La politique africaine d’Emmanuel Macron, histoire d’une rupture

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La politique africaine d’Emmanuel Macron, histoire d’une rupture

Par Cyril Bensimon , Philippe Ricard , Elise Vincent et Christophe Châtelot

Publié le 04 novembre 2023 à 06h00,

RÉCIT | « France-Afrique, la cassure » (3/3). Malgré l’ambition saluée de renouveler les relations entre l’ancien pré carré français et l’ex-puissance coloniale, le président de la République a échoué à engager un réel renouveau.

Ce 28 novembre 2017, l’ambiance est fébrile dans l’amphithéâtre central de l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, au Burkina Faso, construite sur des fonds libyens à l’époque de Mouammar Kadhafi . «Il n’y a plus de politique africaine de la France», affirme Emmanuel Macron sous les applaudissements des étudiants, qu’il tente de mettre de son côté. «Je suis comme vous, d’une génération qui n’a jamais connu l’Afrique comme un continent colonisé… Je suis d’une génération dont l’un des plus beaux souvenirs est la victoire de Nelson Mandela… Je suis d’une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation sont incontestables… Je suis d’une génération où l’on ne vient pas dire à l’Afrique ce qu’elle doit faire», clame-t-il, sans mesurer tout ce qui, au-delà de l’âge, le sépare de son auditoire. Le discours se veut fondateur. Il affiche l’objectif de renouveler le lien entre l’ancienne puissance coloniale et cette partie du continent qu’elle a colonisée.

Un incident marquera tout autant les esprits lors de cette conférence. Interpellé sur la question des coupures de courant récurrentes au Burkina Faso, le chef de l’Etat prend à témoin son homologue burkinabé de l’époque, Roch Marc Christian Kaboré, présent à ses côtés. «Mais moi, je ne veux pas m’occuper de l’électricité dans les universités au Burkina Faso! C’est le travail du président», dit-il. Au même moment, son homologue s’éclipse pour assouvir, comprendra-t-on plus tard, un besoin pressant. «Du coup, il s’en va… Reste là!», lui lance le président français, sur un ton familier, un rien moqueur, que beaucoup jugeront paternaliste. Et il conclut: «Il est parti réparer la climatisation.»

Six ans plus tard, alors que le retrait forcé des quelque 1 500 militaires français déployés au Niger, engagé début octobre et faisant suite au coup d’Etat militaire du 26 juillet, constitue un échec de taille pour le locataire de l’Elysée, l’anecdote est restée dans les mémoires. «La boutade a eu plus d’impact que tout ce qu’il a dit lors de sa visite, se souvient un diplomate. Emmanuel Macron, de par son âge, aurait pu être très populaire en Afrique, mais ce n’est pas le cas, car son style direct, suggérant à ses interlocuteurs de se prendre en main plutôt que de se plaindre, a du mal à passer.»

Quant au discours de Ouagadougou, il a montré ses limites. Rien, pas même le volontarisme alors affiché, ne semble pouvoir endiguer le recul de l’influence française en Afrique francophone depuis que des militaires putschistes, qui, du Mali (2020) au Burkina Faso (2022) puis au Niger (2023), ont fait – avec un certain succès populaire – de la remise en cause du lien avec Paris leur premier combustible politique.

La France et son président semblent bien seuls

Le dernier camouflet remonte au dimanche 24 septembre. A son corps défendant, le président de la République cède alors aux exigences de la junte nigérienne: il se résout à rappeler son ambassadeur à Paris, puis à retirer les troupes françaises d’ici à la  n de l’année. S’il reste en contact avec le président déchu, Mohamed Bazoum, et demande sa libération, Emmanuel Macron voit s’éloigner la perspective du retour au pouvoir de ce précieux allié, démocratiquement élu en 2021 et dernier président sahélien à assumer publiquement la nécessité du soutien militaire français dans la lutte contre les groupes armés djihadistes. «Macron est quelqu’un qui comprend bien la complexité de l’Afrique, mais, sur le Niger, il n’a pas eu d’autre ligne politique que “Il faut sauver Bazoum”», déplore un ancien général français.

