille de Dieu, aux hommes et aux femmes de bonne volonté.

Chers frères et sœurs en Christ et vous tous hommes et femmes de bonne volonté,

En ce début d’année 2018, nous vous adressons nos meilleurs vœux de justice et de paix, de réconciliation et de prospérité. « Rendez grâce au Seigneur car il est bon, car éternel est son amour » (Ps 106,1).

Trois jours après Noël, à la fête des Saints innocents, Matthieu dans son Evangile dénonce l’injustice et l’atrocité du tyran Hérode (Mt 2,13-18). Il cite le cri d’angoisse de Rachel, la femme du patriarche Jacob, qui manifeste la peine émotionnelle de tout son peuple : « Une voix dans Rama s’est fait entendre ; des pleurs et une longue plainte ; c’est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas qu’on la console, car ils ne sont plus » (Mt 2,18 ; cf Jr 31,15). En tant que matriarche, Rachel pleure devant les ruines de sa nation détruite par des ennemis venus d’ailleurs. C’est avec peine et chagrin qu’elle voit que ses descendants sont tués ou conduits en exil. Elle craint qu’Israël ne puisse plus exister comme une nation. L’image de Rachel qui pleure ses enfants, traduit parfaitement celle de la nation centrafricaine, qui continue de vivre des moments douloureux, du Nord-Ouest au Sud-est comme l’effet d’un incendie. Allons-nous continuer à nous entretuer ? Y a-t-il de vraies voies de sortie de la situation tragique du peuple centrafricain ? Quelle espérance pour notre pays en ce début d’année ?

  1. ESPOIR ET DESESPOIR POUR NOTRE PAYS

Nous sommes certes conscients de tous les efforts de consolidation de la paix au niveau national avec le début du rétablissement de l’Autorité de l’Etat, à travers la nomination des Préfets et Sous Préfets. Nous soutenons la collaboration de notre Gouvernement avec la Communauté internationale qui a abouti à la mise en place de la Cour Pénale Spéciale (CPS) et le rétablissement progressif du système judiciaire et pénitentiaire. Nous saluons la visite du Secrétaire Général des Nations-Unies en RCA qui nous a ravivé cet espoir d’une sortie de crise sans oublier la levée partielle de l’embargo qui pourrait conduire au redéploiement de nos forces armées à l’intérieur du pays.

Nous apprécions l’élaboration du Plan national de Relèvement et Consolidation de la Paix 2017-2021 en RCA (RCPCA) préparé par le Gouvernement, avec l’appui de l’Union Européenne, l’Organisation des Nations Unies et de la Banque Mondiale et approuvé par l’Assemblée Nationale. Nous comptons sur la bonne gestion de ce projet au cours de ce quinquennat pour relever les défis de pauvreté et du sous-développement. Nous estimons l’engagement du Gouvernement à éponger les arriérés de salaires des fonctionnaires, des agents et prestataires des services de l’Etat ainsi que les pensions des fonctionnaires retraités.

Cependant, sur le plan social, les événements douloureux survenus ces derniers temps dans certaines préfectures comme le Haut-Mbomou, Mbomou, Haute-Kotto, Basse-Kotto, Ouaka, Nana-Gribizi, Ouham, Ouham-Pendé et Nana-Mambéré, nous font croire que notre pays continue de s’enfoncer dans l’abime. Les meutes armées créent toujours l’anarchie et imposent leurs lois, aux populations civiles fatiguées, qui ne savent plus d’où leur viendra le secours. Dans nos diocèses nous sommes témoins au quotidien de cette triste réalité et déplorons le fait que notre pays soit toujours sous l’emprise des bravades et des intrusions des milices armées qui ne veulent pas que la guerre s’arrête.
Les bandes armées se livrent encore à des razzias et des massacres, des viols et des rackets des populations civiles. Des villages sont vandalisés et brulés. Des habitants sont torturés et tués sans vergogne. Une partie de la population est constamment en fuite dans la brousse ou terrée sur les sites des déplacés ironiquement appelés « Ledger ». Aussi, nous sommes témoins du pillage massif et organisé des ressources naturelles du pays au moment où le peuple centrafricain croupit dans une pauvreté et une misère indescriptible.
Sur le plan sécuritaire, les autorités peinent à assurer la sécurité et rétablir l’Etat de droit en Centrafrique. Nous assistons aux actes de défiance de l’Autorité de l’Etat à travers la destruction des édifices administratifs : incendie de la résidence du Préfet, des bâtiments de la Préfecture et du Tribunal, causant ainsi de nombreuses victimes innocentes parmi les populations civiles. A titre d’exemple, les cérémonies d’installation des Autorités de l’Etat et des Autorités locales dans les préfectures qui sont restées sous contrôle des groupes armés sont constamment boycottées par des ultimatums et des violences contre les personnes et les biens. En outre, nous regrettons la lenteur et l’inaction de certains contingents de la MINUSCA dans leur rôle de maintien de la paix. Nos populations souhaitent ardemment le redéploiement de nos forces de défense et de sécurité ; malheureusement, à peine redéployés, certains éléments de ces forces excellent déjà dans les ‘‘rackets’’ ironiquement appelés formalités, au même titre que les groupes armés.

