COOPÉRATION CENTRAFRIQUE RWANDA: QU’ATTENDENT LES CENTRAFRICAINS DE LA VISITE DU PRÉSIDENT RWANDAIS PAUL KAGAMÉ Á BANGUI?

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La visite officielle du président du Rwanda à Bangui ce mardi 15 octobre 2019 est certes la bienvenue parce que c’est un frère africain qui vient chez nous, quelqu’un dont le pays qui a connu la guerre civile avec son corollaire le génocide, mais surtout quelqu’un qui lutte pour la dignité de son pays et de ses compatriotes, contrairement à Touadéra qui livre son peuple aux caprices et à la merci des mercenaires, des prédateurs, égorgeurs et éventreurs qui viennent de partout et qui profitent des ressources naturelles du pays, à son indifférence. Nombre de Centrafricains que nous avons interrogés espèrent que l’entretien entre les deux frères présidents africains, donne l’occasion au président Kagamé de partager son expérience politique qui a fait du Rwanda ce qu’il est devenu aujourd’hui, après avoir traversé une très sombre histoire marquée par le génocide d’avril-juillet 1994 qui a fait plus de 8 000 morts, entre les deux principales ethnies du pays, à savoir les hutus et les tutsis.

Paul Kagamé et Faustin-Archange Touadéra ont cinq choses en commun:
1-ils sont tous deux nés la même année 1957, et donc ont le même âge (62 ans); néanmoins, le grand-frère s’appelle Touadéra;
2-ils sont tous deux issus d’une ethnie ultra-minoritaire dans leur pays: le tutsi Kagamé et Touadéra ngbaka-mandja;
3-leurs pays sont enclavés, sans accès direct à la mer;
4-leurs pays ont connu des crises politiques profondes caractérisées par la haine ethnique et confessionnelle, avec des machettes (balaka) qui ont été utilisées comme armes de destructions massives aux temps forts de leurs conflits internes;
5-leurs conflits internes sont le fruit d’une manipulation savamment orchestrée par des puissances étrangères et notamment la France qui a préparé, planifié, équipé et armé les groupes rivaux les uns contre les autres.
De l’avis de certains spécialistes, au cœur de la visite de Kagamé à Bangui il y a la volonté des deux chefs d’Etat d’échanger sur des questions éminemment politiques, économiques et financières, sécuritaires, diplomatiques et stratégiques, qui visent à renforcer la coopération entre les deux pays d’une part, mais surtout à aider la RCA à sortir sa tête de l’eau, d’autre part, face aux velléités impérialistes et néocolonialistes de certains pays occidentaux bien connus.

Il convient par ailleurs de préciser que la coopération entre les deux pays ne date pas d’aujourd’hui. Tous ces pays coopèrent déjà dans le cadre des organisations régionales et internationales dont ils sont membres (CEEAC, Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs, Francophonie, Union africaine, ONU, ACP…).
Les deux pays sont unis par un Accord de coopération globale signé en 1997 sous le président Ange-Félix Patassé.
Depuis cinq ans, le Rwanda est présent de façon permanente en RCA avec ses troupes dans le cadre de la MINUSCA.

C’est le 3è pays grand pourvoyeur de troupes, avec 1.300 militaires et policiers actifs. Il prête main forte à la RCA par la formation des forces armées centrafricaines, la sécurité rapprochée des présidents Catherine Samba-Panza sous la transition puis Touadéra depuis 2016, ainsi que la protection du palais présidentiel et la résidence privée du chef de l’Etat à Boy-Rabé.
Ce n’est donc pas aujourd’hui que le Rwanda de Kagamé montre sa disponibilité pour appuyer la RCA et son peuple sur le plan sécuritaire. Mais, après sa visite en RCA, est-ce qu’il y’aura un changement par rapport à la situation sécuritaire du pays? Telle est la question qui préoccupe les Centrafricains et les observateurs de la vie nationale.
Compte tenu de l’expérience de Kagamé qui a fait de son pays post-guerre un pays stable, développé, respectable et respecté sur la scène internationale, Touadéra jouera certainement au bon élève qui a quelque chose à apprendre d’un plus expérimenté et connaisseur que lui. Les conseils de Kagamé à Touadéra ne seront donc que les bienvenus parce que, il faut le reconnaître, le pays risque de traverser une zone de turbulence avant les élections générales de fin 2020.
Les autorités centrafricaines mettront à profit le bref passage de Kagamé à Bangui pour s’inspirer du modèle rwandais et notamment les stratégies mises en œuvre pour restaurer et consolider la paix, la sécurité, la stabilité, pour ensuite enclencher le relèvement et la prospérité du Rwanda que même les grands voisins RD-Congolais et ougandais respectent.
Touadéra en particulier aura le privilège de profiter du modèle rwandais de sortie de crise, cette crise qui avait défrayé la chronique notamment avec l’histoire de «l’holocauste rwandais», selon l’heureuse expression des Américains qui étaient les tout premiers à alerter l’opinion mondiale sur ce que les Français et Belges ont semé dans ce pays pauvre que personne n’enviait dans les années 60 à 90.

