Guinée Bissau : le problème Umaro Sissoco Embalo

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Par Francis LALOUPO

La nouvelle crise déclenchée depuis la semaine dernière en Guinée-Bissau ravive le souvenir de la contestable accession au pouvoir du président Umaro Sissoco Embalo en 2020. Le souvenir de son coup de force postélectoral qu’il est parvenu à imposer comme un fait accompli aux bissau-guinéens et à la communauté internationale.

Coup de force et « mauvais arrangement »

En réaction à cette « auto-investiture » qui s’apparentait à un braquage de la présidence de la République, le PAIGC, majoritaire à l’Assemblée, décida de procéder à son tour à l’investiture du Président de l’Assemblée nationale, Cipriano Cassama, au poste de « Président de la République par intérim ». Face à cet imbroglio, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), dans un communiqué du 1er mars 2020, exprima sa « grande préoccupation face aux derniers développements marqués par les investitures successives de deux chefs de l’Etat, en dehors des cadres légaux et constitutionnels, au moment même où le contentieux relatif aux élections présidentielles est pendant devant la Cour Suprême. » Par ailleurs, l’organisation régionale déplorait « l’immixtion dans la sphère politique des Forces de défense et de sécurité » ayant encadré la prise brutale du pouvoir par Umaro Sissoco Embalo. Episode suivant : l’entrée en scène des médiateurs de divers horizons – Onu et Cédéao en tête – essentiellement animés par l’urgence d’un « retour à la paix».

Quelques semaines après la mauvaise farce de son « investiture », Sissoco Embalo avait réussi à s’imposer au sommet de l’Etat. La communauté internationale, sans l’énoncer clairement, décida d’entériner le fait accompli, appliquant, ce faisant, la funeste formule selon laquelle « un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ». Pour conforter son pouvoir, le président autoproclamé multiplia des déplacements auprès de ses pairs africains, en s’appuyant d’ailleurs sur le soutien très remarqué du voisin sénégalais Macky Sall. Pour satisfaire aux timides exigences de la Cédéao, il s’engagea à soumettre à référendum une réforme de la Constitution, afin, selon lui, de clarifier les rôles des différentes institutions dans un système bissau-guinéen aux règles souvent jugées « atypiques », source de multiples conflits politiques au cours des trois dernières décennies. En quelques mois, Sissoco Embalo obtint le résultat espéré : une sournoise normalisation de son statut présidentiel, transformant le coup de force initial en un mandat ordinaire.

Umaro Sissoco Embalo s’est dépensé sans compter pour faire oublier le mensonge fondateur de son pouvoir. Acteur d’une offensive communicationnelle tous azimuts, il se met en scène depuis 2021, pour condamner toutes les formes de coups d’Etat, fustiger l’inclination de certains dirigeants africains à privatiser les institutions de l’Etat, semant parfois une belle pagaille lors de réunions de chefs d’Etat. Président en exercice de la Cédéao de juin 2022 à juillet 2023, il a multiplié les actions diplomatiques sur la scène internationale pour prêcher « la paix », tout en soignant son image de « jeune dirigeant attaché à la démocratie » …

Modus operandi de putschistes

Mais, à l’intérieur de son pays, les choses se compliquent pour Sissoco Embalo, lorsqu’il décide, en mai 2022, de dissoudre l’Assemblée nationale, au motif de « différends persistants et irréconciliables entre l’assemblée et le gouvernement ». Fâcheuse initiative pour le président : le scrutin, organisé en juin 2023, est remporté à une large majorité par le PAIGC, locomotive d’une vaste coalition de l’opposition. Le président de la nouvelle Assemblée sera Domingos Simoes Pereira, leader du PAIGC, et « pire ennemi » de Sissoco Embalo. Contraint à une cohabitation, ce dernier est amené depuis plusieurs mois à composer avec ses opposants les plus redoutés, aussi bien au Parlement qu’au sein d’un gouvernement de cohabitation. C’est donc dans ce contexte qu’une nouvelle crise est survenue dans le pays la semaine dernière.

Tout a commencé par une opération menée par des éléments de la Garde nationale pour libérer deux ministres issus de l’opposition, mis aux arrêts sur demande de la présidence et du Parquet pour « faits de corruption ». Entre le 30 novembre et le 1erdécembre, l’opération militaire dégénère en affrontements entre la Garde nationale et l’armée. Cette dernière ayant réussi à dominer la situation, le président Embalo qualifie alors ces événements de« tentative de coup d’Etat avortée ». Sans délai, il procède par décret à la dissolution, en toute illégalité, de l’Assemblée nationale qui dénonce un « coup d’Etat constitutionnel ». Après avoir également dissous le gouvernement, il s’est octroyé les portefeuilles de la Défense et de l’Intérieur. Ce 5décembre sur les réseaux sociaux, Sissoco Embalo annonce avoir déployé l’armée dans la capitale, en précisant notamment que « les gardes militaires ont été positionnés aux sièges de la Télévision nationale et de la Radio de Guinée-Bissau pour sécuriser le changement de direction générale en cours ». Autant de dispositions qui, aux yeux de l’opinion publique, relèvent généralement d’un modus operandi de putschistes…

Le naturel revient au galop

A présent, sur les médias internationaux, il accuse inlassablement l’opposition de « complot », estimant que « le fonctionnement normal des institutions de la République est devenu impossible ». Dans son viseur, Domingos Simoes Pereira, président de l’Assemblée nationale, qu’il désigne nommément comme l’instigateur du « complot ». Alors que rien ne prouve à ce jour que l’opération menée par les éléments de la Garde nationale visait à renverser le pouvoir, tout laisse à penser qu’Embalo a trouvé, à la faveur de ces événements, l’occasion de reprendre en mains tous les leviers du pouvoir d’Etat, à moins de deux ans de la prochaine présidentielle prévue en 2025. A quoi ressembleront les prochaines étapes de cette dérive ?

Depuis les élections législatives de juin dernier, l’on s’interrogeait sur la capacité des acteurs politiques bissau-guinéens à observer scrupuleusement les règles d’une cohabitation entre un chef de l’Etat rétif au débat d’idées, et une opposition majoritaire au Parlement. Près de quatre ans après la rocambolesque prise de pouvoir d’Embalo, le naturel revient au galop. Après avoir tenté de se racheter une conduite vis-à-vis de l’opinion internationale, revoilà donc Cissoco Embalo dans ses atours authentiques : ceux d’un impénitent flibustier qui, comme bien d’autres, confondent l’Etat avec une entreprise privée, un butin à conserver par tous les moyens possibles. Ce 5 décembre, il publiait ces mots sur les réseaux sociaux : « Tout va bien à Bissau. Les acquis démocratiques sont respectés et maintenus. » Une chronique du cynisme ordinaire ?

Par Francis LALOUPO

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