Martin Ziguélé : « La Centrafrique est colonisée par Wagner »

0
262

 

Martin Ziguélé : « La Centrafrique est colonisée par Wagner »

L’ancien Premier ministre centrafricain, rallié à Faustin-Archange Touadéra en 2016, a aujourd’hui rompu avec le chef de l’État. Dénonçant les dérives du pouvoir et l’alliance avec les mercenaires de Wagner, Martin Ziguélé repasse à l’offensive.

Le tableau qu’il dresse est sombre. Très sombre. Entre une présence très controversée des mercenaires du groupe Wagner, l’insécurité persistante dans le pays et ce qu’il qualifie de manque de concertation politique, Martin Ziguélé, 66 ans et président du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), n’est guère optimiste pour le pays qu’il croit toujours pouvoir diriger un jour.

Premier ministre de 2001 à 2003, il était passé tout près du fauteuil présidentiel en 2005. Candidat en 2016, il apportera son soutien au futur chef de l’État, Faustin-Archange Touadéra. Soutien qu’il a retiré depuis peu, pour fortement se repositionner dans l’opposition. Que cherche-t-il ? Quelle est désormais la stratégie de celui qui incarnait une troisième voie entre une opposition dite radicale et le pouvoir ? Interview.

Jeune Afrique : En 2016, vous avez apporté votre soutien à Faustin- Archange Touadéra. Qu’est-ce qui a provoqué ce divorce aujourd’hui ?

Martin Ziguélé : Au sortir du premier tour des élections groupées de 2015, le MLPC n’a pas franchi la barre du second tour du scrutin présidentiel. Nous avons été sollicités par le candidat indépendant Faustin-Archange Touadéra pour le soutenir au second tour, sur la base d’un accord politique. Nous avons tenu nos engagements en étant sur le terrain pour battre campagne en sa faveur. À l’épreuve du pouvoir, nous avons compris que sa conception de cette alliance politique ne correspondait ni à la lettre ni à l’esprit de cet accord.

Je rappelle que, lorsque j’étais Premier ministre du président Ange-Félix Patassé, je gérais, sous son contrôle, l’alliance présidentielle, et ce n’était pas du tout la même chose, notamment au niveau de la concertation politique. Nos militants ont demandé au congrès du MLPC de mars 2020 de mettre fin à cet accord et de quitter cette majorité. Le bureau politique a exécuté cette décision.

Votre parti ou ses emblèmes sont pourtant toujours aperçus à Bangui lors des manifestations à la gloire du président centrafricain.

Ce que vous évoquez relève de la manipulation politique, puisque ces emblèmes sont portés par des individus exclus ou sanctionnés, et qui, par conséquent, ne représentent pas le parti.

Cette situation traduit-elle la division de toute l’opposition ?

Personne n’est dupe sur l’identité des tireurs de ficelle de cette situation. L’opposition n’est pas divisée, mais le pouvoir tente depuis plusieurs années de l’affaiblir, en suscitant des dissensions en son sein, sans même s’en cacher. La Centrafrique est sans doute le seul pays au monde où des partis politiques dits « de l’opposition » appartiennent à la majorité présidentielle et font campagne pour elle aux frais du pouvoir. Même un aveugle voit la supercherie.

Le pouvoir vous accuse, vous opposants, de tout faire pour destituer les institutions en place…

Ce pouvoir se déstabilise lui-même, il n’a pas besoin d’opposition pour le faire. Lorsqu’on n’a pas de résultats concrets au profit de la population à cause d’une gouvernance unanimement décriée, évidemment on passe le plus clair de son temps à chercher des boucs émissaires. Non, ce régime ne trompe plus personne.

Comment résumeriez-vous le bilan de Faustin-Archange Touadéra ?

S’il y a un sentiment que la majorité des Centrafricains partagent aujourd’hui, c’est une grande déception sur le triple plan politique, économique et social. En 2016 au lendemain des élections, nous avions tous le sentiment que cette fois-ci était la bonne et que notre pays allait désormais avancer à grand pas vers la consolidation de la démocratie et vers le redressement économique, surtout après le sommet de Bruxelles. Sept ans après, nous avons un pays colonisé par des mercenaires du groupe Wagner, avec une présidence à vie,
fruit d’une mascarade référendaire, et comme l’a souligné la Banque mondiale, avec un périmètre de la misère qui couvre désormais 70 % de la population.

Malgré la présence de Wagner, l’insécurité règne toujours dans le pays. Quelle est la solution selon vous ?

Excellente question. En 2003, les Centrafricains ont reproché au MLPC alors au pouvoir d’avoir utilisé les appuis du Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba pour faire face à l’adversité. Les mêmes Centrafricains ne peuvent pas logiquement dire vingt ans plus tard que la solution aux problèmes de notre pays se trouvent entre les mains des mercenaires de Wagner. Il n’existe qu’une seule solution : le renforcement des Forces armées centrafricaines, conformément à la loi de programmation militaire votée pourtant depuis plus de quatre ans. Les ressources financières aujourd’hui diverties dans l’exploitation des ressources naturelles pourraient financer cette action.

La Russie affirme participer à la formation de l’armée centrafricaine, tout comme d’ailleurs le Rwanda.

Je suis contre la présence des mercenaires de Wagner dans notre pays. S’agissant des forces rwandaises, qui relèvent de la coopération militaire bilatérale, elles ne sauraient être considérées à l’égal des Russes.

Le pouvoir est-il définitivement rompu entre le pouvoir et l’opposition ?

Pour qu’il y ait rupture, il aurait fallu que le dialogue existât. Or il n’y a jamais eu de dialogue entre le pouvoir et l’opposition. Dans la conception du pouvoir en place, l’opposition est composée de personnes aigries et dangereuses qu’il faut apprivoiser ou dompter, soit par la carotte en manipulant des dissidents, soit par le bâton.

Anicet-Georges Dologuélé tente actuellement de construire autour de lui un nouveau bloc d’opposition. En ferez-vous partie ?

Comme chacun sait, Anicet-Georges Dologuélé et moi-même représentons nos partis politiques respectifs au sein du Bloc républicain pour la défense de la Constitution (BRDC) qui existe depuis deux ans. Pour le reste, je ne sais pas de quel bloc vous parlez. Le sort de mon pays, qui vit une crise existentielle du fait d’une gouvernance décriée, est ma seule préoccupation. Jusqu’à mon dernier souffle je continuerai le combat politique au sein du MLPC pour mon pays et pour mon peuple.

Jeune Afrique

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici