Le droit en Afrique : rapports de force et champs d’opportunités [Tribune]

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 «Le droit est le souverain du monde», disait Mirabeau. Régissant, codifiant, normalisant l’ensemble des interactions entre les individus, le droit apparaît de plus en plus comme un champ à dominer. Économiquement, ses subtilités permettent de structurer, protéger et maîtriser un marché concurrentiel. Utilisé comme un vecteur d’influence à des fins économiques, le droit fait l’objet d’un rapport de force entre deux visions qui s’opposent ou se complémentent, le droit de tradition civiliste francophone et la «Common Law» anglo-saxonne.

Le développement de l’Afrique a pour originalité de mettre en exergue les velléités propres à un marché et les différents moyens de le maîtriser. Le droit en fait partie.

Prise de conscience et homogénéisation des modèles de gouvernance

L’attrait des investisseurs pour le Continent a toujours été important. Néanmoins, celui-ci a pendant longtemps été freiné par leurs réticences, induites par les problèmes de stabilité politique et économique de certains pays, ralentissant ainsi le développement inclusif de l’Afrique. Le continent africain est depuis quelques années en complète mutation. Celle-ci s’amorce à plusieurs niveaux : politique et sociétal, mais de manière plus importante sur le plan économique. Une prise de conscience s’est effectuée au fil des années concernant la place de l’Afrique et ses possibilités en matière de gestion des ressources, de développement économique et de modernisation. Les carences en infrastructures stratégiques se sont fait ressentir et ont ainsi accentué la nécessité de modifier les modèles de gouvernance à long terme.

L’une des réflexions importantes de cette prise de conscience fut la nécessité de se prémunir d’un socle juridique stable et homogène. Elle s’est formalisée par la création de la zone OHADA. En optant pour une harmonisation des pratiques, ses dix-sept membres ont augmenté leurs champs des possibilités, créant de fait une zone d’échange de 9,1 millions de km² offrant une stabilité juridique propice aux investissements.

Ainsi, les projets d’infrastructures, notamment dans les énergies renouvelables, se sont multipliés, résultants de la convergence entre ambition de développement et intérêts des investisseurs. Dans le cas présent, la régionalisation semble être une solution appropriée afin d’entamer des mutations favorables au développement du Continent.

Le droit, outil d’influence et de maîtrise du marché

Le droit se révèle comme un composant de premier plan dans le mécanisme de concrétisation d’investissements locaux et étrangers. Le marché se structure autour de règles et de normes édictées par le droit appliqué. Ainsi, avoir la possibilité de structurer les règles juridiques, ou a minima les influencer, fait du droit un outil de maîtrise de la concurrence, octroyant par conséquent un avantage compétitif à certaines entreprises. Cette structuration passe par nombre d’éléments, tels que la gestion de la propriété intellectuelle par la réglementation des brevets ou la gestion des normes qu’elles soient financières, réglementaires ou bien techniques.

Placés en amont du marché, ces dispositifs juridiques peuvent être utilisés comme leviers afin de concurrencer d’autres entreprises, s’emparer de parts de marché ou bien le maîtriser dans son ensemble. Ce phénomène permet, par ailleurs, d’obtenir un éclairage sur l’implication des cabinets internationaux en Afrique et d’obtenir une nouvelle grille de lecture sur leur rôle et leur importance dans ce processus.

Bien que leurs actions sur le Continent soient disséquées avec attention -comme ce fut le cas lors de la participation du barreau de Paris à la création d’un organe équivalent au sein de l’OHADA, ils agissent comme véritables influenceurs. En augmentant la convergence entre standards internationaux et droit local, ils agissent ainsi sur les possibilités de structuration, modification et orientation des systèmes juridiques.

OHADA vs Common Law, opposition ou complémentarité ?

La concurrence exacerbée que se livrent ces cabinets d’avocats sur le marché africain est symptomatique d’un rapport de force entre deux approches juridiques, issues de la Common Law et du droit de tradition civiliste, représenté par le droit OHADA. Pour rappel, le droit civil s’appuie sur le respect de codes juridiques précis tandis que l’anglo-saxon se base sur le principe de jurisprudence. Ce dernier est considéré comme plus souple et plus favorable aux opportunités de business. Le système de la Common Law est beaucoup moins normatif. Ne disposant pas de constitution écrite ou de lois codifiées, les décisions judiciaires ont force exécutoire, permettant ainsi une liberté contractuelle étendue.

De prime abord, ces deux visions ont toujours eu tendance à s’opposer. Le cas du Cameroun, seul pays d’Afrique où sont applicables les deux droits suivant leur zone de prédilection, fait office de cas d’étude. La crise endémique qui touche le Cameroun fait état de tensions entre les zones anglophone et francophone, et ce, à tous les niveaux, qu’ils soient politiques, économiques ou sociétaux. Ceci a pour effet de créer un climat des affaires délétère, ce qui ne favorise pas l’attrait et la confiance des investisseurs. Cette tendance s’est reflétée dans le classement Doing Business 2017, classant le Cameroun au rang de 166e sur 190.

Si l’on s’applique à observer plus attentivement l’échiquier juridique, on peut observer que l’un des principaux problèmes réside dans le fait de créer un droit codifié au niveau supranational (Art. 10 de l’acte uniforme) tout en ayant à l’échelle nationale, un système jurisprudentiel en constante évolution. D’autre part, la composante linguistique est aussi un élément qui est trop négligé. En effet, les traductions de qualité ne sont pas nombreuses et altèrent de facto la condition de citoyens anglophones souhaitant accéder aux instances juridiques de l’OHADA.

Champs d’opportunités

La régionalisation semble avoir été un choix stratégique afin de créer une entame au développement. Cependant, des luttes d’influences semblent freiner la complémentarité de ces deux visions juridiques au profit d’un rapport de force préjudiciable pour les intérêts du continent. L’application d’une sorte de «pick&choose» est à préconiser, favorisant ainsi l’obtention d’une version plus flexible d’un droit à l’origine très réglementé et de s’adapter aux besoins de chaque région. Cela aura pour effet une homogénéisation plus efficiente entre les régions et de dynamiser l’attrait et la confiance des investisseurs. Malgré une prise de conscience et des efforts concrétisés en matière de création d’infrastructures, les gouvernances juridiques ont encore une carte importante à jouer.

D’autre part, dans une ère où le digital prend toute son importance, il y a encore des carences en matière d’infrastructures, notamment juridiques, pour permettre une émergence du 2.0 et faire de l’Afrique un continent hyper compétitif dans ce domaine.

Dans ses ambitions d’expansion, le droit OHADA a la possibilité d’améliorer son modèle et sa compréhension en se flexibilisant davantage. Par ailleurs, les problématiques linguistiques et digitales sont autant de champs à prendre en compte. Ces derniers permettraient aux différentes visions juridiques de converger afin de créer un environnement propice au développement rapide de secteurs importants pour le Continent.

Tribune d’Afrique

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