ENTRETIEN. L’Afrique face à une « vague révolutionnaire » autoritaire, conservatrice et populaire

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Spécialiste de l’Afrique et présidente de l’African Security Sector Network, Niagalé Bagayoko revient sur la série de coups d’État survenus sur le continent. Elle participera le jeudi 28 septembre 2023 à la première conférence plénière du forum Normandie pour la paix, organisé à Caen (Calvados) et consacré cette année aux résistances.

Niagalé Bagayoko dirige l’African Security Sector Network et enseigne à Sciences Po Paris. Elle participera les 28 et 29 septembre 2023 au forum Normandie pour la paix, à Caen (Calvados).

Vous interviendrez lors de la première conférence plénière intitulée « Radiographie des résistances ». Comment ce thème s’inscrit-il dans l’actualité ?

Il a été choisi en tout début d’année 2023 et se révèle encore plus pertinent aujourd’hui compte tenu des événements survenus depuis, en particulier sur le continent africain. La succession de prises de pouvoir par les militaires, fortement soutenus dans la majorité des cas par les populations, constitue selon moi une vague révolutionnaire à la fois de type autoritaire, conservateur et populaire.

Plusieurs putschs ont abouti depuis 2020 au Mali, au Tchad, au Burkina Faso, en Guinée, au Gabon ou encore au Niger notamment. À quoi s’opposent les militaires qui s’emparent ainsi du pouvoir ?

Ils sont en confrontation avec un système incarné par des dirigeants civils honnis et par leurs partenaires extérieurs. Les injonctions de cet ordre international sont de plus en plus rejetées. D’une part, parce que, dans certains cas, les gouvernements élus n’ont pas été en mesure de répondre à la détérioration croissante de la situation sécuritaire dans la région sahélienne. D’autre part parce que leurs promesses trahies de démocratie ne sont plus acceptées par les opinions publiques africaines.

De leur côté, les partenaires internationaux ont été très impliqués dans la gestion des conflits et ont subi les mêmes échecs que les acteurs nationaux. Ils ont également validé des processus démocratiques insincères ou entachés de graves irrégularités depuis des décennies et fermé les yeux sur les violations des libertés fondamentales ou les atteintes graves à l’état de droit auxquels se sont livrés ces gouvernements civils élus.

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Parmi ces partenaires internationaux, on compte la France. Qu’en est-il de sa relation avec ces pays ?

La situation entre l’Afrique francophone et la France est détériorée comme elle ne l’a jamais été. Et cela s’aggrave de jour en jour.

« Le ton très arrogant d’Emmanuel Macron est mal perçu en Afrique »

Lors d’un voyage au Gabon en mars 2023, Emmanuel Macron a affirmé que l’ère de la Françafrique était révolue. Ce n’est pas la première fois qu’un président français fait une telle déclaration.

Effectivement, mais cela ne se matérialise pas forcément dans les faits. La Françafrique en tant que système politico-affairiste a largement disparu. Toutefois, la France n’a pas su trouver le bon positionnement entre realpolitik et affirmation de principes libéraux et se trouve prise dans les contradictions de sa politique étrangère.

Ainsi, quelques jours seulement après avoir assuré que la démocratie était dans l’ADN de la diplomatie française, Emmanuel Macron s’est rendu au Gabon d’Ali Bongo [N.D.L.R. au pouvoir depuis octobre 2009, il succède à son père, Omar Bongo, à la tête du pays pendant 41 ans], puis au Congo de Denis Sassou-Nguesso [N.D.L.R. au pouvoir depuis octobre 1997, il avait déjà présidé le pays de février 1979 à août 1992].

Quelle a été l’attitude de la France face à ces coups d’État depuis trois ans ?

Elle a été extrêmement ambiguë. Avec une indulgence d’abord, vis-à-vis des colonels maliens puis, cet affrontement public entre la diplomatie et la junte malienne. Cela a donné l’impression d’une absence totale de cohérence.

Après le coup d’État au Niger, la France doit-elle intervenir ?

D’autres reproches sont-ils adressés à la France ?

