Centrafrique : la France recule, la guerre menace, la Russie avance

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Le moins qu’on puisse dire du bilan de l’opération Sangaris en Centrafrique, c’est qu’il n’est guère glorieux. Près de 2500 hommes mobilisés pour rien  le pays reste toujours profondément déstabilisé et en grande partie incontrôlable, des soupçons d’abus sexuels vite planqués par un non-lieu qui ne permet même pas de blanchir avec certitude les militaires concernés, une ambassade transformée en pétaudière, sur fond de conflits politiques et de harcèlement.. et les russes qui tirent les marrons du feu pendant que la France est forcée de s’effacer.

L’opération Sangaris a fait officiellement 3 morts et 120 blessés au sein de l’armée française, pour un coût dépassant les 500 millions d’euros et jusqu’à 2500 hommes mobilisés. Près de12% des hommes sont victimes de stress post-traumatiques, selon le général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset. C’est qu’ils ont été témoins des scènes très violentes de la guerre civile de 2014-2015, qui a fait de 3000 à 6000 morts et près d’un million de déplacés. Aujourd’hui encore, la Centrafrique n’est pas apaisée, loin de là, et ressemble même de plus en plus à un état failli. Précisément ce que Sangaris était censée éviter.

Sa position et ses problèmes structurels irradient chez ses voisins, déstabilisant les pays frontaliers, mais en font aussi le carrefour de divers extrémismes, notamment islamiques. En 2015 déjà près de 2000 militants de Boko Haram, d’origine peul, étaient signalés dans le nord du pays, où ils se sont introduits via le Tchad.

Le fief islamiste de PK5 à Bangui, étincelle d’une nouvelle guerre ?

Surtout, depuis début 2018, les Sélékas sont de plus en plus évoqués comme source de la déstabilisation croissante du pays. Sans oublier le quartier de KM5 à Bangui – à cinq kilomètres du centre-ville, incontrôlable et dont le désarmement, organisé de 1h à 4h30 par la MINUSCA [mission de l’ONU pour la stabilisation en Centrafrique – active depuis avril 2014 avec 12.000 personnels dont 11.200 soldats] a été un échec. Non seulement les milices, mais aussi la population locale s’y sont opposés.

Le 1er mai, ce sont des milices islamistes de PK5 qui ont attaqué l’église Notre-Dame de Fatima, située près de leur fief, en plein office religieux. L’église avait déjà été attaquée pendant la guerre civile en 2014, il y avait eu alors 15morts. L’attaque du 1er mai a fait 16 morts et 99 blessés, les affrontements qui ont suivi, 8 morts et 71 blessés de plus. Déjà tendue, la situation est électrique. Une étincelle suffit pour que la guerre reparte.

Dans le nord de la capitale, des quartiers chrétiens se sont couverts de barricades, tandis que des civils préféraient quitter la capitale, voire le pays – trop d’éléments leur rappellent 2013, à la veille de la guerre civile. Mi-avril, à 330 km de la capitale, des rebelles de l’ex-Séléka, qui prétend défendre les musulmans, avaient menacé de lancer une offensive depuis Kaga-Bandoro. La ville a été survolée le 13 mai par deux Mirage 2000-D français, à basse altitude – une démonstration de force bien tardive censée décourager les rebelles. Mais la présence française se limite aujourd’hui à sa plus simple expression, avec cinquante formateurs et des drones. Ainsi que des avions basés à N’Djamena au Tchad.

La Russie envoie des conseillers et des armes à Bangui, à la demande du gouvernement

Cette présence semble désormais très insuffisante alors que la Russie a annoncé le 22 mars avoir envoyé fin janvier des lance-roquettes RPG, armes anti-aériennes, des fusils d’assaut et de précision, pistolets et mitrailleuses, ainsi que des munitions. La livraison – faite avec l’accord de l’ONU – prévoyait aussi 170 conseillers civils et 5 militaires pour apprendre à deux bataillons de l’armée gouvernementale – 1300 soldats – à s’en servir. Le tout à titre gratuit et à la demande expresse du président de la République centrafricaine Faustin-Archange Touadéra, précise l’agence TASS. Il a d’ailleurs assisté à la prise d’arme du premier contingent de 200 soldats entraînés au maniement de nouvelles armes, le 31 mars dernier.

Cependant cette mission a aussi son volet économique : la recherche de gisements miniers et le développement de futures concessions. Les recherches ont commencé aussi début 2018 et l’on se doute que les experts russes ne se limiteront pas à être protégés par des drones français ou des conseillers civils.

Le journal russe d’opposition pro-occidentale Snob affirme d’ailleurs qu’en sus des accords officiels, la Centrafrique a mis à disposition des russes le palais Berengo en Lobaye et 40 hectares autour ; selon le média, ce seraient des mercenaires russes issus de compagnies de sécurité privée qui s’y seraient installés. En réalité, le palais semble avoir été investi dans le cadre de la formation par des instructeurs russes de l’armée régulière centrafricaine – mais ça a eu l’heur de déplaire aux héritiers de l’ancien autocrate Bokassa auquel le palais appartenait.

Du reste pour la Russie il ne s’agit pas tant d’une arrivée que d’un retour – l’URSS et la Centrafrique ont eu des relations proches dans les années 1960 à 1980. Entre autres, des centaines de centrafricains ont été formés à Moscou, 150 spécialistes soviétiques dans l’enseignement, la médecine, la géologie et l’agriculture travaillaient dans le pays dans les années 1960 et 1970 et au même moment une grande partie des enseignants des écoles primaires étaient soviétiques ou formés en URSS.

« L’expérience russe anti-terroriste et diplomatique sera utile en Centrafrique »

Expert militaire de la fondation Diplomatie populaire, Serguey Prostakov a déclaré au sujet de la situation en Centrafrique que « la politique coloniale des pays européens qui exploitaient les ressources africaines, ainsi que les circonstances de leurs luttes pour ces ressources et de leur départ ont créé de nombreux pays instables avec des frontières arbitraires. Ils ne prennent pas en compte les situations ethniques et religieuses, ainsi que l’état des lieux. La pauvreté et des antagonismes artificiels sont devenus la cause de conflits utilisés par les vieilles puissances coloniales comme la France pour continuer leur politique coloniale avec de nouvelles méthodes ».

L’expert continue : « l’expérience russe de règlement de ce genre de conflit [des guerres civiles politico-religieuses] peut être clairement qualifiée de réussie. Cela a été démontré en Tchétchénie, maintenant, il y a un processus de réconciliation nationale en Syrie qui aurait été impossible sans l’intervention de la Russie ». Et qui d’ailleurs apporte de nouveaux fruits avec la reddition pacifique de la totalité de la poche rebelle entre Homs et Hama – 1200 km² et 65 villes – qui échappaient au contrôle loyaliste depuis 2011. La route directe Homs-Hama, vitale pour l’économie de la Syrie, est d’ailleurs en train d’être réouverte.

« C’est pourquoi l’expérience russe anti-terroriste et diplomatique sera utile et sur le territoire centrafricain. On ne peut pas ne pas remarquer que cette expérience est beaucoup plus réussie que les résultats de l’ONU et de l’Occident. La mission de l’ONU [MINUCA] conduite par la France démontre qu’elle est incapable de régler le conflit, ce qui conduit à s’interroger sur l’efficience de ce genre d’instrument dans d’autres régions du monde ».

Ressources naturelles et diplomatie : la Centrafrique, une mine d’or stratégique

Outre un pavé dans la mare post-coloniale française, l’irruption de la Russie en Centrafrique, aussi riche en problématiques qu’en ressources naturelles (diamant, or, fer, tourmaline, graphites, cuivre, titane, latérite, étain, manganèse, cobalt, pyrite, uranium, fer, cuivre, nickel… dont beaucoup de gisements n’ont pas été explorés et restent à l’état d’indices) est aussi une attaque directe contre l’ONU comme mode de règlement universel – et non moins universellement inefficace – des conflits intérieurs de toutes natures.

Outre le champ de bataille diplomatique – qui s’inscrit dans une remise en cause plus globale des institutions occidentales par la Russie – il y a aussi une bataille pour les gisements des ressources naturelles et donc les fournitures de base à l’économie du monde. Elle se joue contre les pays occidentaux, mais aussi la Chine qui investit à tours de bras en Afrique pour et exploiter les ressources minières. Mais aussi acheter des terres arables – une autre denrée rare dont la Chine manque, comme l’Inde et la Corée du Sud d’ailleurs, autres investisseurs clé de ce marché très opaque.

La Chine débarque avec des millions de dollars, finance à fonds perdus les élites locales, forme des étudiants locaux par milliers – les bonnes recettes soviétiques n’ont pas été perdues pour tout le monde – et installe ses travailleurs, dont plus de deux millions habitent déjà sur le continent. L’ampleur de l’activité chinoise sur le continent – qui se déploie même là où nombre d’investisseurs refusent d’aller, tant c’est instable et dangereux – rend presque anecdotique les efforts des pays du Golfe – plutôt dans les pays musulmans ou à forte minorité musulmane – et des Etats-Unis de se tailler une part du gâteau au détriment des vieilles puissances coloniales européennes.

La Russie a relancé son activité en Afrique à partir de 2014, en faisant la tournée de ses anciens alliés de l’époque soviétique. C’est ainsi d’ailleurs qu’elle a signé un accord de partenariat avec le Zimbabwe pour exploiter à partir de 2018 le gisement de platine de Darwendale, dont les réserves prouvées sont de 19 T de platine et 775 T d’autres minerais. D’autres projets de recherche, de diamants cette fois ont en revanche été gelés suite à l’instabilité politique interne.

 Louis-Benoît Greffe

Breizh Info

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