MESSAGE DES ÉVÊQUES DE CENTRAFRIQUE À L’ÉGLISE FAMILLE DE DIEU, AUX HOMMES ET AUX FEMMES DE BONNE VOLONTÉ

0
251

 

MESSAGE DES ÉVÊQUES DE CENTRAFRIQUE
À L’ÉGLISE FAMILLE DE DIEU,
AUX HOMMES ET AUX FEMMES DE BONNE VOLONTÉ

Communion et Participation pour la construction de notre Pays et de notre Église« […] Comme des pierres vivantes, édifiezvous pour former une maison spirituelle...
» (1P 2, 5)

Chers frères et sœurs en Christ et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté, à vous tous grâce et paix de la part de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus Christ, en qui nous avons reçu grâces sur grâces (cf. Jn 1, 16). À l’orée de la nouvelle année 2023, nous formons pour vous et vos familles, pour vos amis et connaissances ces vœux :
« Que le Seigneur vous bénisse et vous garde ! Que le Seigneur fasse briller sur vous son visage, qu’il vous prenne en grâce ! Que le Seigneur tourne vers vous son visage, qu’il vous apporte la paix ! » (Nb 6, 2426).
Réunis en Assemblée Plénière à Bimbo du 04 au 16 janvier 2023, nous, évêques de Centrafrique, avons prié et médité. Ce temps de grâce a été aussi l’occasion de faire le point sur les activités pastorales, les défis et les perspectives des Conseils épiscopaux et d’échanger avec différents partenaires de l’Église. Un temps
d’échanges appuyés avec les hautes autorités politiques de notre pays nous a permis de porter à leur attention et connaissance les différentes situations sécuritaires, humanitaires qui prévalent dans nos diocèses respectifs et dans le pays. Nous les avons aussi écoutées avec une attention soutenue et salué les sacrifices consentis, les différents efforts et engagements sans ménagements, malgré le manque d’appui budgétaire depuis 2019, pour redynamiser et reconstruire notre pays. Fort de ces méditations, rencontres et échanges, que dire de notre pays et de notre Église ?

I. SITUATIONS ACTUELLES DU PAYS

L’année 2022 s’en est allée avec ses lots de joies, de réussites et d’échecs. L’année 2023 s’ouvre avec des promesses d’espérance, des chantiers et des défis, mais aussi avec des préoccupations qui sont sources d’inquiétudes.

1.1. Le risque d’une profonde crise sociopolitique et économique

De vives tensions sociopolitiques sont aujourd’hui très perceptibles dans notre pays.
Le clairobscur autour d’une révision, sinon réécriture constitutionnelle, polarise la classe politique, l’opinion publique, la diaspora centrafricaine, la société civile et les forces vives de la nation. Cette question est source d’inquiétudes et de préoccupations.

Par ailleurs, la République Centrafricaine (RCA), à l’instar des autres États du monde,
fait face aujourd’hui aux conséquences néfastes de l’actuelle crise internationale. Cette dernière a contribué évidemment à la détérioration du tissu social et économique de notre pays, déjà fragilisé par les nombreuses et récurrentes crises militaropolitiques. La pénurie du carburant et la flambée exponentielle des prix des denrées alimentaires et des produits de première nécessité constituent déjà le lot de souffrances du peuple centrafricain.
Certes, au vu du contexte international de crise, la « realpolitique » impose aux gouvernements des pays du monde de prendre des décisions et des mesures nécessaires pour faire face aux défis de l’heure.

Nous nous demandons, toutefois, quelles conséquences pourraient avoir de telles décisions et mesures sur le faible tissu social et économique de notre pays, sur les émoluments des fonctionnaires de l’État et sur le faible panier de la ménagère ? Nous craignons que de telles décisions ouvrent la voie à une profonde crise sociopolitique et économique sans précédent.

1.2. Un climat sécuritaire préoccupant

Le gouvernement de notre pays n’a ménagé aucun effort pour ramener la paix, reconquérir et libérer des villes et territoires, naguère occupés par les groupes armés, et ainsi rétablir progressivement l’autorité de l’État sur l’étendue du territoire national. Nous saluons la mémoire de nos vaillants soldats qui ont donné leur vie pour que nos populations puissent aujourd’hui vaquer paisiblement à leurs occupations. A leurs familles et proches, nous exprimons notre proximité et profonde compassion.

Une nette amélioration de la situation sécuritaire, en comparaison aux années précédentes, ne peut être niée. Nos forces de sécurité et de défense feraient davantage montre d’efficacité dans le combat contre les groupes armés et auraient déjà libéré certaines de nos villes et localités qui demeurent encore des territoires de nondroit, si elles avaient été dotées d’équipements et de moyens logistiques appropriés.