La France et son président semblent bien seuls dans le rapport de force engagé avec les militaires nigériens, illégitimes certes, mais bel et bien au pouvoir. Dans un premier temps, leurs alliés américains et européens se sont montrés plus indulgents sur les principes, comme Paris l’a si souvent été ailleurs sur le continent et l’est encore, au Gabon, après la chute d’Ali Bongo Ondimba, le 26 août, ou encore au Tchad. Emmanuel Macron fut le seul chef d’Etat occidental à se rendre aux obsèques d’Idriss Déby Itno, tué au front par des rebelles en avril 2021, dont le bilan démocratique entre son arrivée au pouvoir, les armes à la main en 1990, et sa disparition est sans aucun doute très négatif. Le Tchad constitue pour les militaires et les présidents français la clé de voûte de l’architecture sécuritaire régionale et Paris n’a eu aucun problème à adouber Mahamat Idriss Déby, projeté, à 37 ans, à la tête du pays par un coup d’Etat constitutionnel après la mort de son père.

Le Niger n’a pas cette importance. Hors de question, donc, d’accepter le coup de force du chef de la garde présidentielle, le général Abdourahamane Tiani. Lorsque la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) agite la menace d’une intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel dans les jours suivant le putsch du 26 juillet, l’Elysée se range ostensiblement derrière cette organisation régionale. La France, qui, au mois d’août, multiplie les conseils de défense d’urgence, fait même savoir que, le cas échéant, ses militaires appuieraient l’opération ouest-africaine.

Mais voilà, si la Cedeao continue de dire que l’option militaire demeure sur la table, celle-ci est affaiblie par les dissensions entre partisans et opposants de la manière forte en son sein. A Paris, il devient de plus en plus difficile de camper sur la ligne dure. Les soldats français sont donc contraints de se retirer d’un troisième pays du Sahel en moins de trois ans, après l’annonce de la  n de l’opération «Barkhane» au Mali, en novembre 2022, puis celle de l’opération «Sabre» au Burkina Faso, trois mois plus tard.

Enlisement sécuritaire

La pilule est amère pour celui qui martelait encore, le 27 février, dans un discours prononcé cette fois de l’Elysée, son intention de mettre en place «un nouveau partenariat pour l’Afrique». Comme à Ouagadougou, six ans plus tôt, le président met alors l’accent sur la jeunesse, la culture, le sport, les questions mémorielles, la diaspora et la démocratie. Une autre innovation porte sur la volonté d’associer plus étroitement les secteurs privés et les sociétés civiles de part et d’autre de la Méditerranée. «Un projet prometteur dont le bilan est étique», tranche sévèrement une étude de l’Institut français des relations internationales publiée le 10 mai.

«Lintuition initiale d’Emmanuel Macron était bonne, mais elle a é mal mise en œuvre, estime Thierry Vircoulon, chercheur associé à ce centre de réflexion. Elle a souffert d’une sur communication et du “en même temps” macronien. Dans un mélange de nouveau et d’ancien, il a câliné la jeunesse tout comme les pouvoirs en place, quitte à troubler tout le monde.» En octobre 2021, le nouveau sommet Afrique-France de Montpellier, organisé uniquement avec des représentants de la société civile, suscite la rancœur de nombreux dirigeants du continent, snobés pour l’occasion par l’Elysée. «Est-ce que quelqu’un peut lui expliquer comment se comporter avec nos présidents?», questionnait alors, un peu stupéfait, le chef de la diplomatie d’un pays sahélien. «Le sommet de Montpellier a été une erreur  flagrante. Il a vexé les chefs d’Etat et ne s’est  finalement adressé qu’à la diaspora. Pour édicter une politique, il faut le faire avec les décideurs», estime un autre.

