POLITIQUE
En Centrafrique, Jean-Pierre Waboé et l’opération reconquête de la Cour
constitutionnelle
Alors que la Cour constitutionnelle centrafricaine reste dans la tourmente provoquée par l’éviction de son ancienne patronne Danièle Darlan, son nouveau président espère redorer le blason de l’institution. Mais beaucoup l’estiment trop proche du président Touadéra.
Jean-Pierre Waboé nous reçoit dans son luxueux bureau situé dans la Cité des 14 villas, en plein centre de Bangui. Ce 8 mai, décontracté mais sérieux, le président de la Cour constitutionnelle s’apprête à quitter la capitale pour s’envoler vers la Russie. Un voyage à Saint-Pétersbourg qu’il sait controversé. « Je sais que mon déplacement en Russie sera mal interprété, qu’on va dire que je suis parti pour prendre des consignes russes pour le président Faustin-Archange Touadéra. Mais il s’agit seulement du Forum juridique international de Saint-Pétersbourg », regrette-t-il.
Avant de quitter le pays, Jean-Pierre Waboé adresse ses dernières consignes à son équipe. Depuis sa nomination en novembre 2022, il se sait très attendu. Lui et ses troupes ont lancé la difficile mission qui consiste, selon le nouveau patron de la Cour constitutionnelle, à « reconquérir » la légitimité de l’institution et à tourner la page de l’épisode de l’éviction de l’ancienne présidente Danièle Darlan. Mais, pour cela, l’ancien professeur d’université doit convaincre. Et combattre l’étiquette qui lui colle à la peau : celle d’être inféodé au pouvoir du président Touadéra.
« L’éviction de Danièle Darlan était illégale »
Jean-Pierre Waboé débute sa carrière loin de la politique, à l’université de Bangui au début des années 1980. Il revient alors tout juste de France, où il a obtenu une licence en droit privé à l’université d’Orléans. Sa carrière politique ne débutera que bien plus tard. En 2000, il est repéré par le président de l’Assemblée nationale et proche du président Ange-Félix Patassé, Luc-Apollinaire Dondon-Konambaye, qui lui confie un poste de conseiller juridique. Trois ans plus tard, lorsque Patassé est renversé, il est nommé directeur de cabinet du ministre de la Santé.
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Ce n’est que dix ans plus tard, en 2013, qu’il intègre la Cour constitutionnelle en tant que « simple » membre. L’époque, déjà, est charnière. La Séléka de Michel Djotodia est finalement renversée en janvier 2014 et Jean-Pierre Waboé fait donc partie des juges qui entérinent le choix d’Alexandre-Ferdinand Nguendet comme président de transition. Catherine Samba-Panza prend à tour la tête de l’État, avant que Faustin- Archange Touadéra n’arrive au pouvoir en 2016. Jean-Pierre Waboé devient, lui, numéro deux de la Cour constitutionnelle en 2017.
Cinq ans plus tard, il succède à Danièle Darlan, écartée sans ménagement par le chef de l’État après s’être opposée à la loi sur la cryptomonnaie et, surtout, à une modification de la Constitution, laquelle pourrait ouvrir la voie à un troisième mandat du président
Touadéra. Aussitôt, l’opposition dénonce une manœuvre du pouvoir pour prendre le contrôle de la Cour constitutionnelle. Une analyse qui peine ce pasteur évangélique. « L’éviction de Danièle Darlan était illégale mais je n’ai rien à y voir », se dédouane-t-il.
« Je me suis senti affecté par l’événement car cela a eu un effet néfaste sur l’image d’impartialité de la Cour constitutionnelle. Mais j’ai été le premier à prendre position contre sa destitution et les relations entre nous ont toujours été bonnes », tient-il à souligner. Le voilà désormais avec une seule mission en tête : « la reconquête de la légitimité » de la Cour constitutionnelle. « La Cour est affaiblie tant sur le plan national qu’international. La reconquête passe par l’impartialité, l’indépendance et notre attachement à la Constitution du pays ».
« Je dois faire mes preuves »
Jean-Pierre Waboé étant né à Bogangolo (sous-préfecture de l’Ombella-M’Poko) et membre de l’ethnie ngbaka-mandja, comme le président Touadéra. Une partie de l’opposition et de la société civile l’accuse d’ores et déjà d’entretenir des relations trop étroites avec le parti au pouvoir, le Mouvement coeurs unis (MCU). Mais l’intéressé préfère couper court. « Qu’on me montre quel jeu je joue pour le MCU. Tout le monde le dit. Mais on ne m’a jamais montré mes accointances avec le président Touadéra ou son parti ».
« Je suis de la même région que le président. Et alors ? De 2013 à 2022, alors que j’étais déjà à la Cour constitutionnelle, personne n’a jamais soulevé cette question. Aujourd’hui, on veut me coller cette soi-disant proximité avec le président. Mes relations avec Faustin-Archange Touadéra restent celles de président d’institution à président de la République », s’interroge-t-il. Le nouveau patron de la Cour veut mettre en avant son intégrité, sa religion et son professionnalisme pour déjouer le « narratif médiatique ».
« Je sais que je dois faire mes preuves pour redorer le blason de la Cour », assure-t-il. Saura-t-il faire face à la pression, alors que Faustin- Archange Touadéra pourrait prochainement présenter son projet de modification de la Constitution, prélude à un éventuel troisième mandat ? « Tant que la modification de la Constitution n’est pas portée devant nous, cela ne représente pas encore un problème », rassure l’intéressé.
Jeune Afrique