En Centrafrique, un billard à trois bandes lourd de périls à un an de la présidentielle

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Deux anciens chefs de l’Etat, François Bozizé et Michel Djotodia, sont de retour dans le pays, où l’élection suprême doit se tenir le 27 décembre 2020.

Le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra à Paris, le 10 novembre 2018.
Le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra à Paris, le 10 novembre 2018. Benoit Tessier / REUTERS

Le retour inattendu de deux anciens présidents centrafricains, principaux initiateurs d’une guerre civile qui perdure – François Bozizé et celui qui l’a renversé en 2013, Michel Djotodia – laisse augurer une âpre partie de billard à trois bandes avec l’actuel chef de l’Etat Faustin-Archange Touadéra à un an de la présidentielle.

Nombre d’observateurs voient dans le retour d’exil des deux « frères ennemis » la volonté de M. Bozizé – rallié par une partie de l’opposition – de revenir à la tête de l’un des pays les pauvres d’Afrique. Des velléités que M. Touadéra tenterait de contrer en s’alliant avec M. Djotodia, lequel n’en pense pas forcément moins à l’horizon du scrutin.

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Ces manœuvres sont potentiellement explosives dans un pays où la guerre civile continue de faire des victimes, malgré la signature d’un accord de paix en février 2019 entre tous les belligérants à Khartoum, au Soudan, il y a près d’un an, et alors que plus des deux tiers du territoire sont encore sous la coupe de groupes armés rebelles.

M. Bozizé est revenu en catimini le 16 décembre 2019 mais ne s’est affiché en public que six jours plus tard, pour un bain de foule devant des milliers de supporters l’exhortant à « reprendre le pouvoir ». A ce jour, il n’a pas été reçu par le président Touadéra. « M. Bozizé est entré en Centrafrique dans des conditions obscures et pose des conditions à une rencontre », rétorque le porte-parole du gouvernement Ange Maxime Kazagui. En revanche, le chef de l’Etat a reçu M. Djotodia aussitôt descendu de l’avion vendredi.

« Une stratégie du pouvoir »

« Une arrivée planifiée et négociée », assure Nathalia Dukhan, experte de la Centrafrique pour l’ONG américaine anticorruption The Sentry. « Déjà très impopulaire, le pouvoir actuel démontre qu’il n’a qu’un objectif : la réélection » de M. Touadéra, « quel qu’en soit le coût », poursuit-elle, estimant a contrario que M. Bozizé, lui, « est toujours très populaire (…), ce qui menace directement cette réélection ».

Rosmon Zokoué, président de l’Association des blogueurs centrafricains (ABCA) ne dit pas autre chose : « Le retour de M. Djotodia, c’est une stratégie du pouvoir. M. Touadéra se garantit ainsi le soutien des électeurs des territoires sous influence de l’ex-Séléka grâce au soutien de M. Djotodia ».

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François Bozizé, qui a pris le pouvoir à l’issue d’un coup d’Etat en 2003, a été renversé par les armes dix ans plus tard par Michel Djotodia, chef de la Séléka à majorité musulmane. Puis des combats meurtriers ont opposé la Séléka à des milices d’autodéfense dominées par les chrétiens et animistes, les anti-balaka, cornaquées depuis son exil ougandais par M. Bozizé.

Après une intervention de l’armée française, la Séléka a abandonné Bangui début 2014, contraignant M. Djotodia à la démission. M. Touadéra a été élu président en janvier de la même année, mais n’est pas parvenu à stopper les combats malgré la présence d’une force multinationale de l’ONU.

« Une course contre la montre »

Si M. Djotodia a échappé, jusqu’à aujourd’hui, aux foudres des justices internationale et centrafricaine, il n’en va pas de même pour M. Bozizé : l’ONU a décrété des sanctions contre lui et la Centrafrique a émis un mandat international, notamment pour « crimes contre l’humanité ». Son entourage a souligné dès son retour que M. Bozizé est rentré juste à temps pour se présenter à la présidentielle, la loi électorale imposant de résider depuis au moins un an en Centrafrique.

Cependant, « la situation juridique de M. Bozizé est beaucoup plus compliquée que celle de M. Djotodia » au regard du mandat d’arrêt, estime l’analyste Thierry Vircoulon, spécialiste de l’Afrique centrale à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Son éligibilité n’est pas encore acquise et le camp Touadéra pourrait se montrer moins conciliant si sa réélection paraît en danger, au risque d’enflammer la campagne.

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« A moins d’un an de la présidentielle, tous les clans politiques sont engagés dans la course contre la montre », analyse Mme Dukhan. Attention aussi, préviennent certains observateurs : si les ambitions de M. Bozizé sont claires, celles de M. Djotodia restent floues. « L’avenir appartient à Dieu », répond l’intéressé sur ce plan.

Par ailleurs, M. Djotodia demeure le chef politique du principal groupe armé rebelle de Centrafrique, le Front pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC), qui contrôle le nord-est du pays en y multipliant meurtres, pillages et viols, rappelle à l’AFP Lewis Mudge, directeur Afrique centrale de l’ONG Human Rights Watch (HRW).

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Une situation potentiellement explosive pour une campagne électorale donc, dans un pays toujours en guerre civile malgré une accalmie depuis l’accord de Khartoum. « C’est un mauvais signe que M. Bozizé, pourtant sous sanctions, puisse être réintégré dans le paysage politique. De même, la Séléka a commis des crimes de guerres et contre l’humanité et M. Djotodia était à sa tête. Cela montre que le cycle de l’impunité n’est pas rompu », s’inquiète M. Mudge.

Le Monde avec AFP Publié aujourd’hui à 16h21

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