DISCOURS DE S.E MOUSSA FAKI MAHAMAT PRESIDENT DE LA COMMISSION DE L’UNION AFRICAINE 16ème SESSION EXTRAORDINAIRE DE DE LA CONFERENCE DE L’UNION AFRICAINE SUR LE TERRORISME ET LES CHANGEMENTS ANTICONSTITUTIONNELS DE GOUVERNEMENT EN AFRIQUE

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DISCOURS DE S.E MOUSSA FAKI MAHAMAT PRESIDENT DE LA COMMISSION DE L’UNION AFRICAINE 16ème SESSION EXTRAORDINAIRE DE DE LA CONFERENCE DE L’UNION AFRICAINE SUR LE TERRORISME ET LES CHANGEMENTS ANTICONSTITUTIONNELS DE GOUVERNEMENT EN AFRIQUE

MALABO (REPUBLIQUE DE GUINEE EQUATORIALE) – 28 MAI 2022 –

Excellence Monsieur Joao Lourenço, Président de la République d’Angola et Vice-Président de l’Union africaine,
Excellence Monsieur Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, Président de la République de Guinée Equatoriale, Hôte du sommet,
Excellences Mesdames et Messieurs les Chefs d’Etat et de gouvernement,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil exécutif,
Mesdames et Messieurs,

La tenue de cette 16ème session extraordinaire de la Conférence de l’UA nous donne l’occasion de renouer avec Malabo, cette belle cité toujours bien parée pour accueillir
les réunions de notre Union.

Je voudrais exprimer ma sincère reconnaissance à S.E Monsieur Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, pour tous les efforts investis à l’effet d’offrir à nos travaux un cadre
optimal de concertation et de réflexion sur les deux défis majeurs qui freinent notre ambition de bâtir l’Afrique que nous voulons, à savoir le terrorisme et les changements
anticonstitutionnels.

Je voudrais aussi saluer et remercier Son Excellence Joao Lourenço, Président de la République d’Angola qui est à l’origine de l’inscription à ce Sommet de ces thématiques
dont l’impact négatif sur notre continent n’est plus à démontrer.

Excellences,
Mesdames, Messieurs,
On pourrait s’interroger, à juste titre, sur la pertinence de la corrélation entre le terrorisme et les changements anticonstitutionnels de gouvernement, tant les deux phénomènes semblent se nourrir l’un l’autre, avec des causes enchevêtrées qui fournissent un terreau propice aux coups d’État militaires et aux menées terroristes sur notre continent.

S’agissant d’abord du terrorisme, je voudrais rappeler que le phénomène était au départ localisé essentiellement en Somalie et en Algérie. Vaincu en Algérie, il a malheureusement prospéré en Somalie. C’est à partir de 2011, qu’il a véritablement explosé en Afrique à la faveur de la crise libyenne. Celle-ci a favorisé l’arrivée au Sahel de milliers de combattants et de mercenaires étrangers. Elle a provoqué l’afflux d’organisations terroristes défaites au
Moyen Orient., Elle a occasionné la circulation incontrôlée des armes. Progressivement, le terrorisme a pris de l’ampleur et a étendu ses tentacules à d’autres régions du Continent. De la Libye, au Mozambique, du Mali, du Golfe de Guinée en Afrique de l’Ouest à la Somalie en passant par le Sahel, le Bassin du Lac Tchad et l’Est de la RDC, la contagion terroriste continue de s’accentuer.

L’Afrique n’a pas tardé à réagir à travers la constitution de forces communes de lutte, telles que l’AMISOM/ATMIS en Somalie, la Force Mixte Multinationale dans le Bassin du Lac
Tchad, la Force conjointe du G5 Sahel, la mission de la SADC au Mozambique (SAMIM) et les initiatives bilatérales aussi au Mozambique.

Aux mesures opérationnelles s’est ajoutée la réactivation par l’Union africaine des instruments juridiques destinés à lutter contre le terrorisme tels que le Plan d’action sur la prévention et la lutte contre le terrorisme adopté en 2002 comme cadre opérationnel de la Convention de l’OUA sur la lutte contre le terrorisme, adopté en 1999 et son Protocole adopté en 2004.