Nous assistons malheureusement à la prise en otages crapuleuse des fonctionnaires de l’État et des humanitaires, aux assassinats odieux des voyageurs, ainsi qu’au largage des projectiles sur des sites et poudrière militaires dans le but de faire un maximum de victimes et de dégâts. Avec la saison sèche qui commence, il est à craindre une recrudescence des exactions des groupes armés, plongeant la population centrafricaine dans un continuel cycle de violences et de nuisances.

Nous encourageons fortement le gouvernement à plus de vigilance et de contrôle dans le paiement et l’acheminement des PGA de nos forces de sécurité et de défense afin de mettre un terme définitivement aux rackets systématiques observés au niveau des barrières et des postes de contrôle.
Nous invitons le gouvernement à poursuivre sans relâche, avec fermeté et détermination, le combat pour la sécurité et la paix, la librecirculation des biens et de nos concitoyens.

Le risque d’une crise sociopolitique et économique et la question sécuritaire ne devraient pas nous empêcher de prendre en considération le phénomène grandissant du patrimoine foncier.

1.3. L’accaparement des terres et la dilapidation du patrimoine foncier

La République Centrafricaine a toujours été une terre accueillante et hospitalière.
Contre toute forme de xénophobie, l’hospitalité et l’accueil de l’étranger sont inscrits
au cœur de notre foi chrétienne (cf. Gn 18, 111 ; Ex 22, 2122 ; Ep 2, 19) et en lettres d’or au sommet de nos valeurs ancestrales et culturelles.
C’est avec beaucoup de questionnements que nous assistons aujourd’hui à un véritable empressement et une ruée des ressortissants de la sousrégion voire audelà d’elle pour l’achat des terres. Nous sommes conscients que le souspeuplement de l’immensité de la superficie de notre pays, la pluviométrie abondante et la fertilité de notre sol, l’immense potentialité de nos espaces arables, nos richesses naturelles, forestières et minières attisent beaucoup de convoitises et génèrent autant de souffrances. Nous n’avons rien contre l’injection de capitaux étrangers dans le faible tissu économique centrafricain, pourvu qu’ils créent des richesses et des emplois pour les filles et fils de ce pays.

Cependant, de grandes parcelles arables de plusieurs hectares et des sites stratégiques, miniers et forestiers sont vendus à tour de bras.

On est en droit de se demander si les enjeux de la mise en vente du patrimoine foncier à des expatriés, toujours plus nombreux, se bousculant aux portes de notre pays sont compris et pris au sérieux. Ne sommesnous pas en train de créer à court,moyen et long terme, toutes les conditions d’un agropastoralisme et d’une économie extravertie dont les rênes ne finiraientils pas par échapper aux Centrafricaines et aux Centrafricains ?
Une telle interrogation mérite que l’on s’y attarde longuement sans méconnaître le contexte de notre Église.

II. REPARTIR DU CHRIST

Le processus synodal, initié par le Saint Père et placé sous le signe de la communion, de la participation et de la mission, est un temps de grâces et un grand moment de rendezvous ecclésial. Il est question de se former toujours davantage à la synodalité par la promotion de l’écoute, du dialogue, du partage de la responsabilité, de la mission et d’une meilleure participation à la gestion ecclésiale.

2.1. Une marche synodale à poursuivre

Dans l’esprit et la dynamique de la synodalité voulue par le pape François, notre Église a donné la parole à toutes ses composantes (évêques, prêtres, religieux, laïcs), à nos frères protestants et musulmans, aux marginalisés et laisséspourcompte, ainsi qu’à nos frères et sœurs qui n’appartiennent à aucune obédience confessionnelle.
Dans cette marche d’ensemble de l’Église, nul ne doit être laissé au bord de la route.
Cette épreuve de vérité, d’autocritique et d’évaluation, vise à rendre plus efficace la mission de l’Église en promouvant davantage la communion et la participation. Il importe plus que jamais aujourd’hui de repartir du Christ pour l’écouter et recueillir son enseignement, lui, le seul juste et l’ultime Juge de notre êtrechrétien.

2.2. Une communion à construire et à vivre

L’Église du Christ ellemême n’est pas à l’abri de discordes et de conflits internes.
Les enseignements du Pape François, décrivant la situation de l’Église aujourd’hui, nous interpellent tous :

«À l’intérieur du Peuple de Dieu et dans les diverses communautés, que de guerres ! Dans le quartier, sur le lieu de travail, que de guerres par envies et jalousies, et aussi entre chrétiens ! La mondanité spirituelle porte certains chrétiens à être en guerre contre d’autres chrétiens qui font obstacle à leur recherche de pouvoir, de prestige, de plaisir ou de sécurité économique. De plus, certains cessent de vivre une appartenance cordiale à l’Église, pour nourrir un esprit de controverse. Plutôt que d’appartenir à l’Église entière, avec sa riche variété, ils appartiennent à tel ou tel groupe qui se sent différent ou spécial. » (Evangelii Gaudium n.98).

La métaphore de la maison spirituelle à construire avec des pierres vivantes, que développe saint Pierre aux premières communautés chrétiennes (cf. 1P 2, 5), est une
image forte qui doit davantage inspirer tout le corps ecclésial. Le Christ est la pierre d’angle sur laquelle s’élève harmonieusement tout l’édifice de l’Eglise, Corps mystique du Christ.

C’est donc par l’amour et l’unité que l’Église peut témoigner de manière authentique le Christ. L’unité et la communion, reposant sur l’amour, la fédération et la mutualisation des forces et des énergies permettent de générer des créativités pour construire notre Église et travailler au relèvement de notre pays.

III. DES DEFIS À RELEVER

La communion et la participation sont appelées à devenir le véritable tremplin pour bâtir ensemble notre Église et notre pays. Elles nous imposent une disposition de cœur, une attitude d’esprit et une conversion de regard. À la différence des discours creux et ronflants, elles nous poussent à des actions concrètes qui témoignent d’une fraternité renouvelée et vécue dans la sincérité.

3.1. Sortir de l’antagonisme amisennemis

Filles et fils d’un même pays, nos différences d’opinions, de croyances, de choix et de
convictions politiques ne doivent pas faire de nous des ennemis. Il nous faut sortir de
la logique selon laquelle « celui qui ne pense pas comme moi est mon ennemi ». La
radicalisation des prises de position, sur fond d’un déficit de dialogue, ne peut que conduire à une impasse sociopolitique et économique, gravement préjudiciable à notre peuple et à la paix.

La dualité amisennemis mine la paix sociale et compromet l’avenir de la République
Centrafricaine. Nos différences qui sont en ellesmêmes légitimes peuvent être transformées en une dynamique positive pour le bienêtre dans notre pays. Dans un contexte de climat social et politique où nous assistons depuis quelque temps à la montée inquiétante de la méfiance, des calomnies, des discours de haine, des menaces et des insultes, il convient que chaque fille et fils du pays privilégie la recherche du dialogue constructif, du consensus et de compromis dans la vérité, sans compromission.

La communion et la participation à l’œuvre de la reconstruction du pays exigent la liberté d’expression, l’écoute et le respect mutuel, l’empathie et la convivialité. Ce dialogue doit être promu à tous les niveaux de la société, à commencer dans les familles, dans les différentes structures de notre Église, ainsi que dans l’espace public, politique et administratif. La recherche du bien commun doit être la boussole de tous les acteurs de la vie sociale et politique
.

3.2. Bâtir ensemble l’espérance et l’avenir

Nous venons de célébrer, il y a quelques jours, la fête de la Nativité de Notre Seigneur Jésus, le Prince de la paix qui vient inaugurer les temps messianiques et accomplir l’avènement du Royaume de Dieu. Ce Royaume est essentiellement caractérisé par la rencontre de l’amour et de la vérité, l’étreinte de la justice et de la paix (cf. Ps 84, 11), l’absence de toute haine, violence et guerre (cf. Is 2, 4 ; Is 11,69).
Ces promesses des temps messianiques ne doivent pas rester de vaines utopies et des rêves d’un monde irréalisable. Un Centrafrique nouveau où règnent la paix, la justice, la fraternité…, est possible dans le Christ, le Prince de la Paix, Notre Sauveur.
Aussi, l’Église atelle pour mission, non seulement d’annoncer le Royaume, mais également de travailler en synergie avec les autres composantes de la société pour
que ces promesses deviennent des réalités.

Bâtisseurs d’espérance et d’un avenir meilleur, c’est en travaillant main dans la main
que les chrétiens, en communion avec tous les autres citoyens, peuvent construire un pays où chacun trouve sa place. Pour qu’un tel projet de société se réalise, il convient d’assurer certains fondamentaux comme une éducation de base qui promeut des valeurs authentiques telles que le respect de la personne humaine et du bien commun, la justice équitable et non sélective qui protège chaque citoyen, la protection et la défense de l’environnement et des ressources naturelles du pays.

Nous prions le Seigneur pour que la justice et le droit triomphent davantage de l’injustice, la recherche de l’unité et la poursuite du bienêtre commun l’emporte sur l’esprit de division et sur celui de la quête de la satisfaction des intérêts partisans et égoïstes.

Puissionsnous, nous engager tous, pour que la culture de la paix et de la fraternité, celle de la réconciliation et du pardon, chassent définitivement la contreculture de la haine, de la guerre et de la mort.

Comme aux noces de Cana, puisse la Bienheureuse Vierge Marie, intercéder pour
notre Église et pour la République Centrafricaine auprès de son Fils, l’Emmanuel, le
Prince de la paix
.

Fait à Bimbo, le 15 janvier 2023

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici