La MINUSCA en Centrafrique : Les Casques bleus impopulaires
Par Enrica PICCO et Thierry VIRCOULON – Mars 2022
Résumé
Déployée depuis 2014, la Mission intégrée des Nations unies pour la stabilisation de la Centrafrique (MINUSCA) cristallise l’hostilité des Centrafricains. Cette hostilité populaire se traduit par des manifestations publiques et des discours virulents contre la mission onusienne. Récemment, un premier accrochage violent entre Casques bleus et garde
présidentielle a eu lieu dans la capitale, Bangui. L’impopularité de la MINUSCA résulte de plusieurs causes qui renvoient à l’application du mandat (échec de la stabilisation et de la protection des civils), au comportement du personnel onusien (inconduite sexuelle et contrebande), au positionnement partisan de la mission sur la scène politique locale et aux
frustrations socio–économiques des Centrafricains.
La « Minuscaphobie » des Centrafricains s’inscrit certes dans la recherche d’un bouc émissaire mais elle repose en grande partie sur les déficiences réelles et avérées de la mission onusienne. Malheureusement face à la réalité de l’impopularité de la MINUSCA, ses dirigeants dénoncent la désinformation, intensifient leur communication mais ne traitent pas les causes d’un problème qui va bien au–delà d’une question d’image.
Les manifestations contre la Mission intégrée des Nations unies pour la stabilisation de la Centrafrique (MINUSCA) sont devenues habituelles à Bangui, depuis plusieurs années. Les dernières ont été organisées à l’occasion du renouvellement de son mandat en novembre 2021 : quelques centaines de personnes se sont réunies devant le quartier général de la
mission avec des pancartes affichant « MINUSCA meurtrière ». Quelques jours avant, la garde présidentielle avait ouvert le feu contre un véhicule onusien et blessé dix Casques bleus égyptiens. Dans sa fuite rocambolesque, le véhicule avait heurté mortellement une jeune Centrafricaine1. Cet épisode est le symbole de la dégradation progressive et constante des relations entre la MINUSCA et les Centrafricains.
En mai 2021, des manifestations avaient été organisées pour protester contre les accusations de violations des droits humains attribuées aux Forces armées centrafricaines (FACA) et à leurs alliés russes contenues dans un rapport onusien2. Encadrés par la « plateforme Galaxie » proche du président Faustin Archange Touadera, les participants avaient défilé sur la principale avenue de la ville et déposé leurs revendications aux Casques bleus qui gardent le quartier général de la MINUSCA. Avant de rentrer chez
eux, ils avaient attendu patiemment de recevoir les quelques milliers de francs CFA qui leur avaient été promis pour cette manifestation, une pratique de mobilisation largement utilisée dans la capitale centrafricaine.
Cependant, les protestations contre la MINUSCA n’ont pas toujours été aussi pacifiques. À plusieurs reprises, les manifestants en colère ont ciblé directement le personnel onusien ou ses biens, comme en 2018, quand une opération militaire de la MINUSCA dans le troisième arrondissement de Bangui avait provoqué plusieurs morts et blessés parmi les civils. Alors que des jets de pierres et d’autres agressions contre la MINUSCA se produisaient dans tout le pays, les corps de dix–sept personnes décédées pendant l’opération avaient été déposés devant le quartier général de la mission à Bangui3.
Depuis son déploiement en 2014, l’impopularité de la MINUSCA n’a cessé de croître et de prendre des formes et expressions diverses, au point de faire de la « Minuscaphobie » un des rares sujets consensuels parmi les Centrafricains. Cette note vise à analyser les causes de ce sentiment populaire et à en fournir une interprétation basée sur une connaissance fine de l’évolution du conflit centrafricain. Les actions des parties prenantes de ce conflit et leurs prises de position publiques et privées sont bien connues des auteurs de cette note qui ont vécu le conflit centrafricain depuis son commencement dans des fonctions diverses, y compris au sein de la MINUSCA.
A suivre…….
Source : IFRI