Elections, responsabilité, légalité et légitimité : Retour sur la décision du 18 janvier 2021 de la Cour constitutionnelle de RCA [1/5 : INTRODUCTION]

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Jean-François Akandji-Kombé

Jean-François Akandji-Kombé

Agrégé des Universités
Professeur de Droit Public
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Elections, responsabilité, légalité et légitimité : Retour sur la décision du 18 janvier 2021 de la Cour constitutionnelle de RCA [1/5 : INTRODUCTION]

Avertissement

Eu égard à son volume, et pour le confort de lecture, la présente étude est publiée en plusieurs temps, selon l’ordre suivant :

Introduction

Partie 1 : La responsabilité des acteurs politiques

Partie 2 : L’office de la Cour constitutionnelle en tant que juge électoral

Partie 3 : Le sens et la portée des élections

Partie IV : Sur la sécurisation du vote & Conclusion.

Le lecteur trouvera l’intégralité de l’étude en téléchargement au format PDF à la fin de cette série, avec la dernière publication.

Résumé de l’étude

À partir de la décision de la Cour constitutionnelle proclamant les résultats définitifs de l’élection présidentielle du 27 décembre 2020 et déclarant M. Faustin Archange TOUADÉRA Président élu, et sans remettre en cause l’autorité juridique de cette décision, la présente étude propose un décryptage de ladite élection. On s’y intéresse aussi bien à la démarche de la Cour en tant que juridiction électorale qu’aux données même de l’élection ; aussi bien aux données de fait qu’aux données juridiques, ainsi qu’au jeu des acteurs. Et ceci est fait à l’aune de l’exigence qui devrait sous-tendre tout processus électoral, à savoir la restitution transparente et fidèle de la volonté, et donc du choix des électeurs. Dans cet esprit, l’étude évoque successivement :

  • Le jeu des acteurs politiques: où il est question des responsabilités qui incombent à ces acteurs et de la manière dont ils s’en sont concrètement acquittés ;  
  • L’office de la Cour constitutionnelle: où il est traité du rôle juridictionnel mais aussi d’observateur des élections qui devrait être celui de cette Cour et de ce qu’il en a été dans les faits ;
  • La question de la signification des élections: où l’on s’attache à la conception de l’élection selon la Cour constitutionnelle et au lien qui est tissé dans cette conception avec le peuple, et quel peuple ;
  • La question de la sécurisation du processus électoral: où l’on constate que la décision de la Cour vient infirmer les thèses officielles.

INTRODUCTION : CONTEXTE, ENJEUX ET PROBLÉMATIQUE D’UNE DÉCISION CAPITALE

On l’attendait pour le 19 janvier, elle est tombée le 18, la décision de la Cour constitutionnelle centrafricaine proclamant les résultats définitifs de l’élection présidentielle à la suite du scrutin du 27 décembre 2020. Par cette décision, la Cour vidait aussi le contentieux relatif à cette élection, suscité par le recours collectif de dix (10) des dix-sept (17) candidats[1], pour la plupart membres de la Coalition de l’opposition démocratique (COD-2020), ainsi que de candidats individuels[2]. L’issue est la confirmation des résultats provisoires de l’élection présidentielle et, par conséquent, la proclamation de M. Faustin Archange TOUADÉRA Président élu de la République Centrafricaine.

De cette décision du 18 janvier, le moins que l’on puisse dire est qu’elle a marqué et marquera encore longtemps les Centrafricains. La raison est que les enjeux étaient immenses, de même que les espoirs placés en ces consultations, sur la foi des promesses faites tant par les politiques centrafricains que par les partenaires internationaux de la RCA : promesse de restituer la parole au proclamé « peuple souverain », de restaurer une paix véritable et la cohésion sociale, d’enraciner la démocratie, de relancer l’économie ; bref, promesse de lendemains qui chantent à ce peuple qui crie de toutes ses forces et de toutes les manières possibles qu’il « a assez souffert », qu’il « est fatigué de la guerre », qu’il « veut la paix ». Le fait que les mêmes promesses aient déjà été proférées en 2015 comme implications nécessaires de ce qu’on avait alors baptisé « restauration de l’ordre constitutionnel démocratique » et, surtout, le fait qu’elles aient manqué pour l’essentiel à se réaliser après cinq (5) années de gouvernance, n’a pas empêché qu’elles soient réitérées, bien au contraire. Cela n’a pas non plus, le moins du monde, freiner le désir des Centrafricains d’y croire, avec une foi dont l’ardeur ne pouvait qu’être attisée par l’envie de sortir, enfin et coûte que coûte, des affres de la crise.