Pour Thierry Vircoulon, les choix et le style présidentiels n’ont fait qu’accélérer un «mouvement de fond historique», qui voit le continent africain prendre ses distances avec la France, et l’Europe en général, au pro t de nouveaux partenaires comme la Chine, la Russie ou la Turquie. «Ses maladresses ont été surexploitées mais, comme Nicolas Sarkozy, il aurait dû être plus prudent dans ses discours, renchérit un homme de l’ombre ayant ses entrées auprès de plusieurs présidences africaines. Il a mis en place un Conseil présidentiel pour l’Afrique a n de renouveler la relation, mais les gens qui le composent sont issus de la diaspora. Ils ne vivent pas les réalités du continent. Macron est arrivé avec des gens qui lui ressemblent, mais qui n’avaient pas l’expérience pour décortiquer la complexité des relations entre la France et des pays africains qui ont chacun leurs particularités.»

Quand il accède au pouvoir, en mai 2017, le chef de l’Etat a pour seule expérience africaine un séjour de six mois au Nigeria, comme stagiaire de l’Ecole nationale d’administration, mais une conviction forte: le renouvellement des relations avec le continent doit passer, en particulier, par leur démilitarisation. La situation sécuritaire est alors passablement dégradée au Sahel, en dépit du maintien de l’opération «Barkhane» et de ses 5 000 hommes. Celle-ci a remplacé l’opération «Serval», déclenchée en 2013 au Mali, par son prédécesseur, François Hollande, afin de combattre les mouvements djihadistes actifs dans le nord du pays.

L’enlisement sécuritaire est réel. Les autorités françaises peuvent a cher des succès sur le terrain avec la «neutralisation» de plusieurs chefs djihadistes. Mais, parallèlement, le rayon d’action des groupes armés s’est considérablement agrandi, portant dorénavant jusqu’au nord des pays du golfe de Guinée. La priorité d’Emmanuel Macron, dès le début de son premier mandat, est donc de rapatrier les soldats français.

Les diplomates déchantent

Le 19 mai 2017, cinq jours après son investiture, Emmanuel Macron se rend à Gao, dans l’est du Mali, ville libérée quatre ans plus tôt par les forces françaises et maliennes. La rencontre du tout nouveau et jeune président, âgé de 39 ans, avec son homologue malien, Ibrahim Boubacar Keïta («IBK»), 72 ans, donne le ton de celles à venir. Contrairement à la bienséance diplomatique, le chef de l’Etat français ne rend pas visite à son hôte malien à Bamako. Il l’oblige à venir sur le tarmac de la principale base militaire française au Mali, à 1 200 kilomètres de la capitale. Les relations iront de mal en pis. «A plusieurs reprises, il a dit à “IBK” devant ses collègues: “Tu ne tiens pas ton pays.” Et lui encaissait. Il y a des manières de s’exprimer qui ne sont pas convenables», se souvient un ministre sahélien des a aires étrangères.

Réunion du G5 Sahel à Pau, le 13 janvier 2020, avec les présidents d’alors : de gauche à droite, le Malien Ibrahim Boubacar Keïta, le Burkinabé Roch Marc Christian Kaboré, le Nigérien Mahamadou Issoufou, le Tchadien Idriss Déby, le Mauritanien Mohamed Ould Ghazouani et le Français Emmanuel Macron. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »

Lors du sommet de Pau, en 2020, qu’il convoque après la mort de treize soldats au Mali, Emmanuel Macron somme les chefs d’Etat de la région de muscler leur engagement dans la lutte contre le terrorisme, dans le cadre du G5 Sahel (Burkina Faso, Mauritanie, Mali, Niger et Tchad). Mais cette «coalition internationale», qu’il porte à bout de bras, ne décollera jamais, minée par les ambitions contradictoires des cinq pays. Paris manifeste alors son impatience devant ce qu’il considère comme un manque d’implication des autorités sahéliennes et du double discours de certains dirigeants qui, tout en se félicitant de l’engagement de la France, rejettent sur elle la responsabilité de l’échec qui se pro le. En coulisses, l’Elysée se félicite d’ailleurs du coup d’Etat militaire qui dépose «IBK» en août 2020. «Enfin, nous allons pouvoir travailler», glisse un conseiller.

