Accueil A la Une L’élection de Miss Centrafrique, dernier cadeau des Russes à Bangui

L’élection de Miss Centrafrique, dernier cadeau des Russes à Bangui

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Ce week-end aura lieu l’élection de Miss Centrafrique dans un pays encore instable et déchiré. Un concours de beauté qui a dû faire face à d’innombrables défis logistiques, et dont l’organisation n’a été possible que grâce à l’aide de la Russie, nouvel allié du régime.

Avec son diadème en stuc, Charlène Sombo ressemble à une princesse, dont le royaume serait cependant fragile, marqué par une insécurité récurrente et meurtrière. La jeune étudiante de 23 ans, diplômée en «gestion des affaires», sait déjà prendre la pose, sourire à la demande. Et affiche fièrement en bandoulière son écharpe en soie, qui rappelle qu’elle a été élue «Miss Bangui 2018» il y a quelques semaines. Ce week-end, elle fera partie des seize finalistes à concourir pour le titre de Miss Centrafrique.

Un concours ressuscité après les violences de 2013-2014, lorsque le pays sombrait dans le chaos, après les affrontements entre rebelles de la Seleka (identifiés à la minorité musulmane) et milices d’autodéfense antibalaka (affirmant protéger la majorité chrétienne). Dans le petit local dépouillé au sein du Musée national, prêté aux organisateurs de Miss Centrafrique, Charlène confesse ne rien avoir oublié de cette période tragique marquée «par une panique constante» face aux tirs qui retentissaient sans cesse en ville. Encore aujourd’hui, elle redoute de se rendre dans le quartier du PK5, où se concentrent les derniers musulmans qui vivent à Bangui. Une enclave assiégée, toujours soumise à des sursauts de violences et d’affrontements.

Réconciliation

«Le concours de Miss Centrafrique, c’est aussi une façon de favoriser la réconciliation en associant justement toutes les jeunes filles du pays», souligne Léa Floride Mokodopo, une Franco-Centrafricaine, qui a remporté cette année l’appel d’offres pour organiser le concours. Lequel relevait du défi logistique : comment se rendre en province pour sélectionner les candidates quand les deux tiers du territoire, placés sous la coupe de chefs de guerre, échappent toujours à l’autorité centrale ? Comment y parvenir dans un pays grand comme la France et la Belgique réunies, qui ne dispose que de trois axes bitumés ?

«Nous avons parcouru plus de 1 000 km en voiture. Parfois on entendait des tirs dans la forêt. On s’est souvent enlisé, perdu dans des villages oubliés… C’était une véritable expédition», s’exclame Wilfried, alias Busta Love, son nom de scène, qui tente de faire vivre une petite agence de mannequins et a servi de manager pour sélectionner les candidates à travers le pays. «Malgré notre détermination, il nous a été impossible d’aller dans trois provinces, ni même dans le quartier de PK5», reconnaît toutefois Léa Floride, qui a dû faire face à d’autres difficultés : «Au départ on n’avait pas un sou, pas un sponsor. J’ai déposé des dossiers partout. Les seuls qui ont répondu positivement, ce sont les Russes», explique la jeune femme.

Seigneurs de guerre

La Russie est le nouvel allié inattendu du président Faustin-Archange Touadera, élu en 2016. Non seulement les Russes ont obtenu la levée partielle de l’embargo sur les armes, fin 2017, mais ils offrent désormais un soutien militaire au régime. Le président lui-même est désormais épaulé par un «conseiller à la sécurité» russe, Valeri Zakharov. Lequel se trouvait au premier rang le soir de l’élection de Miss Bangui dans le seul hôtel de luxe de la capitale.

L’arrivée des Russes en Centrafrique fait grincer quelques dents, d’autant qu’on les soupçonne de vouloir faire main basse sur les immenses richesses d’un des pays les plus démunis de la planète, (classé 188e sur 189 dans l’Indice de développement humain de l’ONU) : l’or et les diamants, que les Chinois exploitent déjà dans l’Ouest. «Les entreprises russes lorgnent plutôt sur les mines de l’est du pays. Mais pourront-ils s’y imposer durablement vu l’insécurité récurrente de ces territoires aux mains de seigneurs de guerre qui n’ont aucun intérêt à partager leur trésor ?» s’interroge, un peu dubitatif, un expatrié français sur place.

Reste que les Russes sont bien là, installés au cœur du pouvoir à travers des compagnies privées qui mêlent business et soutien militaire. Trois journalistes russes qui s’intéressaient un peu trop à cet affairisme opaque ont été assassinés fin juillet sur une route à une centaine de kilomètres au nord-est de Bangui. Un triple meurtre non élucidé qui n’entame pas dans l’immédiat la popularité des nouveaux bienfaiteurs du pays, également très offensifs sur le terrain social et culturel. «Ils sont très malins. Ils font de l’affichage à moindre coût et ça marche», confirme notre expatrié.

Trampoline

Sponsors d’une nouvelle radio, Lengo Sengö, dont les affiches ont récemment envahi les rues de Bangui, les Russes ont également multiplié les dons de… trampoline. Et peu importe si les écoles qui les reçoivent sont privées de tout, n’ont souvent ni eau courante ni électricité : tout le monde peut admirer le nouveau jeu, offert aux enfants, qui s’orne toujours d’une gigantesque banderole, vantant l’amitié entre la Centrafrique et la Russie.

Lors de l’élection de Miss Centrafrique ce week-end, organisé au Stade des 20 000 Places, les nouveaux amis du pays seront certainement très représentés. Avec peut-être une surprise de taille : la venue annoncée à Bangui de Miss Russie qui ne manquerait pas alors de poser en compagnie de la nouvelle élue du jour.

Maria Malagardis Envoyée spéciale à Bangui

Libération

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