Sur le plan politique, les partis politiques devraient permettre aux citoyens de s’exprimer et jouer efficacement leur rôle dans la construction de la démocratie et la reconstruction de notre nation. Mais, depuis les élections jusqu’à ce jour, certains partis politiques sont restés très faibles et d’autres inexistants. Des leaders politiques s’investissent positivement dans la recherche de leur propre intérêt que celui du peuple. Nous constatons que le processus Désarmement, Démobilisation, Réinsertion et Rapatriement (DDRR) appuyé par la Communauté Internationale tarde à se matérialiser.

Sur le plan éducatif, nous pensons que le déficit en matière d’éducation représente une seconde crise et un esclavage plus dévastateur et de longue portée. L’avenir des enfants de notre pays est incertain et très sombre. À titre d’exemple, on compte sur le site des déplacés de Batangafo, 3 523 enfants de 3 à 18 ans non scolarisés. De même, à Alindao sur le site de la Cathédrale, 3 693 enfants vivent dans les mêmes conditions. Les jeunes filles et garçons sont exposés à toutes sortes de violence entre autres, les abus sexuels de toutes sortes et l’enrôlement forcé dans les groupes armés. Par ailleurs, les écoles publiques sont souvent abandonnées au profit des écoles privées ou catholiques (ECAC) qui auraient d’enseignants qualifiés. Face à cette situation, il ne reste aux parents que les larmes…Ce même constat peut se faire sur tous les autres plans.

  1. DENONCIATIONS ET PISTES DE SOLUTION
  2. a) Dénonciations
    Fidèle à sa vocation, l’Eglise Catholique s’évertue toujours à éduquer les populations d’après son enseignement. Cette vocation est sanctionnée par le législateur ecclésiastique au canon 747, surtout dans son § 2, du Code du droit canonique en vigueur qui dit : « Il appartient à l’Église d’annoncer en tout temps et en tout lieu les principes de la morale, même en ce qui concerne l’ordre social, ainsi que de porter un jugement sur toute réalité humaine, dans la mesure où l’exigent les droits fondamentaux de la personne humaine ou le salut des âmes ».
    Nous, Evêques de Centrafrique, condamnons :
    – Le non-respect de la Constitution par des ennemis de la paix ;
    – Des terribles exactions commises contre la population civile se trouvant dans les régions sous la coupe de diverses milices ;
    – L’agression lâche et criminelle de l’abbé Blaise Bissialo à la Paroisse Christ-Roi de Tokoyo à Bangassou et toutes les tentatives d’intimidation des agents pastoraux.

Nous dénonçons :
– Le manque de réactivité de certains contingents de la MINUSCA malgré leur mandat propre ;
– Le silence coupable et complice de certains élus dont les administrés sont réduits en esclavage par des groupes armés ;
– L’hypocrisie qui gagne la classe politique.

Nous dénonçons :
– Le manque de dialogue franc entre le pouvoir et l’opposition ;
– Le manque de vraie collaboration entre les différentes institutions de l’Etat ;
– Le désir d’enrichissement facile qui se manifeste à travers la confusion entre la chose publique et la chose privée, le clientélisme, les rackets des populations.