Pourtant, assez rapidement les diplomates français déchantent, débordés par les «coups d’Etat dans le coup d’Etat» qui secouent le Mali puis le Burkina Faso et font basculer progressivement ces pays dans le camp de Moscou. Dans la foulée de la République centrafricaine, une autre ancienne colonie devenue alliée de la Russie, les mercenaires du Groupe Wagner, liés au Kremlin, débarquent en e et à Bamako. Au Burkina Faso, le chef de la junte, Ibrahim Traoré, pro te du sommet Russie-Afrique organisé à Saint-Pétersbourg les 27 et 28 juillet 2023 pour revendiquer «une coopération voulue et affirmée» avec Moscou.

«Le problème de Macron nest pas davoir trop promis ou davoir suscité trop d’attentes, observe Robert Dussey, ministre des a aires étrangères du Togo. Il a surtout eu une mauvaise approche, notamment sur les questions sécuritaires au Sahel. La politique du “deux poids, deux mesures” n’est pas passée auprès de nombreuses opinions, car comment expliquer que l’on soutient certains régimes militaires et que l’on en condamne d’autres?», interroge-t-il. «Macron ne sait pas s’adresser aux gens sans les blesser. Il a, comme son équipe, un réel problème de communication. Quand ils agissent, leurs actions aboutissent au contraire de l’e et recherché, décrypte un autre diplomate sahélien, ex-ambassadeur en France. Au Niger, il a confondu politique et sentiments. Il ne pouvait prendre la défense d’un chef d’Etat élu quand il ne le fait pas ailleurs. Les gens ne te prennent plus au sérieux quand tu n’appliques pas tes principes de la même manière partout. Au moins, ses prédécesseurs savaient faire preuve de nuances.»

« Un narratif dangereux »

Pour autant, il serait faux de croire qu’Emmanuel Macron a négligé le continent africain. L’Afrique, et le Sahel en particulier, demeure au cœur du domaine réservé de la présidence française. L’Elysée a donné le tempo cet été en pleine crise nigérienne. Le chef d’état-major particulier du président, le général Fabien Mandon, est au cœur de toutes les discussions avec les diplomates de la cellule africaine et du Quai d’Orsay. Le chef de l’Etat, commandant suprême des armées, s’est fait un devoir d’annoncer, le 24 septembre, le retrait des troupes françaises, au détour d’une interview télévisée largement consacrée à la question du pouvoir d’achat des Français.

Beaucoup de praticiens du terrain sahélien considèrent d’ailleurs que, appliqué à l’Afrique, le «micromanagement» macronien, «hypercentralisé», qui «force lagenda», a parfois eu des effets délétères. Certes, il reproduit là une pratique commune à celle de ses prédécesseurs de la Ve République: la diplomatie représente l’un des domaines réservés de la présidence française. Mais, dans ce cadre, l’Afrique a toujours été une compétence encore plus particulière du président.

L’engagement personnel d’Emmanuel Macron pour le continent serait donc dans la norme s’il n’avait prétendu faire autrement. «Je l’ai vu briefer les militaires de“Barkhane”en direct ou dire:“Je vais appeler demain‘IBK’”. C’est louable pour essayer d’obtenir des résultats rapides, sauf que cela crée les conditions d’un narratif dangereux où la  fin justifie les moyens, une sorte de “Je veux, donc je peux. Alignez-vous”», se souvient un ancien coopérant.

Au-delà du désengagement militaire mené sous la pression des putschistes, Emmanuel Macron a tenté de pousser les feux sur d’autres grands enjeux dans l’espoir de renouveler les relations avec l’Afrique francophone. Mais son entourage ne cache pas les «résistances» que ces projets ont suscitées. «Ne plus faire nous-mêmes, mais s’appuyer sur les Africains, tel est le  l conducteur de notre politique, explique un diplomate en poste à l’Elysée. Tout cela demande un changement profond, aussi bien en France qu’en Afrique.»

