Coup d’Etat au Gabon : Sylvia Bongo, reine déchue de Libreville

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Récit

Coup d’Etat au Gabon : Sylvia Bongo, reine déchue de Libreville

Elle était la toute-puissante première dame aux côtés de son mari, Ali Bongo. Mais les excès de l’épouse française du chef d’Etat auront précipité la chute du régime. Balayant une dynastie qui a régné pendant plus d’un demi-siècle sur le pays.

Ali Bongo et Sylvia Bongo le 11 juillet au stade Nzeng-Ayong de Libreville, pendant la campagne électorale, avant le coup d’Etat.

par Maria Malagardis

Libération

publié le 16 septembre 2023 à 9h54

Elle était omniprésente, la voici invisible. Depuis le coup d’Etat du 30 août, qui a renversé Ali Bongo Odimba, Sylvia, son épouse, a disparu. On sait qu’elle fut l’une des premières personnalités du pouvoir arrêtée par les militaires à l’aube de ce jour qui a soudainement vu s’effondrer un régime en place depuis plus d’un demi-siècle. Depuis, elle aurait été assignée à résidence, au sein du Palais du bord de mer. Le siège de la présidence, qui longe l’Atlantique, dans la capitale Libreville.

Quatre jours avant le coup d’Etat, les Gabonais étaient appelés aux urnes. Ce 26 août, Sylvia Bongo, très active sur les réseaux sociaux, poste sur «X» (ex-Twittter), une photo d’elle et de son mari dans leur bureau de vote. Gabonaise d’adoption, née française à Paris, cette femme élégante de 61 ans affiche alors son plus beau sourire. «Ne laissons pas les autres décider pour nous», écrit-elle. Ce sera son dernier post. Une phrase étrangement prémonitoire. Mais pas dans le sens escompté par celle qui était devenue, surtout depuis cinq ans, la véritable reine du Palais du bord de mer. Les élections, une fois de plus truquées, auraient dû conforter son assise ? Visiblement, elle n’a rien vu venir.

C’est juste après la proclamation des résultats officiels du scrutin, divulgués en catimini à 3 heures du matin, que des officiers rassemblant tous les corps d’armée du pays, répondent à leur façon à l’injonction de «ne pas laisser les autres décider pour nous». Ils s’emparent d’une chaîne de télévision privée appartenant à la présidence, et annulent aussitôt un scrutin dénoncé comme frauduleux. Contre toute évidence, il donnait Ali Bongo vainqueur pour la troisième fois. Sous la houlette du général Brice Oligui Nguema, le chef de la garde républicaine qui deviendra président d’une transition censée durer deux ans, ces militaires ont mis un terme à la plus célèbre dictature monarchique d’Afrique centrale. Sans aucune effusion de sang.

Un train de vie de luxe

Bien au contraire, la foule les acclame. Et conspue tous les ténors du régime. Ali, arrivé au pouvoir en 2009 à la mort de son père Omar. Mais encore plus Sylvia et leur fils aîné, Nourreddin 31 ans, tous deux accusés de s’être emparés de la réalité du pouvoir au lendemain du terrible AVC qui avait foudroyé Ali Bongo en visite à Ryad en Arabie saoudite, le 25 octobre 2018. Selon plusieurs sources, le couple était alors au bord du divorce. Mais depuis cette date, la Française fait figure de régente qui contrôle tout.

Si au palais la propagande officielle tente de maintenir la fiction d’un président remis de son attaque cérébrale, les rares images d’Ali qui filtrent montrent un homme très diminué. Incapable par exemple de gravir les marches de l’Elysée sans perdre l’équilibre en novembre 2021.

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Sylvia arrive à 11 ans au Gabon, dans le sillage d’un père entrepreneur vite inséré dans le gotha local. Serait-elle victime du syndrome de l’étrangère à l’image de «Marie-Antoinette» ? En l’occurrence la blanche, accusée un peu vite de toutes les turpitudes d’une monarchie absolue africaine ? Celle identifiée à un clan familial, qui n’a jamais lésiné à puiser dans les caisses de l’Etat pour s’assurer un train de vie de luxe. A commencer par le patriarche, Omar Bongo au pouvoir pendant quarante-deux ans. Gérant ce petit émirat pétrolier, en principe richissime, comme une propriété privée, il laissera 54 héritiers, qui vont souvent se déchirer, se trahir, rejouant à leur façon «du Borgia sous les Tropiques», selon l’expression du journaliste et écrivain Vincent Hugeux qui consacrera un chapitre à Sylvia Bongo, dans un livre sur les premières dames africaines (1).

