DÉCLARATION DU COLLECTIF DES INTELLECTUELS ET PATRIOTES CENTRAFRICAINS SUR L’INCONSTITUTIONNALITÉ DE L’ACCORD DE KARTHOUM

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Le Forum national de Bangui, organisé en mai 2015 avec le concours de l’Union Africaine, des Nations unies et d’autres partenaires, avait défini, suite à une consultation populaire, des valeurs pour la reconstruction d’un avenir commun et à faire naître l’espoir d’un sentiment de citoyenneté.
«L’impunité zéro» a fait l’unanimité en tant que recommandation.
La Constitution du 30 mars 2016 a également pris en compte les principes fondamentaux inspirés des expériences passées, y compris celui de s’opposer à tout acte de division qui entretiendrait la haine et l’usurpation du pouvoir par la violence.
Malheureusement, les groupes armés en activité sur le territoire ont substitué au Forum national de Bangui de mai 2015 et à la Constitution du 30 mars 2016 la violence systématique, les trafics d’armes et la prédation de nos ressources naturelles, comme meilleurs moyens de se faire respecter et de s’accaparer du pouvoir par le biais d’un Accord.
A l’initiative de l’Union Africaine qui a associé les Nations Unies à ce projet, s’est tenue à Khartoum la négociation entre le gouvernement centrafricain et les groupes armés, ayant abouti à l’Accord de paix et de réconciliation nationale en Centrafrique, paraphé à Khartoum et signé à Bangui le 06 février 2019.
Cet Accord, truffé d’attrape-nigauds, jonché de sous-entendus et parsemé de périphrases alambiquées à dessein de brouiller le discours politique pour le rendre inaudible aux oreilles attentives et inaccessibles aux intelligences fines, afin de faire avaler des couleuvres au Peuple centrafricain.
Les malins génies de cette architecture, qui ne sont autres que les commanditaires de ces associations de malfaiteurs et d’assassins, à savoir la France, le Tchad, le Congo-Brazzaville, croyaient se servir de ce syllogisme sophistiqué pour abuser de la naïveté des Centrafricains. Mais l’intelligence active des Centrafricains a permis de démêler l’écheveau de cette mascarade pour révéler au grand jour les pièges contenus dans cet Accord dont les promoteurs, voulant reproduire l’Accord de Libreville II, visaient en réalité à réduire, comme on le craignait dans le communiqué de presse n°3 du 20 janvier 2019, la Magistrature suprême à n’exercer qu’un rôle purement protocolaire, alors qu’il s’agit des autorités légitimes issues des élections libres, transparentes, expression de la volonté populaire.
Plus grave, les groupes armés, après la signature de l’Accord de paix paraphé à Khartoum et signé à Bangui le 06 février 2019, n’ont de cesse de faire croire à des arrangements secrets, non expressément énoncés dans l’Accord officiel, qui sont susceptibles d’application.
Dans son Communiqué de presse n°3 du 20 janvier 2019, le Collectif des Intellectuels et Patriotes Centrafricains prévenait l’opinion nationale et internationale des risques d’engager le dialogue avec les groupes armés, les mercenaires, les bandits de grand chemin et les milices d’autodéfense, dont les revendications «non négociables et fantaisistes» portaient en elles les germes d’inconstitutionnalité, en même temps qu’elles étaient contraires aux lois et règlements de la République, ainsi qu’aux recommandations du Forum national de Bangui.
Le Collectif des Intellectuels et Patriotes Centrafricains s’interrogeait également sur la valeur juridique de l’Accord qui sortirait du dialogue avec ces groupes armés, imposé de l’extérieur au gouvernement, et sa place dans l’ordonnancement juridique national.
Beaucoup de Centrafricains ne cessent de se poser des questions sur la considération et l’importance que l’Exécutif attache à l’«Accord de paix de Khartoum», sous l’œil complaisant de l’Assemblée nationale qui, tacitement, le cautionne et le soutient, au lieu d’interpeler l’Exécutif, au nom du peuple qu’elle représente, pour des éclaircissements sur le contenu dudit Accord, pour voir s’il est en conformité avec la Constitution du 30 mars 2016, adoptée par le Peuple par référendum.
Le Collectif des Intellectuels et Patriotes Centrafricains, conscient de ses responsabilités devant l’histoire, devant le Peuple et devant la Nation, veut savoir si l’«Accord de paix de Khartoum» est-il mis en place pour suppléer à la Constitution? Les groupes armés ont-ils une place dans la Constitution, au regard de son article 28 qui dispose:
«L’usurpation de la souveraineté par un coup d’Etat, rébellion, mutinerie ou tout autre procédé antidémocratique constitue un crime imprescriptible contre le peuple centrafricain. Toute personne ou tout Etat tiers qui accomplit de tels actes aura déclaré la guerre au peuple centrafricain.
Toute personne physique ou morale qui organise des actions de soutien, diffuse ou fait diffuser des déclarations pour soutenir un coup d’Etat, une rébellion ou une tentative de prise de pouvoir par mutinerie ou par tout autre moyen, est considéré comme co-auteur.
Les auteurs, co-auteurs et complices des actes visés aux alinéas 1 et 2 sont interdits d’exercer toutes fonctions publiques dans les institutions de l’Etat» ?
