Nation : M. Dondra, que dites – vous du décret portant relégation de la direction du contrôle financier au rang d’un organe de gestion et de soumission ?

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Telle est la question que ne cessent de se poser les contrôleurs généraux des finances, les contrôleurs principaux des finances, les contrôleurs financiers, les vérificateurs principaux des finances et les vérificateurs des finances, tous relevant des différents grades de ce noble corps, y assumant actuellement diverses fonctions ou tout simplement en activité dans d’autres services du ministère des finances et du budget.

Une question légitime et légale, au lendemain de la publication du décret n°16. 356 du 11 novembre 2016 portant nomination ou confirmation des fonctionnaires et agents de l’Etat au ministère des finances et du budget. Un décret dont les dispositions ont purement et simplement abrogées celles du décret n°07. 273 du 27 septembre 2007 rattachant cette direction au cabinet. Un décret dont les dispositions la dépouillent sans aucune forme de procès  de son statut premier, celle d’organe de contrôle et donc jouissant de la plénitude d’un pouvoir d’indépendance et la reléguant désormais au rang d’un organe de gestion et de soumission, mis sous tutelle de la direction générale du budget.

C’est ce qu’on appelle le summum de l’invraisemblable pour tout spécialiste ou tout expert des questions budgétaires et d’analyses financières et comptables. C’est l’exemple typique d’actes de basses et puantes manœuvres d’alliance contre nature entre organe de contrôle et organe de gestion à des fins éminemment contraires au sacro – saint principe de leur séparation, consacré et garanti par le droit budgétaire. Des actes qui remettent fondamentalement en cause les règles de la discipline budgétaire, de la bonne gouvernance et de la transparence auxquelles est assujettie la gestion des finances publiques et dont le respect constitue  pour les partenaires au développement la mesure de leurs performances. Des actes qui sont de nature à faire douter de la volonté des nouvelles autorités à traduire en actes la politique de la rupture tant chantée pendant la campagne électorale et sur la base de laquelle le président Touadéra a été brillamment élu.

Et pourtant, dans le cadre du projet d’appui au redressement des finances publiques, en 2008, il a été instruit à un expert, M. Rigobert Totin, de nationalité béninoise, une mission d’évaluation du système de gestion de contrôle a priori, de l’exercice du contrôle financier en République centrafricaine et de la gestion du personnel. Au cours de son séjour à Bangui et à l’intérieur du pays, cet expert s’est entretenu, sous l’autorité du directeur du contrôle financier, M. Jos Jonas Mamene – Mokosson, avec les cadres et les agents de l’Etat relevant de la direction du contrôle financier et exerçant dans les différents services de l’administration centrale, dans les délégations près les organismes publics ou parapublics à caractère industriel ou commercial et près les collectivités locales. A la fin de sa mission et afin de mieux déterminer les fonctions et les tâches dans un objectif de meilleure définition des postes et d’amélioration de l’organisation des services ainsi que des leurs performances, d’une part, et afin de moderniser le cadre règlementaire par l’élaboration de nouveaux textes correspondants aux évaluations du contrôle financier, d’autre part, des fortes recommandations ont été faites, après une analyse sans complaisance des causes majeures du dysfonctionnement du système actuel du contrôle a priori.

  • Des causes majeures du dysfonctionnement du système actuel
  • La caducité du cadre légal et règlementaire

*Loi n°64/30 du 20 novembre 1964 portant attributions, organisation et fonctionnement du contrôle financier ;

*Décret n°72/288 du 24 août 1072 portant attributions des contrôleurs financiers détachés auprès des organismes publics et parapublics ;

*Arrêté n°125 du 05 février 1963 portant attributions des délégations auprès des collectivités locales.

