L’inexécution des décisions de justice administrative par l’administration

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L’inexécution des décisions de justice administrative par l’administration

Par : Georges Jean Michel ANIBIE, Docteur en droit public, Magistrat, Président du Tribunal administratif de Bangui, Membre du Laboratoire LAB-LEX de l’université de Bretagne Occidental.(Article à paraitre prochainement dans une revue scientifique).

 

La constitution centrafricaine du 14 janvier 1995 a marqué d’un sceau particulier, l’histoire de l’organisation judiciaire de la République centrafricaine, par la création par voie constitutionnelle, de deux ordres de juridiction : l’ordre judiciaire avec à sa tête la cour de cassation et l’ordre administratif avec le Conseil d’Etat.

A ce jour, l’ordre administratif totalise plus de (25) ans d’existence. La constitution de 1995 en instituant l’ordre administratif, lui a confié la mission et la légitimité de garantir l’effectivité de l’Etat de droit, à travers le contrôle de tous les actes administratifs édictés par les autorités politico-administratives. Par ce contrôle, le juge administratif participe à la protection des libertés individuelles et des droits de l’homme, lesquels sont finalement essentiels à l’Etat de droit.

En effet, les litiges entre particulier et administration sont réglés selon une procédure particulière appelée : « procédure administrative contentieuse », ce qui est différente de la procédure judiciaire. La procédure administrative contentieuse en République centrafricaine, tire son fondement de l’article 5 de la loi n°96.006 du 13 janvier 1996 portant organisation et fonctionnement des Tribunaux administratifs.

L’inexécution des décisions rendues par les juridictions administratives est un phénomène réel dans notre système administratif centrafricain et elle n’est pas simplement une hypothèse d’école. Le recours au juge administratif qui constitue un des modes classiques de défense des administrés face à la puissance publique est mis à rude épreuve.

En effet, l’administration, surprise dans sa manière ancienne de faire, met tous les moyens en œuvre pour ne jamais exécuter les décisions du juge administratif mise à sa charge. En s’interrogeant à ce propos, Monsieur Jean Marc SAUVE, rappelait dans son discours à l’occasion de son installation à la vice-présidence du Conseil d’Etat français : « le juge administratif est-il indifférent ? ». Cette interrogation vient de ce qu’il a souvent été fait grief au Conseil d’Etat, de se préoccuper moins des principes destinés à guider de manière presque intemporelle l’action de l’administration.

Le juge administratif français par exemple,possède le pouvoir d’injonction préventive, et distingue nécessairement la décision de justice elle-même, de son exécution. Ainsi, le travail du juge administratif ne devrait pas se limiter à apprécier une requête, pour la rejeter ou pour y faire droit. Lorsqu’un litige est tranché, la question de la chose jugée se déplace du juge vers l’administration.

L’exécution de la chose jugée en droit administratif centrafricain dépend beaucoup du bon vouloir de l’administration. De ce point de vue, l’annulation d’une décision par exemple, constitue la fin du pouvoir du juge.

De ce qui précède, deux facteurs au moins, peuvent engendrer l’inexécution des décisions de justice : d’une part, le mauvais vouloir de l’administration et d’autre part les ambiguïtés pouvant naitre quant’ aux conséquences à tirer de la décision, dont la détermination est parfois très complexe.

La présente étude s’articulera autour de la question de l’’inexécution des décisions de justice tenant au mauvais vouloir de l’administration ou à l’ambiguïté pouvant naitre quant ’à leur conséquence(I), dont une offre de prévention ou de remède à l’exécution de la chose jugée est proposée in fine (II).

I : L’inexécution des décisions de justice administrative tenant au mauvais vouloir de l’administration ou à l’ambigüité pouvant naitre de leurs conséquences.

Une décision de justice n’a de sens que, si elle est effectivement exécutée. L’administration à ainsi l’obligation de l’exécuter dès lorsqu’on estime que, la notification du jugement suffit à imposer cette obligation. L’obligation d’exécuter ne peut être suspendue que dans deux cas précis : d’abord, celui ou le jugement est susceptible de voie de recours à effet suspensif. Ensuite, l’obligation d’exécuter la chose jugée peut être suspendue, lorsque la juridiction saisie du jugement a, sur la demande du requérant, ordonné qu’il soit sursis à son exécution.

  • L’inexécution tenant au mauvais vouloir de l’administration.

Avec l’institution de la juridiction administrative, l’administration n’a pas manqué de considérer que le juge,en censurant ses actes commet un crime de lèse-majesté. Ainsi, s’est-elle peu à peu inscrite dans la mauvaise volonté de ne pas exécuter les décisions.  Ce mauvais vouloir se manifeste, tantôt par le refus implicite ou explicite d’exécuter, tantôt, par l’édiction des mesures administratives directement contraires à la chose jugée.

  • Le refus implicite ou explicite d’exécuter la chose jugée.

