Journaliste scrupuleux et engagé, l’ancien chroniqueur religieux du « Monde », âgé de 74 ans, est mort dimanche soir, emporté par le Covid-19.
Par Jérôme Cordelier
« Un dimanche de larmes. » Alors qu’il prononçait cette homélie lors de « sa » messe à Sainte-Marthe, relayant à notre monde en détresse les pleurs de tendresse de Jésus-Christ, le pape François ignorait évidemment que, quelques heures plus tard, ce dimanche de larmes, le Covid-19 emporterait l’un des plus vifs observateurs du monde catholique. Le journaliste Henri Tincq est mort ce dimanche 29 mars au soir, à 74 ans, frappé lui aussi par le virus, et la nouvelle qui vient de nous parvenir saisit.
Il était tellement vivant, Henri Tincq ! Journaliste précis et engagé, formé à l’école exigeante de La Croix, il fut, tel un pape, l’inamovible chroniqueur religieux du Monde de 1985 à 2008, dégainant plus vite que son ombre des kilomètres de signes pour raconter les coulisses de l’Église, ciseler quelques portraits parfois acides, souvent justes, de ses serviteurs et décocher des analyses factuelles, pédagogiques et distantes. C’était une signature, Tincq, qui s’affichait très souvent à la une du quotidien de la rue des Italiens, comme l’on disait alors, et faisait trembler parfois les colonnes du Bernin sur la place Saint-Pierre.
Lire le grand entretien que nous avait accordé Henri Tincq en 2018 : « Une partie de l’Église se droitise, voire s’extrême droitise »
Intrépide
« N’ayez pas peur ! » Comme André Frossard, du Figaro, Henri Tincq avait été lui aussi transporté par ce cri qui bouleverserait le monde et chamboulerait l’Histoire, lancé le 22 octobre par le premier pape slave, venu de la Pologne meurtrie par les plus sanglants totalitarismes du XXe siècle, le nazisme et le stalinisme. Karol Wojtyla devenu Jean-Paul II, surnommé « l’athlète de Dieu, de son énergie intrépide et son large sourire, allait enflammer le monde, multipliant les voyages pontificaux jusqu’aux contrées les plus lointaines, sanctifiant à tour de bras, mobilisant les foules et en premier lieu les jeunes, « la génération Jean-Paul II » s’épanouissant aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ), séduisant les médias, et se dressant contre le communisme aux côtés d’un petit électricien de Gdansk nommé Lech Walesa, à la tête du syndicat Solidarnosc…
Et Henri Tincq, l’enfant du Nord, né dans le bassin minier, à Fouquières-lès-Lens, le 2 novembre 1945, tiendra de ces années galvanisantes une chronique rigoureuse, et souvent enthousiaste, comme il le fera en suivant un autre règne fécond, un autre destin hors du commun, celui du cardinal Jean-Marie Lustiger, à la tête du diocèse de Paris.
Las, ce catho de gauche, fidèle jusqu’au bout à ses convictions de jeunesse, aura du mal à supporter les révélations sur la multitude de crimes sexuels couverts par le (trop) « santo subito » Jean-Paul II – notamment ceux de l’ignoble père Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ – et celles sur les mœurs de princes de l’Église révélées par le journaliste Frédéric Martel, dans Sodoma, sulfureuse enquête à laquelle Henri Tincq apportera son soutien.
« On assiste à un effondrement du système de pouvoir catholique »
Dans son dernier livre publié en octobre 2019, qui aujourd’hui fait tragiquement figure de testament, Vatican, la fin d’un monde (éditions du Cerf), Henri Tincq confiait son mea culpa sur cette part d’ombre des pontificats de Jean-Paul II et Benoît XVI qu’il n’avait pas su, comme tant d’autres, déceler. « On assiste à un effondrement du système de pouvoir catholique, nous disait-il alors. Ce qui est en jeu, c’est une terrible crise morale nourrie par des révélations de crimes sexuels sur des enfants, sur des séminaristes et même sur des religieuses, et par des allégations de double vie de cardinaux, d’évêques, etc. À cette crise de moralité s’ajoutent une crise de gouvernance, puis une crise doctrinale. C’est une crise globale, systémique, comme dit le pape François lui-même. L’Église demeure et restera cette communauté de personnes croyant dans les Évangiles et le Christ. Mais l’enjeu de la crise catholique aujourd’hui est la fin d’un système de pouvoir. Un système clérical, patriarcal, romain, machiste, sexiste, incarné par un gouvernement et un pape, dit infaillible, qui n’a de comptes à rendre qu’à Dieu. »
Jusqu’au bout, Henri Tincq sera resté un journaliste scrupuleux, traquant l’anecdote signifiante et sachant mettre en perspective les faits dans des analyses précises. Il fut aussi un homme sensible – parfois susceptible – et attachant, souvent à fleur de peau, au regard précis et au sourire lumineux. Il y a quelques jours encore, pour des chroniques régulières qu’il nous livrait au Point, il s’enthousiasmait encore pour l’ordination d’hommes mariés à la prêtrise, l’ouverture des archives de Pie XII sur la guerre, les combats du pape François, chez qui il retrouvait des accents de Jean-Paul II. Car Henri, en bon fils de l’Espérance, ne désarmait jamais. Sauf face à ce virus, tueur en série d’une autre mondialisation…
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Le Point