Il est clair que les membres des groupes armés qui sont des criminels, des bandits de grand chemin et qui s’exercent à leur temps perdu au terrorisme dans les églises, les sites des déplacés et les camps des refugiés, ne peuvent faire partie d’aucun gouvernement de la République. Surtout quand on sait que cet Accord de paix est le 8ème concédé à ces assassins qui, bien qu’ayant été amnistiés à trois reprises et occupé des fonctions de ministres dans plusieurs gouvernements de la République, continuent de tuer, de torturer et de violer. Ces multirécidivistes qui n’ont plus le sentiment d’un humain parce qu’annihilés par la cruauté de leurs crimes dont l’atrocité est inégalée, relèvent d’une psychiatrie lourde, car ils n’ont plus de conscience humaine pour engager un dialogue avec l’autre, selon la loi d’une harmonie, et dans la quête d’un certain consensus de vérité. Lorsqu’une bête féroce a trempé sa langue dans du sang humain, elle ne peut plus s’en passer.
Les dispositions contenues dans l’article cité ci-dessus ont été dictées par les enseignements que le Peuple centrafricain a tirés des dures épreuves imposées à lui et à d’autres peuples africains et du monde par des rebelles, des mercenaires, des groupes armés créés, organisés et manipulés de l’extérieur à des fins de déstabilisation du pays, pour permettre une exploitation éhontée de ses ressources nationales.
La nature juridique de l’Accord de Khartoum pose également problème. Cet accord entre le gouvernement et les groupes armés, groupements de fait, non dotés d’une personnalité morale reconnue, évoluant en marge de la légalité, a été négocié dans un pays ami certes, mais étranger, sous l’égide de l’Union Africaine et des Nations Unies et d’autres organisations internationales, sous-régionales, avec l’implication directe de plusieurs Etats africains. Des sanctions internationales, dont la nature n’est pas précisée, sont également prévues par l’Accord de Khartoum, pouvant être engagées à l’encontre des parties qui ne s’y conformeraient pas.
Il en résulte que l’Accord de Khartoum comporte des engagements internationaux, à la charge des parties.
Des garants de l’application de cet accord y sont désignés: l’Union Africaine, la CEEAC, l’Union Européenne.
L’Union Africaine et la CEEAC sont, à travers leurs principaux dirigeants, sous l’influence du Tchad, principal pays à l’origine de toutes les crises et actions de déstabilisation du Centrafrique depuis près de 20 ans, tandis que la politique de l’Union Européenne pour le Centrafrique a toujours été orientée par la France, ancien pays colonisateur mais qui a toujours joué le Tchad contre la RCA, a laissé faire ou a cautionné tacitement, sans rien laisser paraître, des interventions militaires de ce pays voisin.
Pour revenir à l’aspect juridique de la question, l’Accord de Khartoum comporte des engagements internationaux et, par conséquent, doit se concilier avec les dispositions légales applicables en République centrafricaine, notamment les articles 91 et 93 de la Constitution qui prévoient que les accords et traités de paix, ceux qui engagent les finances de l’Etat, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs aux droits de l’homme, comme en l’espèce, sont soumis à ratification, après vérification de leur conformité à la Constitution par la Cour Constitutionnelle.
Selon les articles 93 de la Constitution, 59 à 62 de la loi n°17.004 du 15 février 2017 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, et 86 du Règlement intérieur de cette institution, les traités et accords internationaux visés aux articles 91 et 92 de la Constitution, doivent être déférés à la Cour Constitutionnelle avant leur ratification, soit par le président de la République, soit par le président de l’Assemblée nationale, soit par le président du Sénat, soit par un tiers des députés ou sénateurs.
Si la Cour Constitutionnelle constate la non-conformité d’une ou plusieurs clauses à la Constitution, ces engagements ne peuvent être ratifiés.
Si la Cour Constitutionnelle a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution, suite à l’avis émis en ce sens par la Cour Constitutionnelle. Agir autrement constituerait alors une haute trahison, passible devant la Haute Cour de Justice.
L’Accord de paix et de réconciliation nationale en Centrafrique, paraphé à Khartoum et signé à Bangui le 6 février 2019, non seulement ne prévoit pas en ses dispositions les passages obligés par la Cour Constitutionnelle et l’Assemblée nationale, mais se veut encore applicable directement, dès la signature. Cela apparaît comme une manière perfide de contourner la Constitution.
A l’instar de l’article 21 de l’Accord de Khartoum prévoyant la mise en place d’un «gouvernement inclusif», plusieurs articles vont également à l’encontre des dispositions de l’article 28, alinéa 3 de la Constitution. Dès lors, la question se pose de savoir si la Constitution est suppléée par l’«Accord de Khartoum» dans la gestion des pouvoirs publics?
Ce sont autant de questions qui nous interpellent et nous obligent à saisir la Cour Constitutionnelle pour demander son avis qui, seul, pourrait éclairer les Centrafricains qui ont mis en place cette loi fondamentale appelée à gérer les pouvoirs publics.
Le Collectif des Intellectuels et Patriotes Centrafricains
Ont signé:
-Sissa-Le Bernard Nzapa-A-Nai-Colo, Ambassadeur de Centrafrique, Philosophe;
-Sonny Pokomandji, Ingénieur de l’Aviation Civile, Ancien Ministre, Ancien Député;
-Gaston Mackouzangba, Ancien Ministre, Philosophe;
-Albert Panda Gbianimbi, Ancien Secrétaire Général à la Présidence de la République, Avocat au Barreau de Bangui.

Source: MEDIAS+ N°2098 du Jeudi 14 mars 2019

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