Côte d’Ivoire, Centrafrique, Burkina… Ari Ben-Menashe, lobbyiste des pays en crise

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POLITIQUE

Côte d’Ivoire, Centrafrique, Burkina… Ari Ben-Menashe, lobbyiste des pays en crise

Le lieutenant-colonel Damiba, Nabil Karoui, Denis Sassou Nguesso, Laurent Gbagbo, le général « Hemetti »… Tels sont quelques-uns des clients de cet obscur lobbyiste israélo-canadien aux méthodes discutables.

WASHINGTON, CAPITALE DU LOBBYING AFRICAIN (3/4)
• Dans ce troisième volet de notre enquête consacrée aux coulisses du lobbying africain à Washington, Jeune Afrique se penche sur l’homme d’affaires Ari Ben-Menashe, qui, ces vingt-cinq dernières années, a travaillé un peu partout sur le continent.
• Ses clients ont souvent le même profil – des hommes politiques en difficultés ou des États en crise recherchant désespérément un soutien international –, et ses méthodes sont pour le moins sujettes à caution.

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À l’autre bout du fil, assis dans ses bureaux montréalais, Ari Ben-Menashe parle avec le même débit monotone quelles que soient les questions posées. Le timbre de la voix est rocailleux, les réponses pleines de roublardise. « Je ne veux pas entrer dans les détails » ; « Je ne me rappelle pas précisément » ; « Je ne peux pas en parler », lâche-t-il simplement dès qu’une question l’agace.

Né en Iran l’année où le Premier ministre Haj Ali Razmara est assassiné par balles et où le Parlement nationalise le pétrole, Ari Ben-Menashe, 71 ans, est un homme d’affaires israélo-canadien dont le parcours est fait d’intrigues internationales et de millions de dollars.

Selon son CV officiel ciel, dont la véracité est mise en doute par plusieurs personnes ayant croisé un jour sa route, il a été agent du renseignement militaire israélien, puis conseiller sécurité du Premier ministre Yitzhak Shamir de 1987 à 1989. Cette année-là, il est arrêté aux États-Unis, accusé d’avoir tenté de vendre trois avions militaires à l’Iran, en violation de la loi américaine sur le contrôle des exportations d’armes. Ben-Menashe clame alors qu’il agissait sur ordre de ses supérieurs en Israël. Après avoir passé près d’un an en prison à New York, il est jugé et acquitté.

Finalement lâché par l’État hébreu, Ari Ben-Menashe déménage au Québec avec sa nouvelle épouse canadienne en 1993. Et installe à Montréal son cabinet Dickens & Madson avec lequel il va développer ses activités de lobbyiste.

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Zambie, Ghana, Zimbabwe, Afrique du Sud, Sénégal, Côte d’Ivoire, Cameroun, Libye, RDC, Congo, Soudan, Tunisie, Burkina Faso…. Ces vingt-cinq dernières années, il a travaillé un peu partout sur le continent. Ses clients ont toujours un peu le même profil : des hommes politiques de seconde zone et des États en crise recherchant désespérément un soutien international.

En 2002, Ari Ben-Menashe fait les gros titres de la presse internationale lorsqu’il affirme que l’opposant zimbabwéen Morgan Tsvangirai l’a approché pour organiser l’assassinat du chef de l’État Robert Mugabe. Le lobbyiste remet même un enregistrement à Mugabe qui sera l’une des principales pièces à conviction du procès intenté pour trahison contre Tsvangirai, au cours duquel Ari Ben-Menashe jouera le rôle de témoin vedette de l’accusation. Condamné en première instance, l’opposant sera acquitté deux ans plus tard. Entre-temps, Ben-Menashe aura signé un contrat avec le gouvernement du Zimbabwe à hauteur de 225 000 dollars. En septembre 2004, à l’expiration du contrat, il aura finalement touché 356 000 dollars.

Un contrat à 6 millions de dollars avec Gbagbo

On retrouve sa trace quelques années plus tard dans le bureau de Laurent Gbagbo. À quelques mois du premier tour de l’élection présidentielle, fixé au 31 octobre 2010, Ari Ben-Menashe a une proposition alléchante à faire au chef de l’État ivoirien. Le lobbyiste sort le grand jeu. Il fait miroiter à Gbagbo un programme visant à stabiliser le pays : la création d’une nouvelle garde présidentielle formée par 2000 mercenaires zimbabwéens et la livraison de 20 hélicoptères Kamov Ka-50/51 (Black Shark) en provenance de Russie.