Si l’on s’attarde autant sur ces éléments du contexte global, c’est pour que le lecteur prenne d’emblée conscience de l’ampleur des attentes à l’égard de la Cour constitutionnelle et de la décision qu’elle allait rendre. Des attentes d’autant plus grandes d’ailleurs que la Cour pouvait apparaître comme l’institution ultime, et la seule, susceptible de sauver un dispositif d’ensemble qui n’inspirait plus que moyennement confiance : entre un exécutif traînant d’abord des pieds pour mettre en place le cadre électoral et suspecté ensuite de se préparer au « hold-up » électoral ; une Assemblée nationale animée par une majorité plus intéressée par les prébendes et par la prolongation de son mandat sans vote (moyennant une révision constitutionnelle[3]) que par des élections ; une Autorité Nationale des Élections (ANE) peinant à convaincre tant de son indépendance que de sa capacité à remplir convenablement sa mission de préparation et d’organisation des élections ; et des organisations politiques, notamment d’opposition, suspectées de manœuvrer pour une transition politique au détriment des élections, et d’avoir à l’égard du processus électoral des intentions plutôt ambiguës.

La Cour constitutionnelle avait d’ailleurs elle-même contribué à accréditer cette représentation d’elle-même comme sauveur d’un système en faillite par ses décisions antérieures sur ces élections, et spécialement par celles arrêtant les listes de candidats à la présidentielle et aux législatives[4]. On l’a ainsi vu se substituer à un système judiciaire adepte de l’impunité des puissants, à une Assemblée nationale inerte face aux malversations graves et caractérisées en son sein et fermant les yeux sur les condamnations judiciaires de ses membres, etc.

Avec des attentes aussi puissantes, qui plus est dans un climat qui était – et qui demeure – de suspicion et de défiance généralisées, la décision du 18 janvier n’avait que peu de chances de faire consensus.

Il est dès lors plus que nécessaire de rappeler cette règle dont nous avons fait un préalable de principe et de méthode à nos commentaires des décisions de cette juridiction, à savoir non seulement que les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives, mais aussi qu’elles s’imposent à toute autorité, à tout citoyen et à toute personne[5]. Chacun se doit donc d’en prendre acte et de les respecter.

Pour autant, ainsi que nous avons aussi coutume de le souligner, ceci ne saurait interdire tout commentaire, pas plus les commentaires juridiques que les discussions entre citoyens, car les décisions de cette Cour doivent être regardées comme étant, dès leur publication, versées au débat public si nécessaire dans tout État de droit démocratique. Ce à quoi s’ajoute le fait qu’il y a un intérêt évident, voire même une impérieuse nécessité, dans une perspective de reconstruction de l’État balbutiant qu’est la République centrafricaine, à porter un regard sans complaisance mais de critique constructive sur les institutions et les pratiques. C’est ce que l’on se propose de faire ici.

Ceci posé, comment se présente la décision du 18 janvier ou, plus exactement, que nous apprend-elle ?

La réponse est : bien de choses, et peut-être même plus qu’il n’y paraît de prime abord. En effet, cette décision est, pour peu qu’on la lise attentivement, plus qu’une décision juridictionnelle. Il en est ainsi non seulement parce que la Cour a choisi, comme on le verra, de déborder le champ du droit et d’en appeler à des considérations extra-juridiques, notamment politiques, mais aussi parce que, avant le droit, il y a le fait électoral et que, pour pouvoir dire le droit, le juge électoral se doit d’apprécier ces faits et d’en retenir une certaine photographie.

La décision du 18 janvier est précisément à regarder ainsi, en prenant en compte les problématiques aussi bien factuelles que juridiques qu’elle développe. Elle est à considérer en somme comme le miroir réfléchissant des élections qui viennent de se tenir. Cela conduit alors à porter la lumière non seulement sur la décision finale (confirmation des résultats provisoires), mais aussi sur tous les éléments sur lesquels s’appuie cette décision. Quelles données de fait la Cour a-t-elle retenues ou rejetées et pourquoi ? Quelle démarche la Haute juridiction a-t-elle adoptée pour évaluer la pertinence des données factuelles à sa disposition ? Sur quels arguments et sur des arguments de quelle nature les juges ont-ils basé leur décision ? Et comment articulent-ils ces différents éléments ?

