Elections en Centrafrique : que retenir de l’interview de Anicet Georges DOLOGUELE accordée à RFI ?

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De l’interview du président de l’Union pour le Renouveau en Centrafrique, en abrégé URCA, chef de file de l’opposition démocratique et président de la plateforme politique dénommée « la COD – 2020 »,  il convient de retenir ce qui suit :

Anicet Georges DOLOGUELE, candidat malheureux au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2015 et président de son parti URCA vient d’être à nouveau investi candidat à l’issue du deuxième congrès dudit parti pour la prochaine élection présidentielle dont le premier tour est prévu pour le 27 décembre prochain. Félicitations donc à cet homme politique de premier plan, ci – devant directeur général de la BDEAC, ancien ministre des finances et du budget, et ancien premier ministre du feu président Ange Félix PATASSE auprès duquel ce technocrate aura fait ses premiers pas en politique ! Si l’on doit se réjouir et être fier de la vitalité de la vie et du débat politique en Centrafrique à la veille de l’ouverture des hostilités électorales, on est également en droit de se demander, mieux encore de chercher à comprendre les enjeux d’un scrutin qui divise déjà la classe politique centrafricaine, particulièrement l’opposition démocratique dans toute sa diversité, au regard des conditions à réunir pour la réussite du processus électoral à venir. Cette interview appelle alors très sérieusement de notre part, en tant que citoyen centrafricain à part entière, quelques observations.

Il est désormais globalement et largement établi, et cela ne souffre d’aucune contestation, dans l’opinion publique nationale que le régime de Touadéra a totalement échoué et ces cinq dernières années n’ont été que des années où les centrafricains ont conjugué à « tous les temps et tous les modes » de la conjugaison française les verbes « souffrir, humilier, déshonorer, asservir, tuer, courir, mourir, incendier, enfumer, pleurer, implorer, violer, piller, détruire, racketter, appauvrir, insulter, violenter, martyriser, souiller, profaner, indigner, affamer, déloger » comme lots et vécus quotidiens servis par ce pouvoir pour une descente inexorable aux enfers. Nul n’est point besoin de le rappeler, car chaque centrafricain, chaque famille a au moins eu sa dose de malheurs et d’apocalypse. Ce constat est d’abord celui établi et maintes fois rappelé par l’opposition, appuyé par les divers rapports de tous les services et observateurs de la scène publique nationale, plus encore par les partenaires bilatéraux et multilatéraux, le dernier communiqué conjoint du G5 RCA le témoigne sans appel.

Il semble cependant que l’opposition démocratique ne prend toujours pas la mesure de la gravité d’une situation qui risque d’aboutir à une implosion sociale,  et en réaction nous avons le plein droit de nous demander bien dans quel monde nous vivons. Pour preuve, la COD 2020 se prépare fort étonnement à prendre part à une élection où le résultat est déjà connu, tellement les règles du jeu électoral échappent totalement à son contrôle, celles-ci étant d’ailleurs la panacée exclusive du pouvoir de Bangui et fixées unilatéralement par le Gangster de Bangui. Une situation totalement ubuesque et de nature à entamer la sincérité, la crédibilité et la transparence du fameux scrutin à venir qui n’interpelle outre mesure en rien la plateforme de l’opposition démocratique et qui donne même l’impression de s’en accommoder. Dans cette interview, il nous a été donné d’entendre dire le chef de file de l’opposition démocratique et président de la plateforme politique COD – 2020 mettre en avant de façon apparemment hypocrite la « bonne volonté de l’opposition » d’aller aux élections dans les meilleures conditions possibles ; seulement ces conditions, nous le savons tout comme lui-même depuis belle lurette, ne sont pas réunies et ne le seront absolument pas au regard du calendrier constitutionnel.