«A la différence de la vraie Marie-Antoinette, Sylvia ne s’est pas contentée de refaire la déco du palais présidentiel. Elle s’est révélée très active dans la gestion du pouvoir. Et elle est allée trop loin, constate un membre de la «famille», joint par Libération à Libreville. Elle a eu des positions agressives, elle a isolé le Président. Toutes les nominations passaient par elle. Sylvia s’est aliéné tout le monde. Sauf une petite clique, surnommée la “young team”, autour de son fils Nourreddin, qu’elle rêvait de voir un jour succéder à son père sur le trône présidentiel.» Ce proche d’Ali, par les liens de sang, n’avait plus accès à lui «qu’une fois par an et seulement pour une heure». La fratrie présidentielle, humiliation ultime, devait désormais demander la permission pour se recueillir sur la tombe du paternel, dans le mausolée érigé à Franceville, sa ville natale. Les relations de Sylvia étaient notamment détestables avec Pascaline, la fille aînée d’Omar qui en avait fait sa conseillère. Elle sera évincée dès l’accession d’Ali au pouvoir. Mais c’est son ex-mari, Jean Ping, qui a affronté Ali Bongo à la présidentielle de 2016, émaillées de violences inédites. Au Gabon, il faut croire que la famille est incontournable.

«Plus que du syndrome de Marie-Antoinette, Sylvia a souffert de celui des mères abusives, qui a déjà frappé d’autres épouses de présidents africains, singulièrement les étrangères. Comme Viviane, l’épouse française de l’ex-président sénégalais Abdoulaye Wade. En tentant de valider l’idée de la succession de son fils, elle avait précipité la chute du père, en 2012. Sylvia était dans la même obsession avec Nourreddin», constate Vincent Hugeux. Lequel concède tout de même qu’il «n’était pas évident de trouver sa place dans le clan des Bongo quand on est une femme blanche. Elle a dû certainement faire face à l’hostilité de ses belles-sœurs, a avalé bien des couleuvres face aux amis de son mari, parmi lesquels figurait le roi du Maroc qui lui était hostile. Elle jouait du coup la surenchère de l’africanité, à travers une implication dans des projets humanitaires tous azimuts».

«Déconnectés de la réalité»

Car Sylvia Bongo, ce fut aussi longtemps la face acceptable du régime. Un engagement effréné, à travers la fondation à son nom qui multipliait les projets censés protéger les femmes du cancer, des violences, de la malnutrition, du Sida, du veuvage. Mais cet activisme débridé n’était souvent qu’un mirage.

Derrière la façade des actions caritatives, dont elle faisait la promotion compulsive sur les réseaux sociaux, c’est tout un pays délabré qui dissimulait sa colère par crainte de la répression. «Le Gabon manque d’eau courante, même dans la capitale, les classes accueillent plus de 100 élèves, sans assez de chaises ou de tables», accusait régulièrement, ces dernières années, Laurence Ndong, opposante au régime, longtemps exilée à Paris, avant de devenir ce lundi ministre de la Communication du gouvernement de transition.

«Sylvia et son fils étaient déconnectés de la réalité du pays. Ils n’avaient aucune attache dans le terroir. Ils étaient si cupides, qu’ils ont même siphonné les fonds de la dernière campagne électorale. La veille du vote fin août, ils ont refusé de verser la prime promise aux militaires de la garde républicaine, qui était pourtant quasiment leur milice privée !» révèle le proche de la famille depuis Libreville. Lequel suggère sans détour que l’abus régulier de substances illicites a également pu altérer le jugement de ce premier cercle du pouvoir. «Nourreddin et ses amis ne pensaient qu’à faire la fête. On le nomme fin 2019, coordonnateur des affaires présidentielles, un poste crée pour lui. Deux ans plus tard, le poste est supprimé, il était trop borderline. Vous remarquerez que le fils est désormais poursuivi pour détournements de fonds et corruption active. Mais également pour trafic de stupéfiants. Or la cocaïne, c’est connu, rend agressif et procure un sentiment de toute-puissance», ajoute-t-il. Dans le chapitre de son livre, consacré à Sylvia Bongo, Vincent Hugeux rappelle un autre épisode : le 13 janvier 2011, la première dame arrive en jet privé au Bourget. De façon inattendue, ses bagages sont fouillés, «sac à main compris», par la police de l’air et des frontières. Dont les chiens renifleurs, auraient «déniché dans l’une des valises auscultées des traces d’une substance illicite».