Autant de questions déterminantes et utiles pour saisir la portée véritable de la décision du 18 janvier. Cela étant, il faut bien en convenir, ces questions ne sont elles-mêmes que des points de passage vers l’essentiel, à savoir ce que dit cette décision, ce qu’elle donne à voir : quant à la responsabilité des acteurs, notamment politiques (I), quant au rôle de la Cour constitutionnelle dans le dispositif électoral (II), quant à la signification et à la portée de l’élection elle-même (III), et quant à divers autres aspects de la problématique électorale en RCA (IV).

L’ensemble de ces questions sera abordé ici en partant du principe, élémentaire mais fondamental dans un État de droit démocratique, selon lequel l’élection est un instrument par lequel s’exprime la souveraineté du peuple ; que sa crédibilité se mesure à l’aptitude des résultats à refléter fidèlement la volonté de ce peuple en tant que volonté du plus grand nombre ; et que, enfin, les pouvoirs et prérogatives accordés aux acteurs et institutions qui participent au processus électoral ne le sont que pour garantir la fidélité de cette translation politique. Autrement dit, on abordera ces questions en s’attachant à rendre à l’élection son sens profond : à savoir celui d’une opération dont la raison d’être est de « procéder à une transmission par le Peuple de son pouvoir sans que le titulaire – le Peuple précisément – en soit dépossédé ; de transmettre ce qui n’est ainsi qu’un simple pouvoir d’exercice de la souveraineté en s’assurant que les personnes retenues sont bien celles qui ont effectivement été choisies par les citoyens, en toute liberté et en toute transparence, pour être leurs Représentants »[6].

Envisagée à la lumière de ces considérations, l’image que renvoie des élections centrafricaines du 27 décembre la décision de la Cour constitutionnelle du 18 janvier est à tout le moins préoccupante. Il y apparaît d’évidence que les Centrafricains, dont cette élection était censée refléter la volonté, en sont finalement, dans leur grande majorité, les laissés-pour-compte ; et ceci non seulement parce qu’ils se sont trouvés, de fait ou de droit, dans l’impossibilité de voter, mais aussi parce que les acteurs institutionnels et politiques ne paraissent pas avoir, en pratique, été animés prioritairement par le souci de garantir l’universalité de l’expression du suffrage et l’intégrité de la volonté des citoyens-électeurs.

[1] Les candidats en question sont : DOLOGUELE Anicet Georges, candidat du Parti URCA ; ZIGUELE Martin, candidat du Parti MLPC ; KAMOUN Mahamat, candidat du parti BEAFRIKA TI E KWE (BTK) ; AGOU Augustin, candidat du Parti Renaissance pour un développement Durable (RDD) ; MBOLI GOUMBA BENDERET Crépin, candidat du Parti PATRIE ; NGUENDET Alexandre Ferdinand, candidat du Parti Rassemblement pour la République (RPR) ; MEKASSOUA Abdou Karim, candidat du Parti Chemin de l’Espérance (CDE) ; SAMBA PANZA née SOUGA Catherine, candidate indépendante ; TIANGAYE Nicolas, candidat du Parti Convention Républicaine pour le Progrès Social (CRPS) ; KOLINGBA NZANGA BILAL Désiré, candidat du parti Rassemblement Démocratique Centrafricain (RDC).

[2] En l’occurrence il s’agit de Messieurs Cyriaque GONDA, Martin ZIGUÉLÉ et Anicet Georges DOLOGUÉLÉ. À noter que ces deux derniers étaient aussi parties prenantes au recours collectif.

[3] Voir sur ce point nos interventions, accessibles à partir des liens suivants : https://jfaki.blog/archives/5378https://jfaki.blog/archives/5449https://jfaki.blog/archives/5492/.

[4] Cour const., 27 novembre 2020, Décision n° 024/CC/20 arrêtant la liste définitive des candidats aux élections législatives du 27 décembre 2020 ; Cour const., 3 décembre 2020, Décision n° 025/CC/20 sur les recours introduits suite à la décision n° 024/CC/20 du 27 novembre 2020 ; Cour const., 3 décembre 2020, Décision n° 026/CC/20 arrêtant la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle du 27 décembre 2020. Pour accéder à ces décisions : https://jfaki.blog/archives/9214.

[5] Article 106 de la Constitution du 30 mars 2016, actuellement en vigueur.

[6] Préface de J.-F. Akandji-Kombé, in Mamadou Ismaïla Konaté, Guide électoral et du contentieux électoral au Mali,Ed. Droit Afrique, 1ère éd., 2020. Disponible aussi à l’adresse suivante : https://jfaki.blog/archives/5431

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