M. Touadéra et M. Sarandji, que font les Russes à Birao ?

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Arrivés du Soudan par voie terrestre, les explorateurs russes séjournent depuis lundi 7 mai dans la préfecture de la Vakaga sur un site d’exploration minière de la région.

Selon nos informations, un convoi composé de dix-huit véhicules avec des militaires russes est entré en RCA en provenance de amdafock en République islamique du Soudan. Après discussion au checkpoint du contingent zambien de la force de l’ONU en Centrafrique connue sous son acronyme de MINUSCA à l’entrée de la ville de Birao, capitale provinciale de la Vakaga, située au nord-est de la République centrafricaine.

Ce convoi, escorté par les rebelles du FRONT POPULAIRE POUR LA RENAISSANCE DE CENTRAFRIQUE (FPRC), a pris la direction du site d’exploration pétrolière de Golongosso à Gasky là où étaient jusqu’alors les Chinois.

Pour complément d’information, voici un article de nouvel observateur qui pourrait élucider certaines zones d’ombre dans ce dossier russe :

« Centrafrique : Pourquoi Vladimir Poutine avance ses pions en Centrafrique

Publié le 05 mai 2018

Par Charles Bouessel et Emre Sari

 Armes et soldats Russes ont débarqué en masse à Bangui, à la demande du président Touadera. Pourquoi cette présence militaire dans un pays en plein chaos, ancienne terre d’influence de la France? Enquête

Vendredi 13 avril. De nombreux rebelles et leurs pick-up se rassemblent à Kaga-Bandoro, une ville de Centrafrique (RCA), au nord du pays. Abdoulaye Hissene, un chef du FPRC, un de ces groupes armés qui contrôlent la majorité du pays, déclare vouloir “marcher sur Bangui”. Parmi les raisons invoquées : l’implication militaire croissante de la Russie aux côtés du gouvernement centrafricain. Les rebelles s’inquiètent : le rapport de force pourrait tourner en leur défaveur.

Moscou a renforcé le pouvoir central militaire de Centrafrique. En décembre 2017, le Kremlin a obtenu le feu vert de l’ONU pour livrer -gratuitement- un chargement d’armes en RCA, sous embargo. Un Ilyushin IL-76MD de l’armée russe, immatriculé RF78805, a déposé le 26 janvier et début février, en plusieurs voyages, environ 5000 fusils d’assaut, des mitrailleuses, des pistolets et des lances-roquettes. Les Nations-Unies ont aussi permis l’envoi de 175 instructeurs russes, qui ont posé leurs valises à Berengo, l’ancien palais de l’Empereur Bokassa, à 60 kilomètres au sud-ouest de Bangui. Leur mission : former 1300 soldats centrafricains. “Tout se fait dans la transparence”, affirme Firmin Ngrebada, directeur du cabinet du Président centrafricain, Faustin-Archange Touadera.

Le tableau, en vérité, est complexe. Le pays, en crise, a connu une nouvelle flambée de violence en 2017. Un cinquième de la population est déplacée ou réfugiée. Les groupes armés s’affrontent pour capter les ressources (bétail, minerais, etc) tout en combattant les soldats de la Minusca (les forces Onusiennes) très critiquée dans le pays et en sous-effectif. Et la France, occupée au Sahel, ne veut pas entendre parler d’une nouvelle opération Sangaris, qui s’est déroulée en pleine guerre civile, entre 2013 et 2016. Pour le gouvernement Centrafricain, en fâcheuse posture, ce soutien militaire russe tombe à pic. Pour les Russes, il s’inscrit en fait dans une stratégie d’influence profonde. Un conseiller spécial en sécurité, Valery Zakarov, a été nommé à la présidence. Les Russes ont également rencontré des chefs de groupes armés rebelles dans tout le pays. Ils ont intégré la garde présidentielle, officiellement pour l’entraîner. Enfin, des entreprises ont été créées à Bangui, dont les ramifications s’étendent jusqu’à un oligarque de Saint-Pétersbourg.

« Aujourd’hui, les Russes veulent étendre leur influence loin de leurs frontières, comme en Iran, en Libye, en Syrie, en Irak, analyse Emmanuel Dupuy, chercheur à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Et plus leur nouvelle zone d’influence semble éloignée de leur intérêt économique direct, plus leur action frappe les esprits. »

Les aventures russes en Centrafrique ont débuté par une négociation dans le cadre du comité des sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Car, depuis le 5 décembre 2013, la RCA est soumise à un embargo total sur les armes ainsi qu’à un régime de sanctions. Initialement, Bangui s’était adressé à Paris pour équiper ses FACA avant que la Russie ne fasse une contre-offre, lors d’une rencontre à Sotchi, le 9 octobre 2017, entre le Président Touadera et Sergueï Lavrov, le Ministre des affaires étrangères russe.