Il convient également de mentionner la Déclaration de Johannesburg sur l’initiative de Faire taire les armes et la Feuille de route de l’UA sur les mesures pratiques pour faire taire les armes en Afrique à l’horizon 2030.

Ces principes forts ont été complétés par des réflexions pertinentes faites lors des différents fora tenus sur la paix et la sécurité en Afrique.

En dépit de toutes ces initiatives, le terrorisme ne faiblit pas sur le Continent. D’abord, en raison d’une insuffisante solidarité africaine avec les pays victimes du terrorisme, mais aussi en raison du non-respect de nos propres engagements. Je ne citerai que le cas de la Force Africaine en Attente qui, depuis sa création, n’est pas encore opérationnelle. Sur cette question, la volonté politique a fait défaut, alors que nous avons les moyens et les hommes qu’il faut. Les armées africaines comptent environ 2.700.000 hommes. Mobiliser
seulement 1 à 2 % de cet effectif et les doter des moyens nécessaires permettraient de réduire notre dépendance des forces étrangères et de faire face, avec plus de chance de
succès, au terrorisme.

Ensuite, notre combat contre le terrorisme est ralenti par l’absence d’un engagement fort de la Communauté internationale à nos côtés. Celle-ci applique à notre égard la politique de double standard international. Alors que la lutte contre DAESH au Moyen-Orient a bénéficié d’une mobilisation internationale à tous les niveaux, celle contre le terrorisme en Afrique est réduite à la portion congrue.

Par ailleurs, les ressources financières et humaines déployées par la Communauté internationale pour les opérations du Maintien de la paix sont sans commune mesure par leur ampleur avec celles, infimes, allouées par cette même communauté internationale aux efforts nationaux africains destinées à lutter contre le terrorisme.

L’exemple du G5 Sahel est édifiant. Nos multiples sollicitations au Conseil de Sécurité, appuyées par le Secrétaire Général des Nations Unies, pour le financement de cette organisation sur les ressources des Nations Unies, sont restées lettre morte.

Excellences Mesdames, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement,

S’agissant maintenant des changements anticonstitutionnels des gouvernements, nous avons récemment tous vécu, avec consternation et inquiétude, le retour en force des coups
d’État militaires dans certains de nos États membres. On assiste ainsi à la résurgence d’une pratique que nous croyions à jamais révolue, avec l’avènement d’une nouvelle ère, celle prometteuse de la consolidation démocratique.

Parmi les causes de ces changements avancées par les putschistes de ces derniers mois, figurent en bonne place l’incapacité, selon eux, des pouvoirs civils démocratiquement élus a combattre efficacement le terrorisme. Ainsi donc, aux justifications à posteriori désormais classiques, telles que l’impéritie des gouvernements civils, la mauvaise gouvernance sous toutes ses formes, la crise de légitimité des institutions démocratiques, s’ajoute désormais l’argument du monopole de la compétence en matière de lutte contre le terrorisme
détenu par les managers de la violence légitime d’Etat, que sont les armées. Ce nouvel argument qui est apparue ces derniers temps sur la scène politique et médiatique africaine
renforce le lien entre terrorisme et changements anticonstitutionnels de gouvernement évoqué plus haut. De la corrélation, on glisse ainsi dangereusement vers la causalité. Les coups d’Etat deviennent, dans cette perspective, l’effet logique de l’expansion du terrorisme. Vous conviendrez avec moi, mesdames messieurs les chefs d’Etat et de gouvernement, qu’il faille se garder d’un tel glissement.

