La compétence universelle : ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas

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La compétence universelle : ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas

Publié le 30 avril 2008

Qu’entend-on par « compétence universelle » ?

C’est une expression terriblement ambiguë qui charrie de lourds malentendus. De prime abord elle évoque l’idée qu’un Etat s’arroge le droit de juger les crimes commis dans le monde entier, même s’ils ne présentent pas le moindre lien avec son territoire : crimes commis ailleurs, par des criminels qui n’ont pas sa nationalité, sur des victimes qui ne l’ont pas non plus… En réalité la plupart des Etats ne la pratiquent pas comme une compétence « universelle » car ils exigent un lien avec leur territoire : la présence du suspect. Ce n’est donc qu’une extension, à des faits commis hors du territoire, de la compétence traditionnelle du tribunal du lieu d’interpellation du suspect.

 

Cela ne porte-t-il pas atteinte à la souveraineté d’autres Etats ?

 

Non. D’une part, il ne s’agit pas de donner aux tribunaux français vocation à enquêter sur tous les crimes de la planète mais que lorsque est trouvé en France l’auteur d’un des « crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale » (selon la formule du Statut de Rome), il soit interpellé en vue soit de son extradition, si possible, vers une juridiction mieux à même de le juger, soit de son jugement en France. Il s’agit d’éviter que les auteurs de faits aussi graves soient libres d’aller et venir en toute impunité sur notre territoire, par exemple si leur pays d’origine ne demande pas leur extradition. D’autre part en droit international il est admis que cette extension de compétence ne heurte pas la souveraineté des autres Etats depuis un arrêt de la Cour permanente internationale de justice rendu en 1927 (affaire du Lotus).

Y a-t-il dans le Statut de la CPI une obligation d’instaurer la compétence universelle ?

Pas expressément, mais cette obligation expresse existe, pour les crimes de guerre, dans les Conventions de Genève de 1947, ratifiées par la France en 1951. S’agissant des autres crimes relevant de la CPI (génocide et crime contre l’humanité) le Préambule du Statut implique une extension de la compétence territoriale traditionnelle, même si ce n’est pas dit expressément. Contrairement à une idée répandue, en effet, les responsables de crimes internationaux ne doivent normalement pas être jugés par la CPI mais par les tribunaux nationaux : « il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ». La Cour ne leur est que « complémentaire ». Elle ne pourra jamais juger tous les criminels, elle n’en a ni la vocation ni, de toute manière, les moyens (ses ressources, son budget, le nombre de juges, ne lui permettent que de juger quelques affaires particulièrement emblématiques chaque année).

Mais n’est-ce pas d’abord aux tribunaux du lieu de commission des crimes qu’il revient de juger les criminels ?

 

Oui, bien sûr quand c’est possible, les tribunaux du lieu de commission des crimes ou ceux dont les suspects ont la nationalité sont les juges les plus « naturels ». Mais le génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre, ont ceci de particulier qu’ils sont souvent commis avec l’assentiment, parfois à l’instigation de l’Etat. C’est bien pour cela qu’ils intéressent la communauté internationale toute entière. Il n’est donc pas réaliste de s’en remettre à lui seul pour exercer les poursuites – d’autant que dans les pays soumis à la violence que caractérisent ces crimes extrêmes, l’appareil judiciaire est parfois déficient. Cela impose donc nécessairement, même si ce n’est pas inscrit en toutes lettres dans le Statut de Rome, que d’autres Etats participent à l’effort de répression des crimes internationaux. C’est le but des lois d’adaptation et c’est ce qui rend nécessaire une adaptation des règles traditionnelles de compétence.

 

Ne vaudrait-il pas mieux extrader les responsables de crimes internationaux pour qu’ils soient jugés plus près de là où ont été commis leurs actes ?

Bien sûr ! La présence en France du responsable présumé d’un crime international peut conduire à devoir prendre position sur une demande d’extradition. Lorsqu’elle est possible, elle peut constituer la meilleure solution. Mais si l’extradition n’est pas demandée, ou n’est pas possible (par exemple parce que la peine de mort serait encourue), il faut en tirer les conséquences : si tel suspect de crimes « affectant la communauté internationale tout entière » ne peut être renvoyé vers son juge naturel, doit-il échapper à tout procès ? Nous pensons que mieux vaut le juger ici que de le voir jouir dans notre pays d’une impunité qui heurterait les consciences, et sans doute aussi l’ordre public

 

D’autres Etats ont-ils rendu leurs tribunaux compétents pour les crimes du Statut de la CPI ?

Oui ! Rien qu’en Europe, où tous les Etats (sauf la Tchéquie) ont ratifié le Statut de Rome, presque tous ont étendu la compétence de leurs tribunaux en ce sens. Le Conseil « Justice et affaires intérieures » de l’Union européenne a adopté plusieurs décisions destinées à coordonner les efforts des Etats-membres dans la poursuite des personnes impliquées dans des crimes internationaux qui chercheraient à entrer et à résider dans l’Union européenne. A part l’Italie, tous nos grands voisins ont donné compétence à leurs juges internes pour juger les responsables de crimes internationaux, même commis à l’autre bout du monde, généralement à condition qu’ils se trouvent sur leur territoire, soit au stade de l’enquête, soit à celui du procès : l’Allemagne, l’Angleterre, la Belgique, les Pays-Bas, l’Espagne, le Portugal, le Danemark, la Norvège, ont adopté une forme ou une autre de compétence universelle. La Suisse est en train de le faire. Tous l’admettent en matière de crimes de guerre, comme la France aurait du le faire depuis 1951.

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