Discernez l’appel à la vie dans la pluralité des voix, dixit Cardinal Nzapalaïnga à Ngoukomba !

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Homélie du Cardinal Nzapalainga au 12è pèlerinage à Ngukomba. 8 décembre 2018

« Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent » Ps 84, 11
« Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur ! »
Ces mots de la Vierge Marie traduisent l’extase totale qu’elle témoigna de tout son être, esprit et âme, ayant reconnu tout ce que l’amour du Seigneur réalisait en son humble personne. J’en suis sûre, la joie de cette Mère que nous aimons tant vibre encore en nous, peuples de Dieu, de tous les âges et particulièrement peuple de Dieu rassemblé en ce lieu béni, le sanctuaire marial de Ngukomba. Moi aussi, je jubile et rends grâce au Seigneur d’être témoin de cette joie, de cette ferveur sans pareille et de cette merveille que seul le mystère de son amour peut réaliser : nous rassembler dans la diversité, la diversité de nos provenances, la diversité de nos confessions religieuses, la diversité de nos pays.
Pour que tout cela advienne, il a fallu que Marie dise « oui » au projet salvifique du Seigneur. Le « oui » de Marie est tellement actuel qu’il irradie nos vies respectives, nos expériences humaines en nous dévoilant le chemin de la béatitude. Pour l’année pastorale 2018-2019, au sein de l’Archidiocèse de Bangui, nous avons choisi de nous consacrer à la pratique du dialogue : le dialogue entre les chrétiens séparés, entre les religions différentes, entre les peuples, les ethnies, le dialogue avec notre environnement, tout cela afin qu’éclose sur notre terre la paix du Seigneur, la seule capable de favoriser le développement de tout notre être, de toute notre société.
Frères et sœurs,
Aujourd’hui, en ce jour d’intense ferveur spirituelle, je voudrais que nous contemplions Marie comme le modèle excellent du dialogue que l’humanité devrait entretenir avec le Seigneur.
1. « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent » Ps 84, 11
Les textes liturgiques de la messe de ce jour comportent deux dialogues. Dans la première lecture, le dialogue se déroule entre le Créateur et les premiers habitants du jardin d’Eden. Dans l’évangile, les protagonistes sont l’archange Gabriel et la Vierge Marie. C’est la scène que nous appelons communément « Annonciation ».
La conversation dont parle l’extrait du livre de la Genèse fait suite à la désobéissance au commandement du Créateur d’Adam et Eve, lesquels ont été séduits par la parole trompeuse du Serpent. Il s’agit donc d’une situation conflictuelle. Le verdict du Seigneur s’avère une parole de justice, une parole de paix. Un tel jugement n’est pertinent que parce qu’il repose sur la vérité. Dieu qui sait tout, lui qui sonde les cœurs et les reins (Jr 17, 10 ; Rm 8, 27), lui qui est plus intime à nous que nous mêmes comme le confesse Saint Augustin, ne prononce son verdict qu’après avoir pris le soin d’établir la Vérité.
Frères et sœurs,
Peut-on reconstruire une nation abîmée par des conflits endémiques et une culture de la haine sans filtrer toutes les entreprises par le tamis de la justice et de la vérité ? Ne bâtissons-nous pas sur du néant lorsque nous envisageons les solutions à nos maux sans avoir préalablement pris grand soin d’interroger, d’écouter en profondeur les uns et autres, de sonder les cœurs, de décortiquer les motivations, d’identifier les responsabilités ? Toute entreprise de renouveau qui méprise ou méconnaît la vérité n’équivaut-elle pas à une reconstruction sur des ruines au lieu d’une fondation solide ? Nous sommes-nous réellement investis pour faire la lumière sur tous les drames qui ont entaché notre histoire ? Rebâtir en laissant croître l’impunité et en ne considérant pas les appels bruyants et silencieux des pauvres, des victimes, n’est-ce pas desservir la vérité et la vie ? Avons-nous accepté de regarder frontalement nos plaies, nos laideurs, nos crimes, ou bien, nous sommes-nous dérobés du regard interrogateur du Seigneur et avons-nous frémi à l’écoute de son appel comme Adam ?
L’écoute de la voix du Seigneur a suscité l’angoisse d’Adam : « J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché », dit-il (Gn 3, 10). Comment se fait-il que cette voix audible dans le « bruissement d’un souffle tenu » (1 R 19, 12) soit capable de faire frémir l’homme ainsi que les éléments de la nature ? (Cf. Ps 28, 1-9)
Frères et sœurs,
Cette voix ne peut laisser indifférent parce qu’elle est la voix du Créateur devant qui tout genou fléchit (Cf. Ph 2, 10). Par elle tout a été fait et rien ne s’est fait sans elle (Cf. Jn 1, 3). Ce qui dans cette voix provoque la crainte d’Adam c’est le dard de la vérité, la morsure de la justice. Il arrive que la vérité et la justice fassent mal, raison pour laquelle l’on cherche à s’en détourner. Pourtant, de l’expérience d’Adam et Eve, nous pouvons attester le conseil du Psalmiste et admettre que tout dialogue naissant d’un projet d’amour et fondé sur la vérité engendre la véritable justice et la véritable paix.