Le ton très arrogant d’Emmanuel Macron est mal perçu sur le continent. Lors de sa tournée en Afrique en mars 2023, il a indiqué à Félix Tshisekedi, président de la République démocratique du Congo, que les Congolais n’avaient pas été capables de gérer leurs propres conflits depuis un certain nombre d’années. Cela a été très mal perçu sur le continent et cela s’ajoute à la volonté française d’affirmer que l’intervention miliaire française au Sahel a été un succès et que les échecs ne relèvent que des partenaires africains, ce qui est faux. On est en réalité face à un échec collectif. La France a cherché à se poser en nation pilote de toutes les interventions qu’elles aient été militaires ou civiles, par exemple dans le cadre de l’alliance Sahel, et elle en paie aujourd’hui le prix.

La France a-t-elle été trop ambitieuse au Sahel ?

Je pense que sur la gestion de la crise sahélienne, elle a présumé de ses capacités. Il y a eu tant de certitudes dans la façon dont elle a fait état de ses capacités à combattre efficacement voire définitivement la progression des groupes jihadistes armés que l’opinion publique qui l’avait accueillie sous les acclamations au Mali, en 2013, a commencé à se lasser, à avoir des doutes, puis à être majoritairement septique avant de considérer dans sa grande majorité que la présence française était inutile.

« Le modèle de l’homme fort est de plus en plus plébiscité en Afrique »

Ce sentiment n’est pas partagé par tous ?

Une portion limitée mais extrêmement active de l’opinion publique considère que la France a les moyens de combattre le terrorisme et que si elle ne le fait pas c’est parce qu’elle finance et arme les jihadistes pour rester au Sahel et exploiter les ressources naturelles de pays anciennement placés sous le joug colonial. C’est une théorie complotiste qui a émergé localement vers 2016-2017, tout à fait fantaisiste mais très répandue au Sahel et en Afrique de l’ouest.

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La France est-elle la seule cible d’un tel rejet ?

Non, les Nations unies et les organisations régionales africaines font l’objet de la même défiance parce que les programmes civils de développement ou d’ingénierie institutionnelle sont perçus comme n’ayant eu aucun impact. On a voulu apprendre à travers des séminaires quels étaient les dispositifs institutionnels à mettre en place pour parvenir à des réformes conformes au modèle transatlantique. Les acteurs africains ne veulent plus de ces leçons aujourd’hui.

Et ils ne veulent plus qu’on considère comme représentatives les seules organisations de la société civile promouvant des valeurs occidentales alors même que la société civile s’est fondamentalement transformée au cours des cinq dernières années pour devenir beaucoup plus nationaliste et patriote. Les modèles articulés autour d’un homme fort et autoritaire sont de plus en plus plébiscités en Afrique.

Quels sont les partenaires des états africains ?

La Chine est présente en Afrique pour étendre son influence économique. Certains pays notamment musulmans, ont tissé des relations très denses avec les pays de la péninsule arabique et la Turquie. La Russie est également attractive. Au cours des vingt dernières années, les états africains ont très largement diversifié leurs partenariats. Ils privilégient une approche très cynique et pragmatique en exploitant toutes les opportunités qui leur sont offertes, au-delà des antagonismes qui peuvent exister avec ces partenaires. C’est très clair sur la guerre en Ukraine. Ils affichent explicitement que ce n’est pas leur problème.

Le 26 juillet 2023 un coup d’État a renversé le président démocratiquement élu Mohamed Bazoum. Un mois plus tard, le 30 août les militaires ont renversé Ali Bongo. Comment ces situations peuvent-elles évoluer ?

Dans ces deux pays, les militaires qui ont procédé au coup d’État appartenaient au cercle très proche du pouvoir. Ils ont été associés à la gestion de l’État pendant des décennies au Gabon et une dizaine d’années au Niger. Au Mali, Burkina Faso et en Guinée, au contraire ce sont des officiers subalternes qui étaient à la manœuvre.

La différence est très importante car on ne sait pas si au Niger et au Gabon il y aura simplement une remise en cause des titulaires du pouvoir ou si à l’inverse il y aura une perpétuation d’un système plus général. Et la question est aussi de savoir si les opinions publiques qui soutiennent aujourd’hui ces juntes seront capables ou non de les empêcher de procéder à une perpétuation de ce système qu’elles dénoncent.

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