L’administration refuse à la suite des décisions de justice de prendre les mesures qui s’imposent : par exemple la réintégration d’un fonctionnaire dont la décision d’éviction a été annulée, ou le refus d’accorder certains avantages ordonnés par le juge.  Dans l’affaire[1]( Sieurs BOZANGA et autres), les requérants bénéficiaires d’une promotion au grade de magistrats hors hiérarchie, ont saisi la direction de la solde pour solliciter les effets financiers de cet avancement. En réponse à leur demande, le service des finances leur a opposé une fin de non-recevoir, motivé par l’inapplication des dispositions de la loi des finances de 1991 qui suspend jusqu’à nouvel ordre, les effets immédiats au titre des avancements. Sieur BOZANGA et autres ont saisi le tribunal administratif pour s’entendre annuler cette décision. Confronté à un problème de contrôle de constitutionnalité par voie d’exception, des dispositions de l’article 62 de la loi des finances de 1991, le tribunal administratif a saisi la cour constitutionnelle par recours préjudiciel aux fins d’obtenir sa décision sur l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par l’une des parties. La cour constitutionnelle par décision n°003/CC/07 du 22 aout 2007 a déclaré en son article 2 que, les articles 62 et 82 de la loi des finances de 1991 sont contraires à la constitution.

Fort de la décision de la cour qui est insusceptible de recours et qui s’impose erga ormes à tous les pouvoirs publics, à toutes les autorités politiques, administratives et juridictionnelles, le tribunal administratif a annulé la décision de rejet du ministère des finances ci haut rappelée.  Mais, la direction de la solde n’a jamais exécuté cette décision.

Dans bien des affaires[2] les administrations parties aux procès disposent en appel de la possibilité de contester régulièrement les décisions de justice qui leur sont défavorables. Seulement, elles optent plutôt pour le refus de s’exécuter. Dans cette logique, les administrations ne se limitent pas simplement à refuser d’exécuter l’autorité de la chose jugée, mais elles édictent souvent des mesures directement contraires à la chose jugée

  • Ediction de mesures directement contraires à l’autorité de la chose jugée.

Dans l’affaire dite de contrôle paiement de salaire[3], des agents de l’Etat avaient été révoqués pour avoir perçu indument des salaires. Le juge après examen a considéré que la gestion des salaires relevait de la responsabilité de l’administration et non des agents publics. Il n’a pas trouvé de fautes administratives imputables aux fonctionnaires de l’Etat. Le juge administratif a ainsi annulé certains arrêtés portant révocation. Se rendant compte de son erreur de gestion, l’administration a choisi de commuer les révocations en mise en débet.  De ce fait, elle a réédité la sanction administrative annulé sous une autre forme. Par cet astuce, l’administration a méprisé la décision du juge ayant revêtu l’autorité de la chose jugée.  Dans une affaire[4] similaire, malgré que le juge administratif ait ordonné le sursis à exécution de l’arrêté interministériel attaqué et après qu’il soit rapporté ,une société concessionnaire de confection des documents administratifs sécurisés, refuse de se soumettre à l’autorité de la chose jugée.

  • L’inexécution des décisions tenant à l’ambiguïté pouvant naitre des conséquences des décisions de justice.

Bien des difficultés d’exécution de la chose jugée ne tiennent pas seulement à une résistance des administrations condamnées, mais aussi à des complexités concrètes. Ces difficultés sont d’ordres pratiques.  Elles vont des difficultés sérieuses d’exécution à la lenteur de l’administration à se soumettre.

  • Les difficultés sérieuses d’exécutions

Dans l’hypothèse d’une annulation, il est toujours très difficile de remonter le passé. La situation qui se présente au moment d’une éventuelle annulation est celle dans laquelle, souvent l’irréversible s’est déjà produit. Ces difficultés sont le plus souvent rencontrés dans le domaine de la fonction publique centrafricaine et plus particulièrement au stade de la réintégration et de la reconstitution de carrière. C’est notamment le cas, lorsque la décision de justice doit se traduire par la réintégration d’un fonctionnaire évincé d’un emploi dont il a été irrégulièrement privé, alors que le poste a été pourvu d’un nouveau titulaire. Dans ce type de cas[5], la seule voie possible semble être l’indemnisation du requérant.

  • Les simples lenteurs de l’administration à se soumettre à l’autorité de la chose jugée

Bien souvent, l’administration est trop lente et semble avoir du mal à réaliser, qu’il lui appartient d’exécuter immédiatement et d’office la décision de justice sans attendre d’être saisie par le bénéficiaire. Incontestablement, le retard dans l’exécution constitue un abus régulièrement commis par l’administration. Il n’est pas rare de constater que certains justiciables[6]attendent très longtemps, l’exécution des décisions rendues en leur faveur. A ce propos, l’administration évoque souvent certaines raisons pratiques quelques fois valables qui justifient ce retard. Cependant, ces raisons ne sauraient l’absoudre de son obligation à s’exécuter.

