Les miliciens russes du groupe Wagner s’immiscent dans l’élection biélorusse

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Les miliciens russes du groupe Wagner s’immiscent dans l’élection biélorusse
Trente-trois hommes, présumés affiliés à la milice privée russe, ont été arrêtés à Minsk.
Par Claire Gatinois et Nicolas Ruisseau Publié le 01 août 2020 à 08h45 – Mis à jour le 01 août 2020 à 10h13
On les décrit comme les hommes des basses œuvres de Moscou. Efficaces. Féroces. Sans merci. Mais avaient-ils pour mission de faire tomber celui que l’on désigne comme le dernier dictateur d’Europe ? Rien n’est moins sûr. L’arrestation, mercredi 29 juillet, à Minsk, de trente-trois hommes, présumés affiliés à la milice privée russe Wagner, a plongé dans le désarroi nombre de spécialistes en géopolitique. Selon l’agence d’information liée au gouvernement biélorusse, Belta, les paramilitaires appréhendés dans un hôtel Resort, où ils n’avaient pas l’air de touristes russes, étaient dans le pays pour « déstabiliser la situation lors des élections ». Suspectés de fomenter des actions « terroristes », les hommes ont été placés en détention, provoquant l’ire de Moscou.
« Nous espérons bien que nos alliés biélorusses s’expliqueront sur cet incident le plus vite possible et que nos citoyens seront libérés », a déclaré vendredi 31 juillet le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, jugeant l’arrestation de ses concitoyens « sans fondement ». Tout en confirmant que les hommes officiaient bien pour une société de sécurité privée, mais sans la nommer, M. Peskov a démenti toute entreprise de déstabilisation en Biélorussie. « Il est évident que ça ne peut être le cas, la Russie et la Biélorussie sont des alliés, les partenaires les plus proches. » « Leur séjour n’était lié ni à la Biélorussie ni à ses affaires internes », a-t-il ajouté, prétendant que les hommes étaient en transit pour un pays tiers.
Selon le journal russe Novaïa Gazeta, quinze des trente-trois hommes travaillaient bel et bien pour Wagner ou avaient des liens avec le groupe paramilitaire. Selon le procureur général d’Ukraine à Kiev, vingt-huit sont suspectés d’avoir participé au conflit dans le Donbass, dans l’est de l’Ukraine, aux côtés des séparatistes pro-russes. Vendredi, Kiev a affirmé qu’il réclamerait l’extradition de ces derniers.
L’arrestation de ces hommes intervient à quelques jours du scrutin présidentiel prévu pour le 9 août. Alexandre Loukachenko, qui règne sur le pays depuis 1994, remporte habituellement haut la main ces élections réalisées au mépris de toutes les règles de transparence. Mais après avoir exclu la plupart de ses opposants et jeté en prison plus d’un millier de manifestants et activistes, le chef d’Etat affronte une contestation populaire inédite. La foule, fatiguée de sa gestion autoritaire et ulcérée par sa nonchalance face au Covid-19, se masse dans le meeting de celle qui est devenue la principale figure de l’opposition, Svetlana Tsikhanovskaïa, la femme du blogueur Sergueï Tsikhanovski, qui avait qualifié Loukachenko de « cafard » avant d’être mis derrière les barreaux fin mai.
Erreur grossière
En accusant les miliciens présumés d’être à l’origine d’un complot visant à le faire tomber, Alexandre Loukachenko répète une rhétorique déjà usée. Membres de la CIA formés en Georgie, anarchistes venus de Pologne ou de Lituanie… chaque élection est ponctuée d’une menace terroriste servant de prétexte à renforcer les contrôles policiers.
Cette fois-ci, Alexandre Loukachenko, qui a pris l’habitude de zigzaguer entre l’Occident et la Russie, pourrait aussi chercher à « envoyer un signal clair à l’Occident », permettant de justifier une répression massive, pense Sergueï Chaly, commentateur politique biélorusse cité par Radio Svoboda. « Cela dit que si quelque chose de grave se produit (…), les observateurs étrangers devront garder à l’esprit que Loukachenko ne se bat pas seulement contre l’opposition interne, mais aussi contre une tentative de coup d’Etat inspirée par la Russie », détaille-t-il.
Il reste que, jusqu’à présent, Alexandre Loukachenko n’avait jamais pris pour cible la Russie. A en croire Tadeusz Giczan, chercheur biélorusse basé à Londres, le président a sans doute commis ici une grossière erreur. Alexandre Loukachenko et Vladimir Poutine ne s’apprécient guère. Et bien qu’alliés historiques, les deux pays entretiennent des relations tendues, en particulier depuis la fin de 2019, lorsque Loukachenko avait dénoncé les efforts russes pour accélérer l’approfondissement de l’Union Russie-Biélorussie, y voyant une tentative de faire de Minsk un vassal.
Mais en dépit de ces tensions, les analystes estiment que la Russie n’avait aucun intérêt à précipiter la chute du président biélorusse. Et en s’en prenant aux miliciens de Wagner, Alexandre Loukachenko s’expose désormais à de possibles représailles russes, souligne M. Giczan, s’aliénant un partenaire qui aurait pu le soutenir.
Claire Gatinois et Nicolas Ruisseau(Moscou, correspondance)
Lu Pour Vous
La rédaction

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