LE SYNDROME DU PARTI UNIQUE : Quelques considérations opportunistes sur les pratiques des élites qui concourent au délitement de ce qui reste de la nation centrafricaine

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LE SYNDROME DU PARTI UNIQUE

Quelques considérations opportunistes sur les pratiques des élites

qui concourent au délitement de ce qui reste de la nation centrafricaine

En ouverture, deux remarques sur le processus électoral

La première procède d’une réflexion sur la crédibilité du processus électoral actuel. Les plus hautes autorités ont attendu le deuxième semestre 2019 pour adopter définitivement le nouveau code électoral, vu que l’ancien avait besoin d’un toilettage, après avoir été trituré à plusieurs reprises afin de permettre la tenue aux forceps des élections de 2015. Ce qui n’avait pas empêché, pour autant, la faillite de l’Autorité nationale des élections (ANE), avec l’annulation du scrutin législatif et sa reprise à plusieurs fois pour permettre la désignation des députés qui composent l’Assemblée nationale actuelle. Alors que la Constitution du 30 mars 2016 fait de l’ANE une institution républicaine indépendante, on a trouvé le moyen de dissocier le vote de la Loi organique y relative, faisant en sorte que son organisation et son fonctionnement n’ont pas été amendés afin de tirer les leçons du fiasco de 2015-2016. C’est finalement à moins de trois mois des délais-couperets des échéances électorales de 2020, que la composition de cette institution centrale a été revue, mais pour quels résultatspuisque l’équipe sortante (et défaillante) aura géré l’essentiel des opérations pré-electorales, celles là-même qui conditionnent la fiabilité et la crédibilitédu processus électoral ? Mon sentiment, c’est que ce louvoiement est hélas révélateur du manque de sérieux des dirigeants qui ont la responsabilité de conduire les affaires de l’Etat. Le cadre juridique et institutionnel des élections constitue généralement l’élément sur lequel on construit la sérénité qui sied aux élections dans un contexte politique aussi instable que celui de la République Centrafricaine. J’avais espéré que la fibre démocrate de nos dirigeants, si ténue soit-elle, allait aider à nous éviter d’adopter des textes aussi importants que le code électoral et le statut de l’ANE dans une atmosphère délétère, crispée et finalement très clivante. Si les élections ont généralement pour but de désigner une équipe dirigeante légitimée par une procédure à tout le moins consensuelle, le moins qu’on puisse dire à la lumière des arbitrages récents quant à l’organisation de ces élections, c’est que tout a été fait pour délégitimer par avance ceux et celles qui seront désignés à l’issue du processus électoral actuel. Le chronogramme annoncé par l’ANE a été sans cesse amendé, les délais des différentes séquences des opérations pré-électorales sans cesse modifiés : un enrôlement des électeurs annoncé pour fin juin sur une période de 21 jours, qui n’est toujours pas terminé en octobre, avec des durées d’enrôlement qui s’étalent de 4 à 45 jours, loin de toute équité pour les citoyens appelés à se rendre dans les centres d’enrôlement distants de plusieurs dizaines de kilomètres. Que direensuite de la composition du corps électoral ? Les listes électorales définitives ne sont toujours pas publiées et affichées par l’ANE, à 31 jours du scrutin, alors que leur publication était un préalable au découpage électoral et à la convocation du corps électoral ! Que dire finalement du non-enrôlement des réfugiés centrafricains, alors que la Cour Constitutionnelle de Transition, dans un arrêt du 25 juillet 2015, avait reconnu en leur faveur le droit de voter, réalisant en cela une innovation en matière de droits civils et politiques des réfugiés ? La population des réfugiés centrafricains dans les pays limitrophes s’établit à 623.400 personnes au 31 juillet 2020, selon les chiffres officiels du Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies disponibles sur le site officiel de l’institution,soit potentiellement 300.000 électeurs qui seront exclus du scrutin groupé du 27 décembre 2020. Si d’aventure, et par accident, la Cour Constitutionnelle était appelée à dire le droit quant à la régularité (et à l’inclusivité) des listes électorales définitives (qui tardent à voir le jour), quid de ces Centrafricains dont le droit constitutionnel de vote a déjà pourtant été reconnu ? Devrait-elle prendre en compte des considérations d’opportunité (absence de financement) pour justifier leur exclusion,  ou, s’en tenir à son office, c’est-à-dire se contenter de dire le droit ? En l’occurrence, il s’agirait de constater et juger que les listes électorales définitives méconnaissent le droit de vote des Centrafricains réfugiés, et encourent de ce fait  l’annulation pure et simple, à charge pour les autorités légales et les acteurs politiques de créer les conditions pour que le droit fondamental du (peuple) souverain de choisir ses gouvernants soit respecté ! Il s’agit tout simplement ici de s’assurer que le suffrage souverain est et demeure universel, ce que le discours bureaucratique des Nations Unies et des organisations régionales africaines subodore ici sous le vocable d’inclusivité !