Beaucoup n’ont de cesse crier haut et fort pour que les autorités politiques du pays s’asseyent autour d’une table ensemble avec les forces vives de la nation pour chercher des pistes et proposer des solutions idoines de sortie de crise. Il est surtout question de restaurer l’autorité de l’Etat sur toute l’étendue du territoire national afin que le peuple centrafricain épris de paix puisse aspirer à une nouvelle ère de paix dans son petit coin. Malheureusement, nos dirigeants politiques ne visent que leurs intérêts égoïstes au détriment de l’intérêt national.
Si aujourd’hui le Rwanda est arrivé à la stabilité, à la croissance et à la fréquentabilité après la crise qui avait secoué le pays dans les années 1992 à 1994, c’est parce qu’il y’a eu une réelle volonté politique et la détermination des autorités politiques rwandaises de rompre avec la médiocrité, le tribalisme, la prédation, le laisser-aller, la discrimination, le complexe d’infériorité, le déni de l’histoire, la honte de soi-même, la peur de l’autre et surtout de l’homme blanc, le laxisme, la paresse…

Ce n’est pas par un coup de baguette magique que les Rwandais ont réussi à sortir leur pays du gouffre qui avait également occasionné plusieurs pertes en vies humaines dans cet Etat. Et donc, rien que par la concertation et la concorde nationale autour de l’essentiel, la volonté politique des princes qui nous gouvernent d’opérer une véritable « rupture », la République centrafricaine finira par sortir de cette sale crise qui a fait son lit dans le pays.
Mais a-t-on vraiment besoin de la visite de quelques heures de Kagamé à Bangui pour voir clair dans nos affaires? Les solutions de sortie de crise ne sont-elles pas à notre mesure? A quoi auraient servi tous les bons conseils du demi-dieu tutsi Kagamé si le pays est dirigé par des orgueilleux et autistes qui pompent de l’air pour rien alors qu’ils n’ont rien dans la tête, à l’instar de ces leaders et combattants des groupes armés dont le niveau de compréhension et la culture générale, administrative et institutionnelle est excellemment médiocre et fait honte?
Toutes les expériences, tous les trucs et astuces qui nous seront partagés ou communiqués par le Roi du Rwanda ne serviront à rien tant que l’ego surdimensionné de Touadéra et ses gens sera l’étalon de la politique centrafricaine. Car, on en a vu et constaté pendant les multiples visites de Touadéra à Vatican où il a eu plusieurs têtes-à-tête avec le Pape François qu’après son retour de Rome, quelque chose allait changer, que les hostilités allaient prendre fin en Centrafrique. Malheureusement, tout ce qui était sorti de la bouche du n°1 de l’Eglise catholique au monde était tombé dans les oreilles de sourds, et ce sont paradoxalement les adeptes de la religion du pape qui sont devenus les cibles privilégiées des groupes armés envers qui Touadéra continue de tendre les mains et de gratifier des millions de FCFA et de hautes fonctions d’Etat lucratives.
Dans un pays où le calvaire est légalisé par les dirigeants qui ne sont par ailleurs pas à la hauteur de leur mission, la crise ne finira jamais. Ceux qui ont pris le pays en otage vont toujours rêver de renverser le chairman et de prendre le pouvoir.

La visite du président Kagamé en Centrafrique va certes nous édifier mais cela ne peut ni ne doit pas occulter deux tristes réalités:
Primo, depuis l’après prise de fonction de Touadéra, aucun chef d’Etat africain n’a effectué une visite d’Etat, une visite officielle ou une visite de travail à Bangui. C’est le président Touadéra qui a l’habitude de se déplacer pour aller chez les autres présidents, ce qui ne l’honore pas. Plusieurs fois, c’est Touadéra qui est allé aux deux Congo, au Tchad, au Cameroun, au Gabon, en Guinée équatoriale, au Soudan, au Rwanda, en Guinée Conakry, en Ethiopie, en Afrique du Sud… Mais jamais les chefs d’Etat des pays précités et d’autres pays africains ne se sont déplacés ne serait-ce que pour une visite éclair à Bangui. Où est notre dignité?
Secundo, le Rwanda de Kagamé n’est pas un modèle de démocratie, de justice, des libertés, des droits de l’homme… Le Rwanda, c’est le pays de la dictature d’une minorité ethnique imbue d’hégémonisme sur la majorité sociologique, ainsi que de mandats présidentiels illimités.
Bienvenue à Kagamé mais il y a à craindre qu’il inocule à son stagiaire les germes de l’ethnofascisme, de la dictature, de la fraude électorale, du déni de démocratie et des droits de l’homme.
Wait and see.

Sosthène Daradou, MEDIAS+

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