La réforme du franc CFA illustre ces difficultés. Cette monnaie héritée de l’époque coloniale est souvent perçue par les populations concernées comme un instrument de domination de la France. Pourtant, les liens entre le système CFA et l’euro, auquel elle est arrimée, se sont considérablement distendus. Et si les amarres n’ont pas été complètement larguées, c’est parfois parce que des présidents de la zone apprécient la stabilité qu’elle confère. Sans toujours oser le dire à leurs opinions publiques.

Donneur de leçons

Autre initiative ultrasymbolique: le travail de mémoire au sujet de ce que les autorités françaises appellent «l’histoire commune» – pour ne pas dire la colonisation – reste un chantier de longue haleine. Emmanuel Macron réalise ce que personne avant lui n’a fait: restituer à l’Afrique des œuvres d’art ou cultuelles détenues par les musées français. En juillet 2022, il visite, au côté du président du Bénin, Patrice Talon, les précieuses collections de masques rituels remises au pays, présentées provisoirement dans l’enceinte même de la présidence, à Cotonou. Mais le bénéfice diplomatique est délicat à quantifier. Ces gestes inédits rencontrent toujours des résistances en France auprès des établissements concernés par la détention de ces œuvres. Les différents textes législatifs, qui doivent simplifier les démarches, ne devraient pas être adoptés avant 2024.

Pour une puissance moyenne comme la France, dont l’influence à l’échelle du monde ne cesse de fondre, l’Afrique reste un enjeu majeur. Membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, elle y joue une part de sa crédibilité. Emmanuel Macron le sait. Il est l’un des présidents français qui s’est le plus souvent rendu sur le continent africain: 18 fois depuis son arrivée au pouvoir, pour 25 pays visités, parfois au pas de charge. Chaque déplacement illustre la difficulté de renouveler les liens avec les régimes en place ou d’établir le dialogue avec la société civile.

«Le problème dEmmanuel Macron, cest le décalage entre les discours et laction. Ses idées sont bonnes, mais son comportement nest pas en adéquation», juge un diplomate français ayant fait toute sa carrière en Afrique. Il garde un souvenir mitigé de la dernière tournée présidentielle en Afrique centrale, début mars: quatre pays visités (le Gabon, l’Angola, la République du Congo et la République démocratique du Congo) en soixante-douze heures. «A la veille de cette visite, il fait un très bon discours depuis Paris, mais dès qu’il arrive en Afrique centrale, son comportement avec [le président de la RDC, Félix] Tshisekedi est inimaginable. Personne d’autre que lui ne ferait cela», ajoute ce vétéran des relations franco-africaines.

L’étape de Kinshasa donne lieu à des échanges tendus entre les deux hommes. Emmanuel Macron ne parvient pas à réfréner son côté donneur de leçons.

S’adressant à son homologue, présent à ses côtés pour une conférence de presse, il lui enjoint de «ne pas chercher de coupables à l’extérieur», en référence à l’ingérence, pourtant constatée par les experts de l’ONU, du voisin rwandais aux côtés des rebelles armés du M23, qui sèment le chaos et la mort dans l’est de la RDC. «Bâtissez une armée solide, construisez la sécurité autour de l’Etat (…), faites passer la justice transitionnelle pour que vous n’ayez pas de criminels de guerre encore en responsabilité ou sur le terrain», suggère Emmanuel Macron. «Regardez-nous autrement, en nous respectant, en nous considérant comme de vrais partenaires, et non pas toujours avec un regard paternaliste, avec l’idée toujours de savoir ce qu’il faut pour nous», lui rétorque son homologue congolais de RDC.

« Fâcherie »

La veille, le passage de trois heures à Brazzaville, sur l’autre rive du  fleuve Congo, met aussi au jour des tensions. Là, le président Denis Sassou Nguesso s’applique avec délice à saboter tous les efforts de discrétion déployés par l’Elysée pour réduire au strict minimum la rencontre avec ce survivant de la grande époque de la «Françafrique», qui règne presque sans discontinuer depuis 1979 sur son pays. C’est fanfare à l’appui, avec tout le gouvernement en rang d’oignons aligné sur le tapis rouge du tarmac, qu’il accueille son homologue français. Appelé à justifier cette halte, Emmanuel Macron expliquera, un rien condescendant: «Il ne faut humilier personne quand on fait une tournée régionale.»

