L’Algérie veut intégrer les Brics: un projet à prendre au sérieux?

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Monde / Économie

L’Algérie veut intégrer les Brics: un projet à prendre au sérieux?

Certains experts estiment que l’entrée du pays dans le groupe serait bien plus utile que sa présence au sein de la Ligue arabe.

«Seule notre adhésion aux Brics est en mesure de nous prémunir des influences occidentales qui freinent l'essor de l'Algérie et des pays du Sud», estime Nadir, correcteur à Alger. | David_Peterson via Pixabay
«Seule notre adhésion aux Brics est en mesure de nous prémunir des influences occidentales qui freinent l’essor de l’Algérie et des pays du Sud», estime Nadir, correcteur à Alger. | David_Peterson via Pixabay

Le 7 novembre dernier, un porte-parole du ministère algérien des Affaires étrangères a annoncé que le pays demandait de manière officielle à rejoindre l’organisation supranationale des pays émergents dite «Brics», qui regroupe jusqu’ici cinq pays: le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Beaucoup d’Algériens réagissent à cette déclaration de manière très sarcastique.

«On touche à l’absurde. Le pays ne produit pas une aiguille [autrement dit, l’Algérie ne produirait rien, ndlr] sans le pétrole… Ce serait un retour au Moyen Âge, avec charrettes et animaux de la basse-cour», ironise par exemple sur le coup un internaute. Sur la même lancée, de nombreux commentateurs tentent d’en faire un sujet de tartufferie, en imaginant le nouveau nom que devrait porter l’organisation après l’entrée de l’Algérie: «Bricas ou Bricsa?»

Les Brics, plus utiles que
la Ligue arabe?

Cela dit, cette ambition de jouer dans la cour des grands a aussi ses fervents défenseurs, et pas forcément que dans les cercles du pouvoir. Soufiane Djilali, chef du parti d’opposition Nouvelle génération (Jil Jadid), l’exprime sans complexe dans un post sur sa page Facebook: «Excellente initiative, l’Algérie dans les Brics lui donnera un nouvel élan.»

Interrogé par Slate.fr, il explique que «l’Algérie doit s’intégrer à un programme de développement multilatéral qui lui donnerait un rôle interactif avec des partenaires importants. Il pourrait y avoir des investissements rentables avec une configuration marchande anticipée.» Pour le politique, Alger pourrait, avec les Brics, rompre son isolement qui l’a, selon lui, transformé en simple consommateur «tant qu’il y a des hydrocarbures».

Des arguments que partage Nadir, correcteur dans un quotidien francophone paraissant à Alger. «Seule notre adhésion aux Brics est en mesure de nous prémunir des influences occidentales qui freinent l’essor de l’Algérie et des pays du Sud», estime-t-il.

Vue sous un autre angle, la nouvelle tombe à point pour ceux, nombreux au sein de l’opinion, qui désirent que l’Algérie quitte la Ligue arabe, surtout depuis le dernier sommet organisé à Alger le 1er novembre dernier, marqué par le boycott d’une demi-douzaine de chefs d’État et de monarques arabes. Et ce bien qu’en réalité, l’adhésion de l’Algérie aux Brics ne l’empêche guère de continuer à siéger au sein de cette organisation panarabe.

«Voilà une idée d’association très intéressante, sérieuse et qui a de l’influence, contrairement à la Ligue arabe qui ne sert absolument à rien ou, pire, à attiser des différents déjà dramatiques et compliqués», écrit ainsi Abdelhakim Khoulali, chef de bloc opératoire au CHU d’Alger.

Un rêve de grandeur

Ce sentiment de (pouvoir) appartenir à une organisation regroupant un certain nombre de grandes nations, abstraction faite des différences culturelles ou de leur politique extérieure respective –parfois belliciste, comme dans le cas de la Russie–, constitue pour nombre d’Algériens une source de fierté. Mais encore faut-il savoir l’exprimer, car cela risque de conforter le discours officiel qui, depuis quelques mois, aime présenter l’Algérie comme une «force de frappe».

Cette expression a été utilisée la première fois en septembre 2021 par le président algérien Abdelmadjid Tebboune, qui affirmait alors que «le monde entier reconnaît que l’Algérie est une force de frappe, sauf certains Algériens», avant d’être défendue par l’Armée nationale populaire pour répondre à l’«hostilité» marocaine. Elle a ensuite été largement reprise pour vanter le poids, réel ou rêvé, du pays sur l’échiquier géopolitique régional. Mais de nombreux opposants s’en sont également emparés pour railler le pouvoir au moindre couac ou scandale.

C’est dans ce contexte qu’Abdelmadjid Tebboune a émis, dès le mois de juillet, le vœu que son pays intègre les Brics, arguant que cela «protégera l’Algérie des frictions entre les deux pôles». À l’époque, personne n’y avait cru et nul n’en parlait, y compris dans les médias pro-gouvernementaux.

D’autres pays en attente

En effet, le débat ne fait que commencer, mais intéresse surtout, pour l’instant, les experts. Loin des positions tranchées et des réactions épidermiques, des questions reviennent régulièrement. Parmi elles: l’Algérie a-t-elle vraiment les moyens de sa politique, avec une économie qui dépend de façon toujours aussi outrageuse (à 97%) de ses exportations du gaz et du pétrole, une sécurité alimentaire toujours aussi fragile, comme en témoignent les pénuries récurrentes de certains produits de large consommation tels que l’huile, le lait ou la semoule, pour oser se mettre au même niveau que des puissances comme la Chine ou la Russie?

Autres interrogations: une éventuelle adhésion aux Brics pourrait-elle enfin permettre à l’économie algérienne le décollage promis depuis des décennies? Pourrait-elle réellement lui assurer une plus grande invulnérabilité internationale? Si oui, quelles sont les garanties? Quelles incidences sur les futures relations, notamment avec la France, partenaire devenu incontournable de l’Algérie? Autant de questions qui restent sans réponse.

Le débat a commencé à prendre une tournure plus sérieuse depuis que les deux principaux membres des Brics, la Chine et la Russie, ont réagi favorablement à la demande algérienne. Mais il faut savoir que d’autres pays du tiers-monde, notamment du continent africain, autrement plus costauds que l’Algérie, comme l’Égypte (105 millions d’habitants) et le Nigeria (211 millions), ont déposé des demandes d’adhésion aux Brics et sont, eux aussi, dans l’attente du quitus de ce groupe.

Les plus sceptiques estiment que le poids démographique relativement faible de l’Algérie (45 millions d’habitants) risque de lui être défavorable dans la décision finale. Sur ce point, il faut espérer un rebond miraculeux à la publication, attendue dans les semaines prochaines, des résultats du recensement général achevé le 9 octobre.

https://www.slate.fr/

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