Il est établi de manière incontestable, à la lecture de ce rapport, que les textes fondamentaux portant attributions, organisation et fonctionnent du contrôle financier, en République centrafricaine, datent de 1963. A ce titre, leurs dispositions et leurs termes sont en inadéquation avec les réalités socio économiques de l’heure et ne sauraient être évoqués pour soutenir un avis et faire asseoir un véritable contrôle budgétaire. Pis, il est inadmissible que dans un régime parlementaire que des instructions présidentielles puissent s’ériger en acte légal au niveau des collectivités locales (Cf/ Instructions Présidentielles relatives à la gestion des taxes d’abattage forestières) créées par la loi n°64/32 du 20 novembre 1964.

  • Absence de formation et d’information des cadres et agents

Il    n’est pas rare de constater que certains gestionnaires des crédits procèdent à de mauvaises imputations et ne respectent pas la règle de la spécialité des crédits.

Dans ce même ordre d’idées, certains cadres et agents relevant de la direction du contrôle financier n’ont aucune notion des finances publiques et spécifiquement du contrôle financier mais y exercent depuis des années. A ce tableau sombre en matière de la qualité des ressources humaines, il est important de souligner le délabrement des locaux et l’absence notoire des moyens matériels.

  • La pratique actuelle du contrôle des dépenses de l’Etat

L’exercice actuel du contrôle a priori tant au niveau de l’administration centrale que dans les délégations ne peut qu’être la résultante manifeste des deux premières causes du dysfonctionnement de notre système actuel. La non – actualisation des textes fondamentaux aux réalités socio économiques de l’heure et surtout l’absence de formation et la non – maitrise de la technicité ont fini par faire du contrôle financier non pas un outil efficace et efficient de contrôle mais plutôt un organe de soumission. Conséquences : absence des contrôles inopinés et des contrôles du service fait, manque de suivi de la tenue correcte de la comptabilité des engagements et des liquidations au niveau des délégations, manque de suivi de la tenue correcte de la comptabilité des émissions de recettes et celles des dépenses que tiennent les autorités locales avec tout ce que cela comporte comme risques (détournements des deniers publics, quittanciers parallèles, surcharges des écritures comptables, etc…), non représentativité au sein des structures chargées d’étudier les offres et d’élaborer les propositions d’attribution des marchés publics, etc..

      2- Propositions

  • La modernisation du cadre légal et règlementaire

L’émergence de nouveaux critères dans le contrôle de gestion des finances publiques des Etats en voie de développement nécessite la mise à jour des textes fondamentaux  régissant l’organisation et le fonctionnement du contrôle financier en Rca, afin d’en faire une véritable arme de dissuasion efficace contre certains actes contraires à la défense des intérêts de l’Etat : Aide au développement ; Bonne Gouvernance ; Audit. D’où propositions de nouveaux textes : Projet de décret portant attributions, organisation et fonctionnement du contrôle financier en Rca ; projet d’arrêté fixant les modalités d’application du projet du décret sus évoqué ; projet d’arrêté portant fixation du montant des marchés à viser par les délégués du contrôleur financier près les institutions de l’Etat et les ministères.

  • Nouvelles structures et fonctionnement du contrôle financier

Les attributions proposées par les nouveaux textes régissant le contrôle financier sont conformes à l’esprit des anciens textes quoique déjà obsolètes : Contrôle a priori sur la régularité budgétaire, juridique et financière des opérations des dépenses du budget général de l’Etat, des budgets annexes et des budgets des collectivités locales ; avis motivé sur les projets de lois, de crédits, d’arrêté, de contrats et de tous actes soumis au contreseing ou à l’approbation du ministre des finances et du budget. La première innovation de cette actualisation des textes fondamentaux sera la création d’un poste de contrôleur financier, rattaché au ministre en remplacement de l’actuelle direction du contrôle financier et participera du souci de la restauration de la fonction du contrôle budgétaire.

Débarrassé de toute la fonction du contrôle des dépenses du personnel qui compromettent son efficacité, le contrôleur financier aura désormais en charge le contrôle des marchés publics et des grosses dépenses de l’Etat : visa des bons de commande et de marchés relatifs aux dépenses de fonctionnement, d’équipement et d’investissement ; visa des mandats de paiements y relatifs ; visa des actes relatifs à la gestion du personnel de l’Etat et des actes administratifs ; visa des opérations des budgets annexes.