Londres, Paris et Washington avaient exigé, et obtenu, des garanties en RCA avant d’accepter la proposition de Moscou à l’ONU. Mais, « il n’y a pas encore eu de réelle inspection », s’inquiète une source diplomatique. Contactée, l’ambassade russe n’était pas disponible.

Premier motif d’inquiétude: l’opacité des opérations. Certains observateurs craignent que Moscou ne fasse entrer d’avantage de matériels, militaire ou non, notamment via la piste d’atterrissage, de Berengo, construite par l’Empereur Bokassa et récemment réhabilité par les forces russes. Avec ses 2,2 kilomètres de long, elle a déjà accueilli au moins un IL-76, et ses 40 tonnes de charge utile potentielle. « Cet aéroport est un trou noir d’information », indique une source diplomatique.

Autre motif d’inquiétude : l’implication de forces russes dans une opération militaire de terrain. Ce qui serait une violation de l’embargo de l’ONU. Début avril, plusieurs pick-up de la gendarmerie centrafricaine, chargés à l’arrière d’hommes à la peau blanche en tenue militaire et armés de fusils d’assaut, ont été aperçus dans Bangui, pendant une opération conjointe de la Minusca et des FACA, destinée à démanteler les bases des milices du PK5, un quartier de la capitale.

Mais qui sont ces hommes ? Font-ils partie des 175 formateurs envoyés par Moscou, ou sont-ils employés par une société de sécurité privé ? Quoi qu’il en soit, une telle société, liée à la Russie, a été créée à Bangui le 7 novembre 2017, sous le nom de Sewa Securité Service. Elle est gérée par un proche de la présidence, et aurait, selon une source diplomatique, «au moins une structure informelle de coordination » avec Lobaye Invest.

Lobaye Invest, une autre entreprise, minière, créée le 25 octobre 2017. C’est un certain Evgueny Khodotov, né le 21 mars 1964, qui la dirige. On le retrouve, grâce à sa date d’anniversaire, sous son nom complet, Evgueny Garrievitch Khodotov, sur le site internet d’un groupe de vétérans de forces de sécurité de Saint-Pétersbourg, dont il est membre. Le même homme dirige aussi M-Finance, dont l’activité principale est « l’extraction de pierres précieuses » parmi 64 autres activités déclarées…

Quelle est la vraie nature de cette entreprise ? Kirill Mikhailov, chercheur dans le collectif russe Conflict Intelligence Team, axé sur l’analyse des activités militaires et mercenaires russes à l’étranger, émet une hypothèse : «Le profil de M-Finance rappelle celui d’Evro-Polis, une société créée pour mener des opérations de mercenariat et pétrolières en Syrie, et affiliée à Evgeniy Prigozhin. Cet oligarque proche de Poutine dirige par ailleurs la tristement célèbre «compagnie militaire privée Wagner» et la «fabrique de trolls de Saint-Pétersbourg. M-Finance étant relativement récent, inconnu, et portant un nom très commun, il pourrait s’agir d’une nouvelle entreprise de façade contrôlée par le même Prigozhin, dirigée cette fois vers des opérations en Centrafrique »

Evgeniy Prigozhin, surnommé le « cuisinier de Poutine » à cause de ses activités de restauration pour le Kremlin, a déjà étendu son influence au Soudan frontalier. La BBC y faisait état de la présence de combattants de Wagner. Et selon deux médias russes, Fontanka et Genline, l’oligarque est relié à la société M-Invest, qui a signé avec le gouvernement soudanais un contrat d’extraction d’or.

En Centrafrique, les Russes viennent-ils mettre la main sur les ressources minières, comme on peut l’entendre ? Pas vraiment… Certes, des discussions ont eu lieu avec les groupes armés qui contrôlent les zones diamantifère, aurifères, pétrolifères… La société minière Lobaye Invest a affrété un Cessna 182 qui a effectué de nombreux déplacements à l’intérieur du pays pour les rencontrer. (Selon plusieurs sources concordantes des différents aérodromes, l’avion et ses passagers se sont rendus le 10 février à Birao ; le 16 à Alindao pour rencontrer Ali Darass, chef de l’UPC, dans son fief ; le 24 à Bria, ville diamantifère ; le 25 à Kabo, pour voir Al Khatim, chef du MPC; et enfin, très récemment, le 28 avril à Kaga-Bandoro, chez le FPRC. Des Russes ont aussi rencontré Noureddine Adam au Soudan, un autre chef du FPRC, selon une source haut placée de ce groupe qui ajoute : «On refusera l’offre des Russes tant qu’il n’y aura pas de retombées positives pour la région et que ce ne sera pas fait dans la légalité. »)

Mais Souleymane Daouda, porte-parole de l’UPC, voit plutôt dans ces volontés minières une sorte de cheval de Troie : “Le projet d’exploitation des ressources avec ces groupes ne va jamais aboutir. Les Russes veulent les endormir. Ils peuvent amener du matériel pour les induire en erreur et les neutraliser ». La “protection des sites industriels” figure en effet dans la raison sociale de Sewa sécurité, qui pourrait donc assurer la surveillance des éventuelles exploitations minières de Lobaye et s’immiscer dans les zones contrôlées par ces groupes armés. “Il n’y a aucune convention minière signée avec les russes, seulement des rumeurs”, objecte Firmin Ngrebada, directeur du cabinet du Président Touadera.

