Mines : cinq pays africains dans le collimateur des cours arbitrales internationales

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(Crédits : DR)
En Afrique, l’exécution des contrats miniers est souvent entachée de batailles juridiques entre les Etats et les multinationales. L’exclusion de la compétence des juridictions locales déplace les conflits vers les cours arbitrales internationales dont les verdicts sont souvent lourds.

Une amende de neuf milliards de dollars à verser à une entreprise britannique qui n’a investi que 40 millions de dollars dans un projet gazier avorté au Nigeria. C’est le jugement prononcé par la cour arbitrale de Londres contre l’Etat fédéral du Nigeria le 16 août dernier dans le conflit l’opposant à la société Process and Industrial Developments Ltd (P&ID) une firme gazière britannique.

Ce scénario n’est pas un cas isolé, puisque d’autres pays du Continent se sont retrouvés embarqués dans des batailles judiciaires contre des entreprises implantées localement et opérant principalement dans les industries extractives. En Guinée Conakry, le projet d’exploitation du fer de Simandou par Rio Tinto entamé en 1997, mais plombé par nombreux conflits, tarde à démarrer. Au Burkina Faso, le conflit avec Pan African Minerals de l’homme d’affaires Francs Timis a duré plus d’une décennie bloquant tous les projets sur le gisement de manganèse de Tambao.

En 2016, dans un jugement rendu par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements CIRDI, le Mali a été contraint de renoncer à une partie de la TVA recouvrée à la suite d’un redressement fiscal auprès de Somila, filiale de la société aurifère Randgold. Plus à l’Est, le litige sur la mine de fer de Beringa au Gabon a également duré plus d’une décennie. Un retour sur ces litiges soulève la question de la souveraineté économique et juridique des pays africains dont la responsabilité est engagée.

20% des réserves de changes nigérianes menacées

Grand producteur d’hydrocarbures, le Nigeria a connu plusieurs litiges. Dans l’affaire l’opposant à P&ID, tout commencé en 2010 lorsque la société créée spécialement pour ce projet conclut un accord avec le gouvernement de l’ancien président nigérian Yar’Adua, décédé la même année dans un contexte de corruption généralisée. Ledit projet portait sur la réalisation d’une centrale à gaz. Le contrat stipulait que le Nigeria devait fournir du gaz à P&ID. Sauf que le pays n’a jamais honoré ses engagements, poussant la firme britannique à porter l’affaire devant la cour arbitrale de Londres.

Aujourd’hui, P&ID avance qu’elle a investi 40 millions de dollars dans la préparation de ce projet et réclame le remboursement de cet investissement, ainsi que des dommages et intérêts. Le Nigeria est alors condamné dans un premier temps à verser une amende de 6 milliards de dollars à la société plaignante. L’amende est non seulement confirmée, mais alourdie par des pénalités de retard : 9 milliards de dollars que le Trésor du Nigeria devrait payer à P&ID.

«C’est beaucoup d’argent pour un contrat non exécuté et une économie sous-développée comme celle du Nigeria», commente à La Tribune Afrique Pierre Alaka Alaka, économiste fiscaliste et professeur à l’Université de Douala au Cameroun.

Le montant représente 20% des réserves de changes du pays et 2,5% de son PIB. Se disant prêtes à négocier, les autorités nigérianes infirment la validité de l’accord signé par le ministère du Pétrole de l’époque qui aurait été non habilité à le faire.

4 milliards de dollars d’indemnités réclamées au Burkina Faso

Le Nigeria est loin d’être le seul pays appelé à la barre de cours arbitrales par des entreprises locales. Au Burkina Faso, le projet de Tambao lancé en 2008 a connu une décennie de litiges dont le dernier a été arbitré par le CIRDI. Le Burkina Faso qui a suspendu en 2015 le permis d’exploitation de Pan African Minerals de l’homme d’affaires Franck Timis a été accusé de violation des termes du contrat reliant les deux parties devant la cour arbitrale de Paris. Le minier revendique 150 millions de dollars d’investissements et réclame des dommages et intérêts de 4 milliards de dollars, soit 27 fois sa mise initiale pour développer la mine de manganèse de Tambao.

Dotée de réserves estimées à plus de 100 millions de tonnes, Tambao est l’une des plus importantes réserves de manganèse au monde. C’est en mai 2019, sur verdict de la cour arbitrale de Paris, que le pays a pu reprendre la main sur le projet. Avant l’affaire Pan African Minerals, l’Etat burkinabé avait résilié unilatéralement les permis successifs de l’émirati Wadi Al Rawda et de l’indien GNR. Le projet stratégique qui remonte à 2007 a été retardé par ces batailles juridiques successives, occasionnant un réel manque à gagner.

«Je pense qu’à ce niveau la solution pourrait se trouver dans le dispositif législatif interne des différents Etats. Cette solution semble difficilement applicable […] L’ultime solution pourrait résider dans le recours à l’immunité d’exécution en s’appuyant sur le principe de souveraineté des Etats», explique Abdoul Aziz Son, juriste fiscaliste au Burkina Faso.

Le fer de Simandou ou 20 ans de litiges

Le même retard a été encore plus marquant pour un pays comme la Guinée Conakry. Tout commence en 1997 lorsque le géant anglo-australien Rio Tinto s’intéresse aux mines guinéennes et crée Simfer SA. En 2002, le groupe signe un contrat avec l’Etat pour exploiter les mines de fer de Simandou. En 2006, la société se retrouve propriétaire de l’ensemble du périmètre prospecté, contrairement aux dispositions du code minier guinéen de 1995 qui impose la rétrocession de 50% du périmètre exploitable à l’Etat sans contrepartie.

C’est le début d’un long feuilleton judiciaire lorsqu’en 2008 l’Etat guinéen révoque la concession minière de Simfer SA. Les deux parties rejointes dans le projet par la société chinoise Chinalco finissent par trouver un compromis : Rio Tinto s’est engagée à produire à partir de 2014 et à commercialiser le fer de Simandou dès 2015, avant de se désengager. Au regard d’importantes investissements consentis par la société minière – 700 millions de dollars- toute résiliation ou mauvaise manœuvre de la Guinée conduira devant des cours arbitrales. L’ultimatum lancé en 2018 par le ministre guinéen des Mines n’a pas inquiété le géant minier.

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Sur un autre front, l’Etat guinéen s’est aussi opposé à la Société Beny Steinmetz Group Ressources (BSGR) sur les blocs 1 et 2 de Simandou. La société qui avait investi 165 millions de dollars s’est vu retirer son permis en 2010 par le gouvernement d’Alpha Condé sur fond de corruption. Quatre ans plus tard en 2014, la société saisit le CIRDI. L’affaire s’est soldée en août 2019 par la condamnation de l’homme d’affaire Israélien permettant à la Guinée de céder les titres à une nouvelle société minière.

Le Mali face à Somilo

En 2016, l’Etat malien est condamné par CIRDI dans un litige l’opposant au minier Somilo, filiale de la société aurifère Randgold. En 2013, la compagnie sollicite l’arbitrage du CIRDI après deux redressements fiscaux à la suite de deux audits diligentés par l’Etat en 2008 et 2011. La société est alors condamnée à un redressement fiscal d’environ 46 millions de dollars à verser aux caisses de l’Etat pour non déclaration de TVA. L’affaire est finalement dénouée le 31 mai 2016 par un verdict de la cour arbitrale donnant partiellement raison à Somila dont la facture de redressement fiscale a été divisée. L’Etat malien a été contraint de prendre en charge 70% des frais de procédure.

Selon le ministre des Mines de l’époque Boubou Cissé le verdict témoigne de la difficulté des Etats africains de suivre les comptes des entreprises minières qui ont souvent recours à des procédés sophistiquées pour alléger légalement leur facture fiscale. D’autres pays engagés dans litiges, notamment le Gabon, ont vu des projets stratégiques tombés à l’eau.

Le flop de Béringa au Gabon

Présenté comme le projet du siècle, l’enthousiasme suscité par l’exploitation du fer de Béringa a été noyé dans le conflit opposant l’Etat du Gabon aux entreprises chinoises CMEC et Panyang. Lancé en 2007, le projet a fait l’objet d’un contentieux qui allait durer plus d’une décennie, à la suite de la suspension des permis des entreprises en 2011 par l’Etat qui accuse les deux entreprises de non-respect des termes du contrat qui les lie. A terme, ce projet d’exploitation du gisement de fer de classe mondiale avec des réserves estimées à 1 milliard de tonnes, devrait drainer près de 3 milliards de dollars d’investissements et permettre la construction de 560 km de chemin de fer.

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Il va sans dire que ces conflits onéreux occasionnent des retards dans des projets vitaux pour le développement économique. La solution viendrait de la capacité des pays africains à lutter contre la corruption, à bien ficeler les contrats ou à s’appuyer sur les juridictions locales.

Pour Pierre Alaka Alaka, «quand un pays signe un mauvais contrat, il est pris dans son propre piège […] On doit avoir des cours africaines à saisir en cas de litige dans l’exécution des contrats. Pour les contrats signés en Afrique, ce sont ces cours qui doivent être compétentes».

Source : Tribune d’Afrique

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