Nous dénonçons :
– Le dysfonctionnement des structures sanitaires, l’absence de certains médecins dans les hôpitaux au profit des cliniques privées et l’anarchie dans la vente des médicaments sur la place publique ;
– L’aggravation de l’analphabétisme ;
– La démagogie et le mensonge qui caractérisent certaines personnes travaillant dans nos institutions.

Nous dénonçons :
– La lenteur du processus DDRR et l’impunité généralisée ;
– La profanation des édifices religieux et des objets sacrés ;
– L’instrumentalisation de la crise par les médias et les réseaux sociaux, œuvres des ennemis de la paix qui tirent les ficelles dans l’ombre et exploitent la situation à leur profit.

Nous dénonçons :
– La manipulation du sentiment religieux par des personnes qui s’improvisent en gourous et prétendent avoir des solutions à tout problème ;
– La démission de certains leaders religieux de leur mission de bâtisseurs de la paix. Comme le dit Is 5,20 : « Malheur à ceux qui appellent le mal bien et le bien mal, qui font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres, qui font de l’amer le doux et du doux l’amer ».

  1. b) Quelques pistes de solutions

Vu l’état critique et alarmant de notre pays, nous appelons chaque composante de notre société à la raison et à la responsabilité pour que 2018 soit pour tous l’année de sortie de crise et de reconstruction de la civilisation de l’amour.

Nous encourageons le Gouvernement à promouvoir la bonne gouvernance, à renforcer sa politique et sa stratégie sécuritaire. Il revient au Gouvernement de tout faire pour assurer la sécurité des personnes et des biens surtout dans les régions sous contrôle de diverses milices armées. Quand allons-nous procéder à l’arrestation des seigneurs de guerre et accorder à leurs victimes le droit de bénéficier d’une réparation pleine et entière ? L’éducation ne devrait-elle pas être un des secteurs prioritaires pour garantir un avenir meilleur à notre nation ? N’est-il pas urgent de réorganiser le système de gestion du secteur sanitaire pour assurer à tous des soins adéquats et relever l’espérance de vie du centrafricain ?

Au nom de Dieu, nous demandons aux groupes armés de déposer les armes sans conditions intenables, afin de mettre fin aux crimes de tout genre et aux souffrances de nos compatriotes, aux pillages des ressources naturelles et au dysfonctionnement de l’Etat.
Nous invitons les partis politiques à taire leurs intérêts particuliers et à s’entendre sur l’essentiel pour favoriser l’unité et la reconstruction de la nation. Pour nous, le ressaisissement des hommes politiques et le dialogue inclusif dans la vérité peuvent conduire à la réconciliation et à la paix. La reconstruction du pays exige une rencontre et un dialogue permanent entre les leaders des partis politiques et les forces vives de la nation.

Nous interpellons la MINUSCA à développer une franche collaboration avec le Gouvernement, à faire un bon usage de son mandat afin de promouvoir la sécurité et la paix dans les zones qui sont encore sous occupation des groupes armés.

Nous encourageons la Communauté internationale à continuer à accompagner et soutenir le processus de paix en Centrafrique. Nous demandons aux Organisations Non Gouvernementales, où cela est possible, de passer de la phase des urgences à celle du relèvement et du développement.

Au Peuple centrafricain, nous disons que la sécurité est avant tout un engagement et une attitude personnelle, communautaire et nationale à travers des paroles, des actes et des comportements patriotiques (rejet de la haine, respect, unité, dignité, travail…). En outre, nous rappelons que la terre centrafricaine appartient à tous ses enfants. Soyons tous solidaires de nos frères et sœurs qui sont dans la détresse.

Chers frères et sœurs, notre Dieu écoute le cri de ses enfants et continue à jeter son regard bienveillant et protecteur sur nous. Il regarde avec compassion les pauvres, les veuves, les orphelins, aujourd’hui les déplacés et les réfugiés. Dans ces conditions, comment n’entendrait-il pas le cri des nombreuses « Rachel », ces mères qui pleurent continuellement dans notre pays ? Le psalmiste dit « Un pauvre a crié, le Seigneur écoute, et de toutes ses angoisses il le sauve » (Ps 34,7).