Pour son fonctionnement, le contrôle financier sera caractérisé au niveau central par des services placés sous la supervision d’un chef de service, responsable devant le contrôleur financier ; le service des affaires administratives et du matériel (SAAM), le service des études et de la règlementation (SER), et le service de la comptabilité des engagements (SCE) composés de bureaux spécifiques à la tête desquels seront désignés des chefs de bureau. Mais pour des raisons d’efficacité et d’efficience, cette fonction sera partiellement décentralisée et sera traduite par un renforcement du pouvoir des délégués du contrôleur financier et par leur plus grande responsabilisation.

Responsables des services extérieurs et installés auprès des institutions de l’Etat, des ministères, des offices publics ou parapublics et des collectivités locales ou en provinces, ces « Délégués du Contrôleur Financier » seront compétents pour exécuter pleinement leurs attributions et ne se référeront au Contrôleur Financier qu’en cas de litige.

  • L’informatisation

L’informatisation de tout ou partie du contrôle financier semble inévitablement être le gage de l’efficacité de la réforme dont la finalité est de doter le ministère des finances et du budget d’un système de contrôle moderne très performant. La mission a recommandé dans ces conditions que tout soit mis en œuvre afin d’installer progressivement au contrôle financier au système de contrôle informatisée des dossiers administratifs des agents de l’Etat et de la comptabilité des engagements du budget général de l’Etat. Au niveau des délégations, il a été aussi proposé une amélioration de leur environnement par l’acquisition des moyens matériels (calculatrices, machines à écrire, etc…), la réhabilitation de leurs locaux ou la construction des nouveaux bâtiments.

  • La formation

Afin de combler le déficit en personnel dont souffre cette structure, il a été proposé le recrutement de 50 contrôleurs financiers et un programme de formation portant sur les notions et les principes du droit budgétaire, le Contrôle Financier « Définition et origine du contrôle administratif », le contrôle sur pièces et sur place, modalités du contrôle d’exécution des dépenses du matériel par le CF au niveau central et au niveau des Délégués du CF, vérification de la comptabilité matières des structures contrôlées, tenue de la comptabilité matières pour les gestionnaires, tenues des livres – journaux, etc…

  • Elaboration et Adoption d’un manuel de procédures

Plus de 8 années plus tard, certes beaucoup d’efforts ont été faits dans le domaine règlementaire afin de faire adapter les textes régissant l’organisation et le fonctionnement du contrôle financier aux réalités socio économiques de l’heure mais beaucoup restaient à faire. C’est pourquoi, au lendemain du retour à l’ordre constitutionnel, faisant suite à  la brillantissime élection du président Touadéra, candidat de la rupture, du changement et de l’alternance générationnelle, les professionnels de ce noble corps s’attendaient naturellement à la poursuite de cette réforme, à l’exploitation du rapport de la mission Totin, financée par l’UE, et à sa mise en œuvre effective et totale sans condition.

 Malheureusement, grande a été leur surprise d’assister, impuissants et la mort dans l’âme, par la publication du décret n°16. 356 du 11 novembre 2016, à l’assassinat pur et simple de tous les efforts accomplis et à la relégation de la direction du contrôle financier au rang d’un organe de gestion et de soumission, placé désormais sous tutelle de la direction générale du budget. Un recul en arrière qui remet en cause son caractère d’indépendance indispensable au respect des sacro – saints principes de la séparation des pouvoirs entre organe de gestion et organe de contrôle, de la discipline de l’orthodoxie budgétaire, de la bonne gouvernance et de la transparence. Un terrible recul dont la responsabilité incombe à une bande de copains, ignorant tout des missions de contrôle a priori dévolues à la direction du contrôle financier, et à la recherche des postes pour des gains faciles. Un recul qui est en inadéquation avec les pratiques en la matière et les réformes en cours d’exécution dans certains pays frères et amis et qui ne peut que heurter et déranger les différents partenaires au développement.

            Jean – Paul Naïba

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