La deuxième remarque que m’inspire l’observation du processus politique et électoral actuel, ce sont les velléités d’instrumentalisation du droit, et par contre-coup, des institutions chargées de dire le droit, dans le déroulement du jeu politique centrafricain. Il ne s’agit pas d’une nouveauté, ni d’un tropisme centrafricain. La République centrafricaine et ses élites s’inscrivent en cela dans la dynamique exclusive des régimes politiques africains qui s’accommodent très difficilement de la démocratie, et son corollaire, la libre contradiction des idées et projets portés par les uns et les autres. En bon démocrate, je trouve franchement indécent cette attente et ce désir incompressible de « jouer le match avant le match », c’est-à-dire de tuer la compétition dans l’œuf.  Il faut dire que les critères d’éligibilité sont utilisés ici pour exclure au maximum les adversaires politiques, et créer les conditions d’une compétition sans enjeux. Dans les vieilles démocraties, l’étape de validation des candidatures par l’instance juridictionnelle ne correspond jamais à un moment d’intense angoisse (pour les postulants et leurs supporters) ; c’est presque toujours un non-événement en soi. Mais dans nos démocraties tropicales, les instances juridictionnelles constitutionnelles font généralement l’élection avant le suffrage populaire : la Côte d’Ivoire et le Niger récemment, et la Centrafrique il n’y a pas si longtemps (souvenons-nous de 2005), ont brillé par ces pratiques d’exclusion de l’adversité grâce à l’instrumentalisation du juge constitutionnel. Et le scrutin présidentiel de 2020 semble ne pas déroger  à la règle ! Une polémique dangereuse est entretenue de manière insidieuse depuis plusieurs mois sur l’opportunité de la candidature de certains candidats à l’élection présidentielle. En l’occurrence, il s’agit notamment de l’ancien président de la République François Bozize Yangouvonda, dont la présence sur le territoire national est sujet à controverses : il serait inéligible selon certains car au moment du dépôt des candidatures début novembre 2020, il n’aurait pas totalisé un an de séjour sur le territoire national comme prescrit par l’article 37 de la Constitution et du Code électoral, vu que pour les autorités exécutives, cette présence est avérée seulement à la date du 15 décembre 2019. Si l’article 37 exige d’avoir 35 ans à la date du dépôt du dossier de candidat (sic), il exige seulement une présence d’un an sur le territoire national afin de concourir à l’élection présidentielle, sans la restriction d’un décompte à partir de la date du dépôt de candidature. Le premier tour de l’élection ayant lieu le 27 décembre 2020, il me semble que la condition de séjour et de résidence sur le sol national est satisfaite pour tous les candidats qui peuvent justifier y résider depuis la date du 26 décembre 2019 au plus tard ! Je tiens à souligner cette fâcheuse tendance des gouvernants africains, à user d’artifices juridiques pour éliminer leurs adversaires politique par l’imposition de critères iniques : ce critère de séjour et de résidence sur le territoire national prend tout son sens avec la Côte d’Ivoire, où Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, bien qu’innocentés par la Cour Pénale Internationales, sont empêchés par les autorités ivoiriennes de retourner en Côte d’ivoire ; que dire de Guillaume Soro, ancien président de l’Assemblée nationale exclu de la scène électorale par une interdiction faite à l’avion qui le transportait de se poser à Abidjan ? Les tribulations du retour clandestin de François Bozize Yangouvonda me paraissent participer de la même stratégie : refuser le droit de retour au pays en refusant le passeport et en interdisant aux compagnies aériennes d’embarquer celui-ci à destination de Bangui s’apparentent aux manœuvres expérimentées si efficacement en Afrique de l’Ouest. La dernière polémiquenée du fait qu’il aurait produit une attestation délivrée par un chef de village prêterait à sourire, si les enjeux n’étaient pas aussi importants. La loi fondamentale et le code électoral exigent une résidence d’un an sur le territoire national, sans jamais préciser les modes de preuve de cette résidence. En l’absence de précisions par une loi ou un règlement, qu’est ce qui empêcherait de produire une simple attestation sur l’honneur de voisins certifiant cohabiter avec telle personne depuis telle date ? Un autre critère qui recèle de manière sous-jacente des velléités d’instrumentalisation du droit, celui de la bonne moralité. On croit rêver, mais non ! Non content d’exiger l’absence de condamnation infâmante ou de privation des droits civiques par le juge de droit commun, ce qui ne pose aucun problème, les spécialistes de l’ingénierie politico-juridique africaine soucieux de fournir des instruments opératoires de disqualification des opposants/adversaires politiques, ont réussi à imposer l’idée de l’exigence de « bonne moralité ». Comment le juge constitutionnel va établir la mauvaise moralité d’un candidat qui n’a jamais eu de casier judiciaire ? Osera-t-il, ce fameux juge constitutionnel, invalider un candidat-président sortant dont de nombreuses pratiques seraient susceptibles de sanctions pénales mais qui bénéficierait, en tant que chef d’Etat en exercice, d’immunités de juridiction qui renvoient à une autre vie la mise en branle de l’appareil judiciaire ? Ces critères traduisent à mon sens des stratégies d’éviction des adversaires, elles ne participent pas à la saine émulation démocratique née de la libre expression, donc de la contradiction dans l’animation de la vie politique et la sanction des offres politiques par le peuple souverain.