II/ Prévention et remèdes à l’inexécution de la chose jugée

La problématique de l’exécution des décisions de justice administrative n’est pas spécifique à la République centrafricaine. Dans des situations d’inexécution de la décision de justice par l’administration deux questions se posent : premièrement, existe-t-il en faveur du juge administratif et des administrés des moyens de contraindre une administration récalcitrante à s’exécuter ? deuxièmement, comment contraindre les administrations à se soumettre lorsqu’elles sont condamnées ?

Deux mécanismes classiques d’aide à l’exécution des décisions de justices, peuvent être proposés en guise de prévention ou de sanction à l’inexécution de la chose jugée : le mécanisme législatif et jurisprudentiel.

  • Le mécanisme législatif

Ailleurs, en France par exemple,  il est prévu dans l’arsenal juridique des mécanismes législatifs d’aide à l’exécution, les outils tels que l’astreinte et le pouvoir d’injonction du juge.  Seulement, le législateur centrafricain n’a pas encore octroyé au juge administratif, le pouvoir de contraindre l’administration, soit a priori, soit,a posteriori. Pour des raisons inconnues, le débat au plus haut niveau politique, administratif et judiciaire à notre avis, n’est pas encore mené et murie sur la question. Néanmoins, les difficultés d’exécutions des décisions demeurent et les acteurs en sont conscients. Au demeurant, il faut réaffirmer le principe selon lequel, l’administration est tenue d’exécuter de bonne foi les décisions de justice.

Aussi, convient-il de signaler que les voies d’exécutions pratiquées dans l’ordre judiciaire ne sont pas toutes applicables à toutes les décisions de justice administrative. L’idéal serait que le législateur centrafricain doit se pencher sur la question des difficultés rencontrées par le juge administratif et les administrés, à l’occasion de l’exécution des décisions de justice administrative.L’institution d’une loi de procédure d’exécution de décisions de justice administrative serait rassurante pour les administrés. Nonobstant ce qui précède, le droit administratif étant par nature essentiellement jurisprudentiel, le juge administratif centrafricain doit faire preuve d’imagination et d’audace, en adoptant une bonne pratique qui consisterait à convaincre l’administration à s’exécuter de bonne foi en attendant l’intervention des mesures législatives d’aide à l’exécution des décisions de justice.

  • Le mécanisme jurisprudentiel

En l’absence d’un pouvoir d’injonction consacré, le juge administratif par son office tient un pouvoir réel, selon les cas soit, d’accomplir toutes les démarches utiles auprès des administrations pour s’assurer de l’exécution de la décision, soit prescrire toutes mesures juridictionnelles nécessaires.

En effet, l’inexécution des décisions de justice par l’administration constitue pour le juge administratif, une irrégularité commise qui se double d’une faute engageant la responsabilité de la collectivité intéressée. En conséquence,cette collectivité devra réparer le préjudice que son comportement a causé au bénéficiaire d’une décision devenue définitive.

En cas de refus explicite ou implicite de la personne publique de reconnaitre sa responsabilité ou d’assurer l’entière réparation du préjudice, le juge, sur demande de la victime, prononcera la condamnation aux dommages-intérêts qui s’imposent. Ainsi autant de fois qu’il y aura refus d’exécuter, autant de fois, il pourra y avoir condamnation aux dommages-intérêts.

Lorsque le juge à des raisons de croire à une persistance du comportement irrégulier de l’administration, il peut anticiper sur l’avenir et exercer en même temps, un effet de pression sur l’administration en assortissant chaque condamnation de la réserve explicite des droits de l’intéressé à une nouvelle indemnité si un nouveau refus lui est opposé.

Conclusion

Dans le souci d’un fonctionnement régulier et harmonieux des institutions de la République, le principe de la séparation fonctionnelle des pouvoirs doit être respecté scrupuleusement. La mission constitutionnelle du juge administratif reste d’apprécier la légalité de tous les actes administratifs édictés par les autorités politico-administratives. Comme le rappelait Daniel LEBETOULE, président  honoraire de la section du contentieux du Conseil d’Etat français : « le juge administratif censure les actes de l’administration pour la protéger contre elle-même ».

 

[1]Affaire BOZANGA et autres C/ministère des finances.  Recueils des arrêts de la Cour suprême,Chambre administrative, Année judiciaire/ 1982-1995, éd Giraf.

[2] Affaire SESAME C/Etat centrafricain ; Partis Politique de l’Opposition C/ Décret portant découpage des circonscriptions électorales en vue des élections de 2011, Recueil des jugements du Tribunal administratif de Bangui, année 1999 ;

[3]Recueil des jugements du Tribunal administratif de Bangui, année 2000,

[4] Affaire Député Thierry Georges VAKACT C/ Ministère de l’Intérieur& Ministère des finances et du Budget ;

[5] Affaire KABYLO Jacques C/ Etat centrafricain, Recueil des jugements du Tribunal administratif de Bangui, année 1998 ;

[6] Affaire GALAPOU C/ Ministère de l’enseignement, Recueil des jugements du Tribunal administratif de Bangui, 1999-2000)

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