Tout en rappelant toute une pléthore de manquements graves imputables à la tenue du prochain scrutin, notamment la mise à l’écart des partis politiques et de la société civile du processus, les dysfonctionnements permanents d’une ANE manifestement illégale et illégitime et l’implication des groupes armés dans les opérations d’enrôlement des électeurs, ce dernier se « félicite » de la tenue des divers congrès de partis qui se sont tenus ou qui vont l’être dans les jours à venir, comme pour dire que tout va bien dans le meilleur des mondes possibles. Aussi, se réjouit-il des « avancées sur le plan sécuritaire » s’agissant des opérations militaires lancées par les FACA appuyées par la Minusca dans les régions de Bocaranga et Koui, circonscriptions d’où il tient sa légitimité de député. Bravo, M. le président ! Mais, qu’en est-il des flammes qui embrasent in dies singulos la quasi-totalité des autres régions de la Centrafrique ? A-t-il été tenu au courant des dernières informations provenant du terrain et particulièrement de la sous – préfecture de Koui et faisant état des ravages, dégâts et autres destructions de villages dans ces localités ? N’a-t-il été informé par sa cellule de communication du refus catégorique et sous la menace de mort des mercenaires Abbas Siddiki, Mahamat Al-Katim et Ali Drass de  laisser continuer et se poursuivre les opérations d’enrôlement lancées par l’ANE dans les zones placées sous leur contrôle ? Est-il conscient de la menace de mort qui pèse sur sa propre tête, celle de son collègue Abdou Karim MECKASSOUA, celle de l’ancien président François Bozizé ainsi que tous les autres contradicteurs politiques de Touadera, sans oublier les enlèvements, les séquestrations arbitraires et les tortures morales et psychologiques dont sont victimes ces temps derniers des « blogueurs » et autres « livers » proches de l’opposition, à l’exemple de ce qui est arrivé à l’activiste et militant du KNK Henri Grothe et Sylviane Bogoté militant du Chemin de l’Espérance et liver à loisirs, à leur descente d’avion et dont tous les équipements informatiques et autres appareils téléphoniques ont été saisis, après avoir été soumis à des interrogatoires musclés par le commissaire de l’air et des frontières ? Est-il décidément convaincu que les conditions sont désormais réunies pour qu’il circule librement en allant auprès de ses propres électeurs et que les réfugiés centrafricains devenus paria dans leur propre pays puissent rentrer dans leurs maisons pour pouvoir voter, dès lors que les cultivateurs ne peuvent même plus vaquer aux travaux champêtres du fait de l’occupation de plus de 85% du territoire national par des groupes armés, considérés comme des partenaires du gouvernement ? Et quid de l’enrôlement à l’extérieur du pays ? A-t-il enfin noté les fortes inquiétudes exprimées par le G5 RCA et relayées par Mankeur NDIAYE, patron de la Minusca qui a du mal à dissimuler sa propre crainte ?

Non, soyons un peu rigoureux et n’ayons surtout pas peur de dire tout haut et clairement que non seulement Touadéra a totalement échoué, mieux encore qu’aucune élection ne saurait se tenir dans les conditions connues d’aujourd’hui, car ce faisant, c’est tout simplement cautionner la bêtise électorale et accompagner un certain Touadéra vers sa réélection et son investiture le 30 mars 2021 au plus tard ! Ce serait l’erreur à ne pas commettre afin d’éviter à la République des lendemains inconnus et chargés de nouvelles tensions encore des plus difficiles.