Après avoir développé longuement, mais de manière non exhaustive, ces deux remarques préliminaires qu’exigent une brève observation du processus politique et électoral actuel, je voudrais m’attacher à pourfendre le mal profond qui sous-tend cette dynamique franchement régressive des élites politiques centrafricaines (et africaines), et que je nomme le syndrome du parti unique. Tout ce passe comme si ces élites, dirigeants et opposants confondus, mais à des degrés de responsabilité différents, sont réfractaires à la démocratie et développent une forme de nostalgie quant au système de parti unique. Le pouvoir incline à se comporter suivant le schéma du parti-Etat, dans le discours et la mise en scène de son agir, tandis que les oppositions ont souvent la faiblesse d’exploiter des tactiques et stratégies propres aux activités clandestines des opposants des régimes de parti unique.

A des degrés différents, ces élites sont porteuses de pratiques qui violent l’esprit et les règles élémentaires de la démocratie. Elles s’en accommodent pour la conquête du pouvoir, mais développent des pratiques antinomiques lorsqu’elles doivent diriger les appareils du pouvoir d’Etat. Elles s’accommodent également des violations, altérations des règles démocratiques, au prétexte qu’il n’y a pas d’élection ou de démocratie parfaite –discours récemment énoncé par des représentants d’institutions onusiennes et africaines-, et se plaignent ensuite d’une marginalisation systématique ou systémique, lorsqu’ils sont contraints à subir la condition d’opposants, pour ceux qui ont échoué aux élections en question et n’ont pas été cooptés pour la gestion du pouvoir.

Ces inconséquences expliquent à mon humble avis, cette forte propension des dirigeants (et leurs miroirs inversés, les opposants) à réaliser des exploits et des records négatifs comme aimait à le qualifier, de manière perfide, le défunt ténor du Barreau centrafricain, Maître Zarambaud Assimgambi.

L’actualité centrafricaine continue à lui donner raison, outre-tombe, hélas ! Que dire face à cette scène des plus surréaliste, vécue ce mardi 24 novembre 2020 sur le terrain de l’UCATEX dans le VIIIème arrondissement de Bangui : les éléments de la MINUSCA, avec des véhicules blindés, qui prennent position sur et tout autour du site du meeting de l’opposition, d’abord interdit puis finalement autorisé en fin de matinée (sûrement après des pressions amicales) : l’imposant dispositif sécuritaire mobilisé et déployé depuis l’avant-veille, pour empêcher ledit meeting (comprenant pêle-mêle, forces spéciales, garde présidentielle, gendarmerie nationale, police centrafricaine), est tout simplement prié de se retirer. C’est la MINUSCA qui a été finalement en charge de la sécurité du meeting de l’opposition. A croire que les forces de défense et de sécurité intérieure n’ont vocation qu’à sécuriser les réunions et apparitions publiques du chef de l’Etat, du Gouvernement et de leurs affidés. On croit encore rêver ? Mais pas tant que cela, puisque ce sont les forces de sécurité intérieures qui ont elle-même saccagé les installations devant abriter ledit meeting, dans la soirée du lundi, au vu et au su de tous, donc des caméras des smartphones de tous ceux qui étaient sur les lieux. Elles se sont donc disqualifiées pour assurer le maintien de l’ordre et la sécurité des participants au meeting, alors que c’est l’une des missions républicaines qui fondent leur raison d’être.  Sacrée Centrafrique !

(A suivre)

Serge-Alain YABOUET-BAZOLY,

Politologue, Avocat à la Cour

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