La présence de Wagner en Afrique

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La société militaire privée (SMP) Wagner s’est implantée en Afrique à partir de 2018 et
a étendu son influence à de nombreux pays du continent. Aujourd’hui, la présence du
groupe paramilitaire est avérée en République Centrafricaine (RCA), au Mali, au Soudan,
en Libye, au Mozambique, au Congo, en Érythrée, en Côte d’Ivoire et à Madagascar ;
elle est présumée dans les pays du Burkina Faso, de la Guinée Bissau, de la Guinée et du
Zimbabwe. Avant sa mort, Prigojine avait également pour projet de s’implanter au Tchad
via le Nord de la RCA.

Dans chacun de ces États, le groupe Wagner suit un mode opératoire similaire. Les
miliciens sont officiellement déployés dans le cadre d’une mission d’instruction militaire
leur permettant d’intervenir dans le pays d’accueil conjointement avec les forces armées
des régimes en place, puis de manière indépendante. Proches des cercles de pouvoir, ils
ont souvent la charge de la protection rapprochée des dirigeants en place. En contrepartie
de ses interventions, le groupe Wagner s’approprie les ressources minières (or et diamant)
et énergétiques (pétrole) des pays et se livre impunément à de nombreuses exactions et
massacres à l’encontre des populations locales. Enfin, les États désormais sous influence
de la SMP servent de relais à la propagande pro-russe sur le reste du continent. Celle-ci
est d’une efficacité redoutable : dès les années 2013-2015, des politologues travaillant
pour la fondation pour la protection des valeurs nationales réalisent des enquêtes
sociologiques en RCA, au Mali, en Libye et à Madagascar. Ils perçoivent la montée d’un
« sentiment anti-français » sur lequel les Russes sauront capitaliser avec succès. Telle est
aussi ce qu’il faut retenir de l’empire Prigojine : il ne se réduit pas à une milice privée
mais intègre un réseau médiatique puissant au service de la diplomatie russe. Il se
compose d’ailleurs principalement de civils, depuis des secrétaires jusqu’à des
politologues, en passant par des géologues et de nombreuses autres professions où les
femmes sont bien représentées.

L’implantation la plus importante du groupe Wagner se trouve en RCA. La société s’y
est installée à partir de 2018 dans le cadre d’un accord bilatéral signé entre Bangui et
Moscou, prévoyant le soutien militaire russe en échange de concessions minières
avantageuses. Installés à Bobangui, un camp militaire à 50 kilomètres de la capitale, les
2 000 miliciens de Wagner sont d’abord chargés de l’instruction de l’armée
centrafricaine. Rapidement, ils assurent la protection rapprochée du président,
Faustin-Archange Touadéra. En décembre 2020, à la demande de ce dernier, les miliciens
de Wagner se déploient pour contrer l’avancée de la coalition des patriotes pour le
changement (CPC), dirigé par l’ancien président Bozizé, qui a tenté de le renverser. Cet
évènement marque un tournant dans la présence de Wagner dans le pays : la milice agit
désormais indépendamment des forces armées centrafricaines (FACA), dans le but de
renforcer l’assise du pouvoir en place à échange de la cession de concessions minières
d’or et de diamants, octroyées à deux sociétés du groupe Prigojine, Midas Ressources et
Diamville. En 2019, Evgueni Prigojine a obtenu le permis d’exploitation de la mine d’or
de Ndassima via Midas Ressources, une société appartenant au groupe Incomad dont les liens avec Prigojine sont avérés : la production d’or de Ndassima est estimée à quatre
tonnes d’or par an, soit l’équivalent de 290 millions de dollars.

Au Mali, l’arrivée des troupes de Wagner a été plus tardive, même si les liens entre le
pays et la Russie sont anciens et encadrés par de nombreux accords de coopération. Elle
est motivée par l’intérêt du Mali pour l’offre sécuritaire russe dans sa lutte contre le
terrorisme djihadiste : le pays obtient la livraison de matériels militaires russes, ainsi que
la formation de ses troupes dès septembre 2021 et une coopération militaro-technique. Le
gouvernement malien a toujours nié la présence des miliciens pourtant estimée à
1 000 personnes dès décembre 2021 et à 1 500 en 2023. Leur mission s’articule
principalement autour de la protection de la junte militaire et d’interventions communes
avec les forces armées maliennes (FAMa) au centre du pays, dans les zones d’insurrection
djihadiste. Si les les FAMa et les miliciens Wagner ont connu des revers militaires, leurs
interventions ont aussi exacerbé localement les tensions communautaires et se sont
accompagnées d’importantes exactions à l’encontre de populations civiles, notamment à
Mourra, en mars 2022, où 300 personnes auraient été tuées par Wagner et les FAMa. À
la différence de la République centrafricaine, la réglementation entourant l’exploitation
des concessions minières maliennes sont plus difficiles à contourner et le groupe Wagner
n’a pas encore réussi à s’emparer des mines artisanales au nord du Mali qui demeurent
contrôlées par des groupes armés, tels que la coordination des mouvements de l’Azawad,
qui ont condamné le recours à la milice.

En Libye, les forces de Wagner sont arrivées en mai 2018, en complément du soutien
officiel – diplomatique et financier – apporté par la Russie au général Haftar dès 2016,
dans le cadre d’une alliance avec les Émirats arabes unis, l’Égypte et l’Arabie saoudite.
Selon l’ONU, la société Wagner aurait déployé 1 500 miliciens aux côtés des forces du
général Haftar et aurait largement contribué à l’offensive de Tripoli à l’automne 2019. Si
cette offensive se solde par un échec, les mercenaires de Wagner sont incriminés par
l’ONU et les États-Unis, pour la pause de mines terrestres antipersonnel aux abords de
Tripoli. En janvier 2020, Vladimir Poutine reconnaît la présence de mercenaires russes
en Libye mais précise qu’ils ne servent pas les intérêts russes. En parallèle de leurs
interventions auprès du général Haftar, les mercenaires de Wagner ont pris pour cibles
les ressources pétrolifères libyennes : dès juillet 2020, la National Oil Corporation
libyenne a annoncé que les mercenaires se sont emparés de plusieurs sites pétroliers ainsi
que de leurs infrastructures de transport (gazoducs).

Malgré la guerre en Ukraine, la présence de Wagner en Libye est restée importante, car
le pays est un lieu stratégique pour l’entrée des forces de Wagner en RCA et au Mali et
la confiscation de sites pétroliers stratégiques libyens offre à la Russie un avantage
énergétique considérable sur l’Europe.

Au Soudan, le groupe Wagner est resté relativement éloigné des conflits locaux, sans
s’associer à une faction combattante particulière. En revanche, dès 2017, la SMP a obtenu
des contrats de concession sur l’exploitation de mines d’or via la société M Invest et sa
filiale Meroe Gold, le Soudan possédant l’une des plus grandes réserves d’or du
continent. Déjà sous le régime du dictateur Omar el-Béchir, en 2017, les Russes avaient
conclu un accord prévoyant l’installation d’une base navale russe en mer Rouge, à
Port-Soudan. Le nombre de mercenaires russes dans le pays est estimé à 500.
Officiellement instructeurs de l’armée soudanaise, ils seraient stationnés au Sud-Ouest du pays, à proximité de la frontière du Soudan et de la RCA.

Source principale : « La pénétration du groupe Wagner en Afrique », Michel Klen, revue de défense nationale, 2023/5 (N°860), p. 53-58.

 

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