2. Discerner l’appel à la vie dans la pluralité des voix
Notre monde est de plus en plus investi par une pluralité de voix qui peuvent embrouiller notre quête de libération et de développement intégral. Au milieu de ces nombreux appels autant fallacieux que charnels, il faut discerner et répondre à la voix de la vie, la vie selon l’Esprit. Ces innombrables rumeurs, ces appels à la haine, à la vengeance, au clivage, au mépris de l’étranger, au nationalisme pervers, ces séductions mensongères qui déforment le dessein de Dieu, peuvent nous parvenir de voix humaines, proches et lointaines, des médias ; elles peuvent être émises sur les réseaux sociaux, ces nouvelles fascinations de notre temps ; elles peuvent être dissimulées dans les appels politiques, les engagements partisans. Ces voix promeuvent la discorde et la séparation entre nos peuples, entre nos familles ; elles proposent un salut qui n’est qu’apparent, illusoire, immédiat, et qui, en réalité, conduit à la perdition. Méfions-nous des semences de la mort qu’on essaie de faire croître sur notre terre centrafricaine ; prenons garde aux levains mortifères qu’on s’évertue à établir dans nos esprits ; oui, ne nous fions pas aux appels à la réussite facile, au gain frauduleux, à la tricherie, à tous projets et holocaustes qui excluent Dieu en exaltant l’argent, la force, la violence.
Frères et sœurs,
Les extraits du livre de la Genèse et de l’évangile selon saint Luc mettent en scène deux messagers qui symbolisent respectivement l’appel à faire advenir la mort et l’appel à vivre la vraie vie : le serpent et l’archange Gabriel.
Le serpent est assimilé à Satan, celui qui divise et trompe. Il est intéressant de percevoir que la voix du Père du mensonge est lumineuse. C’est une lumière apparente, un faux éclat. Tout projet contraire au dessein du Seigneur nous paraît souvent sous une forme lumineuse, intéressante. Il est à même de nous préconiser un intérêt individuel, une jouissance personnelle qui, en dernier ressort fait périr la communauté, la société. Prenons garde à la séduction de tous ces faux éclats que Satan répand dans notre société pour nous perdre.
Contrairement à Satan, l’ange Gabriel est porteur d’un message de vie. Dans la conversation qu’il entretient avec Marie, nous découvrons que le projet de Dieu implique notre collaboration : Dieu fait de nous ses partenaires. Le projet de Dieu ne concerne pas la seule fille de Sion mais toute sa communauté : l’enfant « règnera sur toute la maison de Jacob ». Marie y adhère parce qu’elle privilégie le bonheur de son peuple.
Le dialogue de Marie avec le Seigneur est fécond dans la mesure où il éclaire la destinée de l’humanité.
3. Marie est comblée de grâce
Si l’on superpose les conversations du Serpent et Eve (Gn 3, 1 s) et de l’ange Gabriel et Marie, on découvre que la Vierge a pris le soin d’interroger son interlocuteur. Eve s’est fiée à la parole du Séducteur sans pour autant questionner la véracité de ses propos. Qu’y-a-t ‘il de particulier dans l’attitude de Marie qui interroge l’Archange : « Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ? »
Marie adhère au projet divin avec son intelligence attestant le premier commandement divin : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ton intelligence. » (Mt 22, 37)
Frères et sœurs,
L’intelligence est cette lumière dont Dieu nous a pourvus pour pouvoir lire au delà des choses apparentes et rechercher la vérité.
Le plus important dans l’attitude intelligente de Marie, c’est sa foi. Une foi authentique est celle qui sait écouter, garder et méditer à l’instar de Marie qui « gardait » et méditait dans son cœur les événements qu’elle vivait (Cf. Lc 2, 19. 51).
Frères et sœurs,
Grâce au témoignage de Marie notre Mère dont nous célébrons aujourd’hui la grande beauté, nous pouvons apprendre que l’unique élément de discernement de la vérité au milieu des voix de ce monde est la foi authentique, celle qui nous oriente vers le Seigneur. Nous apprenons que l’ouverture à la grâce facilite le dialogue avec Dieu et le rend fécond. L’exemple d’Adam et Eve nous apprend que ne pouvons pas fonder une œuvre de réconciliation sur le mensonge qui est destructeur. Satan exploite ces espaces d’ignorances, ces distances que nous établissons entre nous et le Seigneur, entre nous et nos prochains pour semer la parole de division, la parole de mort. Dans l’allégresse de Marie, nous comprenons que Dieu nous appelle à être des messagers de la vérité, des annonciateurs de la bonne parole qui donne vie.
Que Marie, Notre Dame de l’Oubangui, intercède pour nous, afin que nous soyons abondamment comblés des grâces de la solennité de l’Immaculée Conception et que nous nous engagions à les faire fructifier dans nos différents milieux de vie, pour la plus grande gloire de Dieu, amen !

Dieudonné Cardinal Nzapalainga
Archevêque Métropolitain de Bangui

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