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Ces dernières années, l’ex-première dame préférait pourtant les rives de la Tamise à celles de la Seine. Non pas tant à cause de cet incident, mais bien plus en raison de la curiosité des juges français, chargés depuis 2010 de l’enquête sur les «biens mal acquis» dans plusieurs pays africains, dont le Gabon. Le patrimoine immobilier des Bongo dans l’hexagone a récemment été évalué à 85 millions d’euros. Mais les juges avaient dès 2011 révélé que l’épouse du Président aurait dépensé, en un an, la bagatelle d’1 million d’euros dans les boutiques d’Hermès et du joaillier Van Cleef and Arpels.

Les masques sont tombés

Au lendemain du coup d’Etat, plusieurs perquisitions ont eu lieu, ciblant particulièrement les réseaux de Sylvia Bongo et de son fils. Les internautes ont largement commenté, avec une jubilation vengeresse, les images de l’aîné, un peu hagard, vêtu d’un tee-shirt à l’effigie de Bambi, aux côtés de son «directeur de cabinet» Ian Guislain Ngoulou. Tous deux incapables d’expliquer le contenu exhibé face aux caméras : des valises remplies de billets, d’une valeur totale de 6 millions d’euros. Dans une autre villa, appartenant à Sylvia, 200 milliards de francs CFA (soit 304 millions d’euros) en cash auraient été retrouvés. Mais dans ce cas, aucune image n’a filtré. «Il y a une grande part de mise en scène médiatique dans ces perquisitions. Le gouvernement de transition choisit qui il veut épingler sur la place publique. Nourreddin et ses potes ont humilié tant de gens. A commencer par le général Olingi Ngema, dont ils se méfiaient et qu’ils prévoyaient de limoger à l’issue des élections», souligne Bernard Christian Rekoula, un célèbre activiste de l’environnement aujourd’hui réfugié en France.

Le silence qui entoure Sylvia signifie-t-il qu’elle sera épargnée ? Beaucoup de Gabonais s’interrogent sur la discrétion qui entoure sa détention. Dès le lendemain du coup d’Etat, deux avocats français ont déposé une plainte à Paris pour dénoncer son arrestation. Mais pour les nouveaux maîtres du pays, le sujet est délicat en raison de l’impopularité de la troisième épouse de l’ex-président. Lequel n’avait pas encore formellement divorcé de son union précédente, avec une Afro-Américaine, lors de son mariage avec Sylvia, célébré à une date restée imprécise.

Des négociations ont certainement lieu en coulisse pour décider du sort de l’ex-première dame. D’autant qu’à la différence du Niger, où un putsch militaire a également eu lieu, un mois avant celui du Gabon, les relations avec Paris sont plutôt bonnes. Interrompue pendant quelques jours, la coopération militaire avec un pays qui abrite l’une des quatre bases françaises en Afrique a été rétablie cette semaine.

Reste que les masques sont tombés. Et quel que soit son sort, la reine déchue aura tout le loisir de méditer sur ce destin qui l’a fait passer de la jeunesse dorée et insouciante d’un pays de cocagne, érigé en symbole de la Françafrique, à épouse d’un «fils de» dont la légitimité n’a jamais été acceptée par les Gabonais. Refusant de comprendre que jamais une Française, même bien insérée, ne pouvait durablement dicter sa loi à un pays africain.

(1) Reines d’Afrique de Vincent Hugueux, éditions Perrin, 2014.

Mise à jour le 18 juin à 9 h 45 Une étourderie nous a fait écrire «200 000 milliards de francs CFA» retrouvés dans une villa de Sylvia Bongo. Il s’agit de «200 milliards», ce qui représente bien 304 millions d’euros.

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