C’est a ce niveau que pose la question lancinante du respect des dispositions constitutionnelles internes et des engagements juridiques continentaux auxquels nos état
membres ont librement souscrit et qui proscrivent de manière nonéquivoque l’accession au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels. Je voudrais rappeler ici quelquesuns des textes adoptés par la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine et qui sont au fondement de l’architecture africaine de gouvernance.
Il s’agit:
de l’Acte constitutif de l’Union africaine; de la Déclaration d’Alger de 1999; de la Déclaration de Lomé de 2000; de la Charte africaine de la démocratie, des élections et
de la gouvernance de 2007; du Protocole portant création du conseil paix et sécurité
de l’Union africaine de 2014

La pérennité et la stabilité des institutions démocratiques est un gage du développement économique et social de nos pays. Inversement, les ruptures intempestives des processus
démocratique en cours constituent des entraves sur le chemin de l’émergence du continent.

Aussi devientil urgent d’affiner l’analyse des causes de cette résurgence des usurpations militaristes du pouvoir afin d’en déterminer la thérapeutique appropriée.

Certains sont d’avis, peutêtre non sans raison, que les modifications de constitutions aux fins de confiscation du pouvoir constitue des sources de contestation et d’instabilité dans les pays concernés. Ces modifications, qualifiées de coups d’état rampant, car bloquant toute possibilité d’alternance peuvent alors déboucher sur des coups d’Etat militaires ayant dans certains cas un soutien manifestement populaire.

Au demeurant, les tenants de cette thèse ne sont pas en contradiction avec les dispositions de l’Article 23 alinéa 5 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la
gouvernance, qui considère comme changement anticonstitutionnel de gouvernement et passible de sanctions de la part de l’Union, je cite, “tout amendement ou toute révision des constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance
démocratique.”

A ce stade, nous ne pouvons passer sous silence la question des délais des processus de transition menés par les gouvernements issus de coups d’Etat et qui devient une source de tension et de dissension préjudiciables à la stabilité des États concernés et à celles de leur voisins.

Dans cette perspective, il importe d’insister sur l’impérieuse nécessité d’une meilleure coordination des actions de l’Union africaine et de celles des communautés économiques
régionales concernés en vue d’un meilleur accompagnement pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel normal. Il va sans dire que le renforcement de cette coordination devra
s’effectuer dans le cadre d’une division du travail fondée sur les principes de subsidiarité, de complémentarité et d’avantages comparatifs.

Mesdames, messieurs les Chefs d’Etat et de
gouvernement,

Face aux constats que je viens de faire sur la thématique de ce sommet, il nous faut impérativement inverser la tendance actuelle de notre sécurité collective ainsi que de celle de notre modèle de gouvernance.

Cessons de considérer la lutte contre le terrorisme comme un phénomène ordinaire qu’on peut résoudre par des réunions, des séminaires et autres colloques. Des actions fortes et coordonnées et une solidarité intraafricaine concrète et à la mesure du danger, sont les conditions de notre victoire sur cette gangrène.

De même, cessons de regarder ailleurs lorsque les pratiques politiques dans nos États heurtent les règles et les principes sur la gouvernance vertueuse que nous avons unanimement et souverainement adoptés. La souveraineté et le principe de noningérence ne doivent pas primer sur le devoir de vérité que nous avons les uns envers les autres. C’est aussi le lieu d’en appeler à l’esprit républicain des forces armées africaines afin qu’elles s’abstiennent de toute intervention susceptible de compromettre les acquis démocratiques des trente dernières années sur le continent.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

L’Afrique est sans doute le dernier continent au monde à vivre avec une telle intensité le terrorisme et ou existe encore des changements inconstitutionnels. Il est incontestable que
ces deux phénomènes inversent nos priorités de développement et entravent notre marche vers le progrès. Nous ne devons plus accepter cela. Il nous faut relever ce double défi par des mesures audacieuses et courageuses, tant à l’intérieur des États qu’au niveau régional et continental, afin que cessent de prospérer sur le Continent ces atteintes intolérables à notre sécurité et à notre stabilité.

Je voudrais croire que ce Sommet et les décisions qui en sortiront permettront d’enclencher cette nouvelle dynamique.

Je vous remercie de votre bienveillante attention.

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