Lee White : « Personne n’est prêt à payer le juste prix pour sauver les forêts tropicales »

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Newly appointed Gabon Minister of Water and Forests, British Lee White, gestures at his former office at the National Agency for the National Parks in Libreville on June 12, 2019. (Photo by STEVE JORDAN / AFP)

Lee White : « Personne n’est prêt à payer le juste prix pour sauver les forêts tropicales »

Le ministre gabonais des forêts se félicite de la décision de la Norvège, qui va rémunérer Libreville pour ses efforts contre la déforestation, et rappelle l’urgence d’agir aux pays industrialisés.

Propos recueillis par   Publié aujourd’hui à 10h45

Temps deLecture 5 min.

Lee White, le ministre gabonais des forêts, à Libreville, le 12 juin 2019.
Lee White, le ministre gabonais des forêts, à Libreville, le 12 juin 2019. STEVE JORDAN / AFP

Le Gabon pourrait recevoir jusqu’à 150 millions de dollars (136 millions d’euros) de la Norvège d’ici à 2025 pour préserver ses forêts, qui couvrent près de 90 % de son territoire et représentent 10 % des forêts du bassin du Congo. L’accord a été annoncé dimanche 22 septembre à New York, à la veille du Sommet pour le climat convoqué par le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Il s’agit du premier accord de financement récompensant un pays africain pour le carbone séquestré grâce aux mesures prises pour lutter contre la déforestation ou préserver des forêts naturelles. Il sera mis en œuvre à travers l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI), qui réunit les pays du bassin du Congo et dont Oslo est le principal bailleur de fonds.

La nomination en juin de Lee White à la tête du ministère gabonais des forêts, de la mer et de l’environnement n’est certainement pas étrangère à la décision de la Norvège. Ce Britannique naturalisé gabonais, auparavant directeur de l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN), est depuis dix ans l’architecte jugé intègre de la politique gabonaise de conservation, dans un environnement miné par la corruption. Sa promotion intervient à la suite du vaste scandale du « kevazingogate », du nom du bois précieux au cœur d’un trafic orchestré par des sociétés chinoises avec la complicité de fonctionnaires locaux. L’affaire, révélée par l’ONG américaine Environmental Investigation Agency, a valu son poste à son prédécesseur et au vice-président, Pierre Claver Maganga Moussavou.

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Tout en se félicitant de ce partenariat avec la Norvège, Lee White appelle à une discussion sur la valeur des forêts tropicales.

Que signifie pour le Gabon cet accord qualifié d’« historique » par la CAFI, qui aura pour tâche de le mettre en œuvre ?

Cet accord représente avant tout la reconnaissance du travail accompli au cours de nombreuses années. Depuis le début des années 2000, nous avons progressivement réformé le secteur forestier en imposant aux entreprises l’adoption de plans d’aménagement prévoyant une durée de rotation des coupes de plus en plus longue. L’interdiction d’exporter les grumes [troncs des arbres abattus] sans les transformer a aussi fait chuter la production de bois. La certification FSC [Forest Stewardship Council, le label de gestion durable le plus exigeant dans le domaine forestier], qui sera exigible de toutes les concessions d’ici à 2022, est la prochaine étape. Nous avons dans le même temps créé treize parcs nationaux pour placer sous protection plus de 20 % de la superficie du pays. La déforestation est quasiment nulle au Gabon.

Le récent scandale du « kevazingogate » a pourtant mis au jour un secteur forestier miné par des réseaux de corruption très sophistiqués. Comment pouvez-vous garantir à la Norvège que vous êtes en mesure d’en venir à bout ?

« La réforme du Code pénal durcit considérablement les peines dans les cas de crimes environnementaux. »

Des sanctions ont été prises et je n’ai pas parlé avec la Norvège de corruption mais de tonnes de CO₂, que nous nous engageons à séquestrer pour contribuer à la stabilisation du climat. Nous avons des moyens de surveillance satellitaire et, sur le terrain, des services de renseignements et de sécurité que je vais mobiliser. La réforme du Code pénal, entrée en vigueur le mois dernier, durcit considérablement les peines dans les cas de crimes environnementaux, qu’il s’agisse de braconnage d’espèces protégées, comme les éléphants, ou de trafic de ressources naturelles. Nous étions sur ce point en retard par rapport à d’autres pays de la région, ce n’est plus le cas. J’ajoute que nous avons signé début septembre un accord avec le ministère chinois de l’environnement sur la gestion durable des forêts, qui va nous aider à faire respecter nos lois. Le gouvernement chinois est tout à fait conscient que les agissements de certaines de ses sociétés sont mauvais pour sa réputation.

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La Norvège versera entre 5 et 10 dollars par tonne de carbone. Etes-vous satisfait de ce prix ?

L’accord a été signé avec la Norvège sur la base de 150 millions de dollars pour 30 millions de tonnes de CO₂, à un prix plancher de 5 dollars. Celui-ci sera porté à 10 dollars si le Gabon valide ses résultats en utilisant les standards reconnus par la Convention climat des Nations unies. Ce contrat sur dix ans rémunère pour partie les performances enregistrées depuis 2016 et celles à venir. Le fait que la Norvège consente à doubler son prix par rapport à celui qui est actuellement pratiqué par d’autres acheteurs sur le marché du carbone forestier est un bon signal. Il nous permet d’espérer que la communauté internationale s’acheminera vers un prix réaliste qui incitera véritablement les pays forestiers à suivre notre exemple.

« Les forêts tropicales disparaîtront si les populations n’ont pas d’autre alternative pour vivre que de les couper. »

Les pays industrialisés reconnaissent que les objectifs de l’accord de Paris ne pourront être atteints sans préserver les grands bassins forestiers tropicaux, mais jusqu’à présent, aucun ne veut payer le juste prix pour la valeur de ces écosystèmes. Pourtant, il y a urgence. Les forêts tropicales disparaîtront si les populations qui en dépendent n’ont pas d’autre alternative pour vivre que de les couper. Il faut avoir une discussion sur le prix : pourquoi le carbone que nous conservons dans nos forêts vaut-il moins cher que celui qui est payé à un industriel européen [25 euros sur le marché communautaire d’échange de permis d’émissions] ?

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Le Gabon est le premier pays africain à recevoir des financements internationaux, alors qu’il a refusé de s’engager dans le programme de réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD) élaboré dans le cadre des négociations climatiques. N’est-ce pas paradoxal ?

Il y a dix ans, les pays industrialisés ont fait beaucoup de promesses avec REDD. Mais il est vite apparu qu’elles ne seraient pas tenues et nous avons préféré nous retirer de ce processus pour suivre notre propre voie. On peut voir une forme d’ironie dans le fait que le Gabon soit le premier à être récompensé, quand tous les autres pays du bassin du Congo ont suivi le chemin tracé pour eux. Mais les programmes de lutte contre la déforestation dans ces pays sont souvent écrits et pilotés par des consultants. Cela ne peut pas marcher. Il faut que les pays puissent faire leurs ces politiques.

Le Monde Afrique

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