Au Gabon, où il participe, durant cette même tournée, à un sommet sur la protection des forêts, l’opposition lui reproche d’être venu soutenir le président Ali Bongo Ondimba à quelques mois de l’élection présidentielle. «Cet âge de la“Françafrique”est bien révolu», déclare pourtant le chef de l’Etat devant la communauté française. «Au Gabon comme ailleurs, la France est un interlocuteur neutre qui parle à tout le monde et dont le rôle n’est pas d’interférer dans des échéances de politique intérieure», ajoute-t-il. Mais la perception de la rue gabonaise, lassée du demi-siècle de pouvoir exercé par Bongo père puis  ls, est tout autre. Le 30 août, Ali Bongo Ondimba est chassé de la présidence par les militaires après une parodie d’élection présidentielle organisée quatre jours auparavant. La population applaudit ce coup de force.

Au Gabon, la  fin de la dynastie Bongo

L’«épidémie» de coups d’Etat dénoncée  fin août par le président français complique ses velléités de forger un nouveau récit des relations franco-africaines. A l’issue du putsch au Niger, le 26 juillet, les coopérations civile et militaire, l’aide au développement, les échanges culturels et universitaires ont été suspendus. Seules les aides d’urgence et humanitaire sont maintenues. «La fâcherie de Macron vise en fait les populations. Il en veut aux gens d’avoir applaudi les putschs et conspué la France», juge Gilles Holder, anthropologue au CNRS et grand connaisseur du Mali.

«Répondre aux crises africaines à la façon d’un amoureux éconduit ne nera nulle part. La juste distance n’est l’équivalent ni de l’indifférence ni de l’ingérence ou du caporalisme», s’insurge Achille Mbembe, dans Libération, le 18 septembre. Le professeur d’histoire et de science politique camerounais a écrit en octobre 2021 un rapport sur les nouvelles relations Afrique-France, à la demande de l’Elysée. Il juge aujourd’hui qu’«Emmanuel Macron est allé au bout de ce qu’il voulait faire en matière de politique africaine». «Il a ouvert plusieurs chantiers et fait bouger des lignes, considère l’historien. Que l’on pense aux restitutions [d’œuvres d’art], au travail sur les mémoires partagées, aux tentatives de réforme de la gouvernance  nancière internationale ou aux initiatives concernant la dette, le climat et la biodiversité. Au regard de ces innovations, le cours de sa politique au Niger et dans le Sahel, hypersécuritaire, est non seulement illisible, mais contre-productif.»

Malgré ces échecs, l’Elysée ne veut pas s’avouer vaincu. «La France nest pas la seule visée par le populisme ambiant, se console une conseillère. Les lignes bougent, ce n’est pas le moment de renoncer à renouveler les relations avec les pays de la région. Il va au contraire falloir accélérer.»

«Emmanuel Macron voulait une rupture franche, mais dans les faits cela correspond à un retrait, regrette un diplomate en poste sous la présidence de François Hollande. Nous sommes peut-être, au regard de l’histoire, en train de purger le passé pour revenir à des relations d’Etat à Etat plus normales, mais nous ne sommes toujours pas arrivés à redéfinir la relation que nous souhaitons avec le continent.»

L’exercice est d’autant plus difficile à mener que la vague de «dégagisme» contre la France en Afrique n’a sans doute pas  ni de déferler. Elle épouse la courbe ascendante des mouvements politiques qui considèrent que la France n’a pas encore réglé la note de l’époque coloniale, puis d’un demi-siècle de relations dans l’ombre de la «Françafrique». Le volontarisme d’Emmanuel Macron se heurte, à court terme tout au moins, à ce passé douloureux. La refondation attendra.

Cyril Bensimon Philippe Ricard Elise Vincent Christophe Châtelot

 

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