Nonobstant, la dérive électorale qui a déjà commencé, l’opposition démocratique réunie au sein de la COD-2020 semble préparer les esprits à une mascarade pour laquelle elle s’apprête à jouer le jeu, comme si son incapacité à dire NON et à opposer un refus catégorique à une certaine communauté internationale qui pousse tout le monde à marche forcée d’y participer la rendrait moins légitime aux yeux de l’opinion nationale et internationale. Certes, la communauté internationale soutient largement le processus et grâce à elle, l’Etat centrafricain tire l’essentiel des ressources nécessaires à son financement, ce qui ne devrait en rien lui conférer un quelconque rôle de leadership, pas plus que celui de décideur de premier plan. Et les contradictions s’enchaînent ; d’abord parce que la Charte de la coalition n’a jamais posé dès l’origine la question du candidat unique de l’opposition face à Touadera où l’on devrait déjà procéder aux primaires pour désigner celui ou celle qui serait choisi pour affronter le candidat sortant, puis la non-participation de certains membres et/ou partis politiques qui appartiendraient à une autre mouvance ; et enfin la question de la présidence tournante qui n’est assurée depuis que par le seul et l’actuel président depuis six mois déjà, comme si le choix du candidat unique serait déjà opéré. Cette question de désignation du candidat unique reste cruciale dès lors que le choix de celui-ci clarifierait et fixerait l’enjeu principal pour lequel toute l’opposition devrait se mobiliser à l’unisson. Et cette interview donnée à RFI aurait un sens puisqu’elle devrait permettre à AGD de parler de son offre politique plutôt que de parler au nom de la COD-2020, à partir du moment où un porte-parole existe bel et bien. La position timorée de Mr Dologuele face à une dérive dictatoriale du pouvoir est plus qu’inquiétante et révélatrice d’une confusion et d’une crise politique qui couve au sein de cette opposition démocratique qui peine à agir de concert, ce qui s’annonce d’ores et déjà comme une aubaine pour le clan présidentiel sortant. Alors, quelle leçon tirer de cet échange, surtout au lendemain du coup d’Etat éclatant des soldats maliens ?

Notre président de l’URCA n’a pas jugé nécessaire sinon subsidiaire de parler et tirer tous les enseignements de la situation qui prévaut en ce moment au Mali. Situation politique identique, contexte analogue à celui que traverse la RCA depuis presque dix ans, l’opinion malienne salue le sursaut patriotique incarné par les FAMA. Et comme les mêmes causes produisent les mêmes effets en tout temps et en tout lieu, il serait intéressant, voire souhaitable de connaitre la position de celui qui se présente comme étant le leader de l’opposition démocratique et qui aspire à gouverner sur les cendres qui lui seront léguées par le gangster de Bangui, après avoir incendié, brulé et tué l’âme et la fierté de tous les centrafricains. Une armée nationale politisée, une classe politique instrumentalisée et clientéliste, une opposition bâillonnée et muselée, une société civile marginalisée, timorée et résignée sans oublier une administration caporalisée et au service quasi-exclusif du pouvoir, bref un tableau sombre qui devra servir de base solide devant garantir une réélection rêvée dès le premier tour pour Touadera.

Et en face, nous avons une opposition dite démocratique engluée dans ces propres contradictions, caractérisée par une lutte fratricide inavouée de leadership, puisque tous visent le seul et unique fauteuil présidentiel, et incapable de privilégier l’intérêt commun, celui d’un peuple martyrisé et à bout de souffle. Qu’à cela ne tienne, il faut se garder d’oublier une jeunesse centrafricaine qui n’a pas encore dit sa partition ; une jeunesse qui souffre, encaisse, observe mais qui réservera certes une surprise en cas de faillite de son élite politique.  Et lorsqu’on sait que Touadera marchera sur l’eau tel le Christ, c’est-à-dire qu’il ferait tout ce qui est extraordinaire pour se faire réélire et garder le pouvoir, on n’a pas droit à la moindre erreur qui serait fatale pour la survie du peuple centrafricain. Mais avant cela, ADG et ses coalisés de la COD 2020 seraient bien inspirés d’adopter hic et nunc une position unique, claire, solide et non négociable, sur la question sécuritaire, l’implication des groupes armés dans le processus électoral et les dysfonctionnements de l’ANE,  pour opposer avec rectitude un NON à la tenue de ces élections et exiger un cauchemar de TRANSITION consensuelle que toutes les langues évitent de prononcer afin d’éviter à la RCA une fois de plus de sombrer dans le chaos.

Nous l’avons déjà dit, le mythe de Sisyphe est un sophisme, ce n’est surtout pas une fatalité.

Jean – Paul Naïba

 

 

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