En mai 2010, un contrat de lobbying est !nalement signé entre Dickens & Madson et la présidence ivoirienne pour un montant de 6 millions de dollars. Laurent Gbagbo charge alors Kassoum Fadiga, directeur général de Petroci marié à la sœur de Nady Bamba, la seconde épouse du chef de l’État, de trouver les fonds.

« Nous avons fait un gros travail en Côte d’Ivoire. Après l’élection, nous avons conseillé à Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir mais il a refusé », élude de son côté Ben-Menashe, assurant avoir touché bien plus que les 6 millions prévus. « Je n’ai jamais vendu d’armes. Mon travail consistait simplement à mettre en contact des pays qui en avaient besoin et d’autres qui souhaitaient en vendre », précise-t-il.

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En regard des témoignages de ses anciens clients, le récit de l’homme d’affaires semble truffé d’incohérences et d’inexactitudes. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, la version des proches de Laurent Gbagbo est bien différente. « Le contrat de lobbying n’a rien donné. Le président utilisait d’autres réseaux en même temps, notamment ceux de sa directrice de cabinet adjointe. C’était devenu inefficace », explique un ancien collaborateur de l’ex-président ivoirien.

Selon cette même source, Kassoum Fadiga aurait remis à Ben-Menashe une avance de 2 millions de dollars. Ne voyant aucune action prévue dans le contrat se réaliser, il décidera de cesser les versements et d’engager des procédures pour récupérer la somme avancée. Après la chute de Laurent Gbagbo, Fadiga s’exilera au Ghana, tout en continuant pendant plusieurs années à essayer de mettre la main sur Ben-Menashe. En vain. Le lobbyiste deviendra de son côté propriétaire d’un appartement à New York.

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Quelques mois après la signature de son contrat avec Laurent Gbagbo, il est introduit auprès de François Bozizé par l’homme d’affaires franco-israélien Philippe Salomon Hababou, à l’époque consul honoraire de Centrafrique. Accompagné de l’avocat canadien Jacques Bouchard Jr., il soumet à Bozizé une offre de coopération de la Russie, avec la livraison d’au moins une douzaine d’hélicoptères de combat. À la clé, un contrat de 4 millions de dollars, mais aucun hélicoptère livré.

En mai 2019, le lobbyiste signe un contrat de 6 millions de dollars avec le général Mohamed Hamdan Daglo, dit « Hemetti ». Le numéro deux du régime soudanais cherche alors à redorer son blason à l’international. « L’affaire a mal fini pour lui. Il n’a tenu aucune de ses promesses et est désormais persona non grata », explique une source bien informée. « Nous avons essayé de pousser les militaires à rendre le pouvoir aux civils », répond l’intéressé.

Scandale à Tunis

Toujours courant 2019, Ari Ben-Menashe est présenté à l’épouse de Nabil Karoui, candidat à la présidentielle en Tunisie, par l’avocat de celui-ci, Mohamed Zaanouni. Un contrat de lobbying de 1 million de dollars est établi. Ben-Menashe a déjà touché une avance de 250 000 euros quand la publication du contrat sur le site du département d’État américain fait polémique à Tunis, où tout lien avec Israël est encore mal vu. Devant l’ampleur du scandale, l’équipe Karoui fait marche arrière.

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Quelques mois après la prise de pouvoir de Paul-Henri Damiba, en janvier 2022, Ari Ben-Menashe est présenté au chef de la junte par des hommes d’affaires burkinabè. Après plusieurs rencontres à Ouagadougou, il scelle, en juin, un contrat de 500 000 dollars, avec comme mission principale de débloquer l’aide américaine.

Le lobbyiste tentera d’organiser des interviews entre Damiba et quelques médias internationaux, dont Jeune Afrique. Mais en septembre 2022, le militaire est renversé par un nouveau coup d’État. Ayant déjà touché l’intégralité des 500 000 dollars, Ben-Menashe assure qu’il continue de travailler avec les autorités burkinabè malgré le changement de régime. Pourtant, dans l’entourage du capitaine Ibrahim Traoré, personne ne semble le connaître.

Insaisissable Ari Ben-Menashe. Au téléphone, il déclare que son contrat avec Denis Sassou Nguesso a pris fin il y a trois ou quatre ans. La présidence du Congo-Brazzaville faisait pourtant partie, le 28 janvier 2023, de la liste officielle de ses clients enregistrés à Washington. Avant de raccrocher, Ari Ben-Menashe tient absolument à préciser qu’il travaille avec d’autres gouvernements africains. Mais bien sûr, il ne peut pas
en dire plus. « Trop sensible. »

Jeune Afrique

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