« Il ne faudrait pas que la communauté internationale finance des élections frauduleuses, comme on l’a vu en 2011 en Centrafrique », s’exclame le chercheur Thierry Vircoulon !

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« Centrafrique : les échos lointains d’une crise oubliée ». C’est le titre d’une tribune du chercheur Thierry Vircoulon qui estime que le récent réengagement de la France doit se comprendre dans le cadre de sa relation assez difficile avec la Russie. Thierry Vircoulon est le coordinateur de l’Observatoire pour l’Afrique centrale et australe de l’Institut français des relations internationales (Iris). Il répond aux questions de Carine Frenk.

Rfi: Thierry Vircoulon, la Centrafrique vit aujourd’hui une situation de ni paix-ni guerre. C’est, selon vous, le triomphe de la realpolitik ? Qu’entendez-vous par là ?

Thierry Vircoulon: En fait, après la signature de l’accord de Khartoum en février de cette année, on se rend compte que les groupes armés marchandent la mise en œuvre de l’accord de Khartoum et on n’avance pas tellement. Et malheureusement, alors que le gouvernement, la Minusca et les internationaux devraient mettre la pression pour que cet accord soit mis en œuvre et respecté, on s’aperçoit que ce n’est pas tout à fait le cas et que le gouvernement lui-même est plus préoccupé par les élections à venir que par l’avancée de cet accord de paix. Donc on voit qu’il y a des pays occidentaux qui finalement se préoccupent peu des grands principes qu’ils affichent et considèrent qu’à partir du moment où l’Union africaine et d’autres acteurs africains préfèrent trouver un arrangement avec les groupes armés, ils s’en contenteront aussi.

Mais les accords de Khartoum marquent une avancée. Moins de combats, moins de morts au quotidien.

Pour le moment, les internationaux disent que c’est le bon choix, parce qu’il y a eu cette baisse de la violence. Mais c’est une baisse de la violence qui correspondait à la saison des pluies. Donc on va voir. S’il y a une reprise de la violence, cela voudrait dire que l’accord de Khartoum, grosso modo, n’a eu aucun effet.

On observe aujourd’hui un réengagement de la France en Centrafrique. Comment l’expliquez-vous ?

C’est un réengagement dans le cadre des relations entre la France et la Russie, qui est assez difficile et dans le cadre un peu plus général de cette ‘’nouvelle guerre froide’’. Une ‘’nouvelle guerre froide’’ entre guillemets, comme la Russie essaie de nouveau de revenir sur la scène internationale comme une grande puissance, on voit que depuis la crise ukrainienne il y a un regain de tension entre la Russie et les Européens et les Américains. C’est pour cela que je parle de ‘’mini-guerre froide’’. Donc c’est dans ce cadre-là que la France se ré-intéresse à la Centrafrique. Pas pour la Centrafrique elle-même.

Est-ce que ce réengagement est déjà perceptible ?

Oui, il y a eu en effet depuis 2018, à la fois plus d’aide françaises injectée en Centrafrique, il y a eu aussi plusieurs visites ministérielles et une coopération militaire qui est renouvelée…

Parce que le gouvernement français, qui était réticent au réarmement de l’armée centrafricaine, y est maintenant favorable ?

Disons que c’est un revirement de position, qui est surtout le résultat de cette volonté de rapprochement entre Paris et Bangui. Et cette volonté de rapprochement est consécutive au fait que la Russie a été la première à livrer des armes au gouvernement centrafricain qui en demandait. Il en a redemandé, d’ailleurs, lors du sommet de Sotchi et donc on voit qu’il y a, en effet, sur le plan militaire, une sorte de compétition. On voit aussi que le gouvernement centrafricain sait jouer de la rivalité des grandes puissances.

L’Union européenne s’implique également beaucoup ?

Oui, l’Union européenne est le principal financeur, le principal bailleur, avec la Banque Mondiale. Cela fait déjà un certain temps que l’Union européenne aide l’État centrafricain à boucler ses fins de mois. Ce qui est nouveau, maintenant, c’est que l’Union européenne va faire de l’appui budgétaire sur des secteurs où avant elle n’en faisait pas, qui est le secteur de la sécurité. Ça, c’est une évolution tout à fait notable. Financer des secteurs aussi régaliens que la sécurité et la justice, cela revient à financer des secteurs sur lesquels on n’a aucun contrôle, puisque le gouvernement dira que cela relève de sa souveraineté. Donc on peut considérer que dans ce domaine, les Européens font une sorte de chèque en blanc au gouvernement centrafricain et n’auront aucun contrôle sur ce qui se passera dans ce secteur. Donc je pense qu’il y a des questions à se poser sur la pertinence de ce type de financement.

Et malgré ces financements, malgré ces aides, à Bangui et en province les problème demeurent et génèrent une grande frustration ?

Oui. En fait il y a une évaporation très forte. La réforme des finances publiques centrafricaines est un chantier depuis maintenant une dizaine d’années et on ne voit aucun progrès. Donc, on peut là aussi se poser des questions sur le paradoxe d’injecter plus d’argent dans un budget national, alors qu’on ne voit pas de progrès sur la façon dont cet argent est géré.

Les élections présidentielle et législatives sont prévues fin 2020. Quel rôle, dans ces conditions, peut jouer la communauté internationale ?

Pour le moment, le principal rôle à jouer, c’est celui d’être le bailleur de ces élections. Il ne faudrait pas qu’elle finance des élections frauduleuses, comme on l’a vu en 2011 en Centrafrique, où malheureusement la fraude a été massive. Donc il faudrait éviter la répétition de ce type de situation.

RFI

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