Rachel qui pleure, c’est la mère centrafricaine qui a perdu ses enfants enrôlés par les rebelles et tués par les forces négatives qui infestent notre pays.
Rachel, c’est cette veuve qui est restée sans soutien aucun et condamnée à s’occuper de ses enfants dans un environnement hostile et à haut risque.
Rachel, c’est la femme qui prend le risque d’aller au champ et au marché chercher de quoi nourrir sa famille, mais qui devient victime d’abus.
Rachel, c’est la fille qui n’arrive pas à aller à l’école car elle est mère, malade ou est morte pendant l’accouchement.
Rachel c’est la jeune fille déplacée qui est obligée de se prostituer pour subvenir à ses besoins élémentaires.
Rachel c’est la jeune fille ou le garçon pris en otage et drogué par des mains invisibles qui poussent à la violence.
Rachel c’est la terre centrafricaine qui est sous le contrôle des groupes armés qui la détruisent et l’exploitent. À tous ceux qui oppriment le peuple centrafricain, Dieu dit : « Laisse partir mon peuple, qu’il me serve » (Ex 7,26).

Chers frères et sœurs dans le Christ, dans notre message de janvier 2017, nous vous avons exhortés à ne pas vous laisser vaincre par le mal, mais à être vainqueurs du mal par le bien (cf. Rm 12,21). Au mois de juin à l’assemblée de Kaga-Bandoro, nous vous avons adressé un autre message intitulé « Qu’as-tu fait de ton frère ?» (Gn 4,10). Comme nous l’avons souhaité pendant la visite du Saint Père, il est temps de passer avec le Christ sur l’autre rive, quitter la rive de la haine, de la vengeance, du repli identitaire, de la violence et du rejet de l’autre, pour aller sur la rive de l’amour, de la réconciliation, de la fraternité, de la non violence et de l’acceptation de l’autre dans sa diversité.

À vous chers fidèles du Christ, soyez désormais des artisans de réconciliation et de paix à travers vos engagements dans vos milieux respectifs. Vous n’êtes pas seuls. Nos prières vous accompagnent. Avec Marie, Mère de l’Eglise, élevons nos voix et prions ensemble pour la paix en Centrafrique :

Dieu notre Père,
À toi appartiennent le ciel et la terre ;
Rien n’est impossible à toi ;
Car tu es le plus fort.

Dans ta bonté, tu as envoyé ton Fils sauver le monde.
Nous l’avons rejeté et crucifié sur la croix.
Tu l’as ressuscité d’entre les morts ;
Car tu es le Seigneur de la vie.

Jésus-Christ, après ta résurrection,
Tu as dit à tes apôtres : « la paix soit avec vous ».
Donne ta paix à notre pays et au monde entier ;
Car tu es le Prince de la paix.

Protège les faibles et les pauvres qui crient vers toi ;
Soutiens les veuves et les orphelins qui espèrent en toi ;
Guéris les cœurs brisés et rends justice aux opprimés ;
Car tu es notre unique Sauveur.

Esprit Saint, fais de nous des artisans de paix.
La paix qui est amour et justice, vérité et dignité, respect et unité.
Que cette paix soit dans notre cœur, dans nos paroles et dans nos actions.
Car tu es le Dieu d’amour.

Immaculée conception,
Priez pour nous
Sainte Marie, mère de Centrafrique, reine de la paix ;
Intercédez pour nous
Nos anges gardiens,
Veillez sur nous !

Amen

Donné en la Cathédrale de Bangui,
Le 14 janvier 2018, 2ème dimanche du temps ordinaire B

Dieudonné Card. NZAPALAINGA
Mgr Nestor-Désiré NONGO AZIAGBIA
Mgr Guerrino PERIN
Mgr Cyr-Nestor YAPAUPA
Mgr Jesus RUIZ MOLINA
Mgr Dennis Kofi AGBENYADZI
Mgr Tadeusz KUSY
Mgr Bertrand-Guy-Richard APPORA NGALANIBE
Mgr Miroslaw GUCWA

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