Objet de tous les fantasmes, le potentiel minier de Centrafrique demeure difficile à estimer. Il ne constitue pas, de toute évidence, le but ultime de la venue des forces russes. Le diamant ? Vers 2007, au pic de son activité diamantifère -exclusivement artisanale et alluvionnaire- le pays exportait moins de 0,5% de la production mondiale. Même si un rapport conjoint du BRGM et de l’USGS de 2010, chiffrait les diamants inexploités à environ 39 000 000 de carats, soit, remarque le document, « près de deux fois plus que le total de la production historique de diamants exportés de la RCA depuis 1931. »

L’uranium ? La configuration géologique du gisement, autour de Bakouma, le rend pratiquement impossible à exploiter (voir encadré). Quant aux nombreux indices (petites quantités) de métaux rares, « il faut s’en méfier, rappelle Hervé Théveniaut, directeur géographique au BRGM. La Centrafrique ne dispose pas de cartographie géologique précise. Les dernières études d’ampleur nationale ont eu lieu dans les années 50 et 60.” Les géologues manquaient donc des techniques modernes pour valoriser le sous-sol de la RCA.

« En réalité, les Russes se fichent de capter quelques diamants, ou des petits champs pétrolifères, ou de l’uranium… résume Emmanuel Dupuy, chercheur à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Les ressources minières sont un prétexte pour s’implanter.”

La Centrafrique pourrait en effet constituer à terme une des vitrines de la réussite de la diplomatie du Kremlin. Pour le Président Touadera, cette aide tombe à pic. « Il a besoin d’un soutien étranger puissant pour reconnaître la légitimité de son action au moment où ses opposants politiques se renforcent, à deux ans et demi de la fin de son mandat, poursuit le chercheur. Car son bilan est faible. » Depuis son élection en mars 2016, le Président est critiqué. Il peine à tenir ses promesses de relance de l’économie du pays et de retour à la sécurité.

« La stratégie de Moscou est très opportuniste », analyse Mark Galeotti, chercheur à l’Institut des relations internationales de Prague. «Poutine désire affirmer le rôle de grande puissance de la Russie et, dans sa tête, cela signifie s’impliquer dans des dossiers et des discussions partout dans le monde. Mais la Russie dispose de moyens limités, alors quand ils engagent des ressources, ils attendent une certaine compensation économique”. Les diamants, même s’ils ne constituent pas le but ultime des opérations russes, pourraient couvrir une partie des frais.

La présence de la France dans son ex-colonie, de la Chine via des entreprises minières et pétrolière, et des Etats-Unis qui possédaient une base militaire jusqu’en 2017 constituent trois raisons pour les Russes de s’implanter. « La RCA ne revêt pas de valeur stratégique claire pour le Kremlin, ajoute Mark Galeotti. Mais c’est une tactique russe classique: ils « s’injectent » dans des endroits d’intérêt pour d’autres puissances. Puis ils disent: « Maintenant, vous allez devoir traiter avec nous ou nous donner une bonne raison de partir. »

ENCADRE :

Que vaut l’uranium de Bakouma ?

Sans cesse évoqué comme une ressource mirobolante, c’est un mirage. Areva a déjà essayé, en vain, d’exploiter ce gisement autour de la ville de Bakouma, dans le sud-est de la RCA, entre 2008 et 2011 à la suite du rachat désastreux d’Uramin. Mission impossible. Le minerai d’uranium, déjà difficile d’accès puisqu’il repose sous des marais, est en effet entouré d’un réseau cristallin, l’apatite, que les techniques minières ne permettent pas de séparer. Mediapart le notait déjà en 2014, en citant un géologue d’Areva et le livre d’un autre géologue du géant nucléaire français, La Mine et les mineurs de l’uranium français. Le chapitre en question se nomme, éloquemment : « Aventure et échec à Bakouma. » Aujourd’hui, le gisement appartient toujours à Areva, mais la Russie a fait connaître son intention de le reprendre, peut-être pour fournir un autre prétexte de s’implanter en RCA

Source : https://www.nouvelobs.com/monde/20180504.OBS6191/pourquoi-vladimir-poutine-avance-ses-pions-en-centrafrique.html

Thierry Simbi

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