Contre l’influence russe en Afrique, Macron envoie ses cybercombattants

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Contre l’influence russe en Afrique, Macron envoie ses cybercombattants

Paris s’est engagé dans une lutte informationnelle qui mobilise notamment les diplomates. Si beaucoup se montrent frileux, d’autres s’engagent pleinement pour défendre l’image de l’Hexagone sur le continent.

L’une enchaîne les publications festives entourée de célébrités locales, l’autre multiplie les bras de fer contre « les professionnels de la manipulation et du populisme ». Dans des exercices de style aux antipodes, Anne-Sophie Avé et Sylvain Itté incarnent la nouvelle stratégie diplomatique de la France en Afrique. En perte d’influence sur le continent face à la flambée des discours souverainistes teintés d’un sentiment de rejet de l’Hexagone, le Quai d’Orsay a récemment musclé sa manière de communiquer, notamment pour faire face à Moscou, très offensif sur le terrain de la guerre informationnelle.

Le virage s’opère à la fin de 2019. Alors que se tient le premier sommet Russie-Afrique à Sotchi, des figures comme la Suisso-Camerounaise Nathalie Yamb, déjà connue sur le continent pour son militantisme, prennent une envergure nouvelle. Appuyée par celle que l’on surnomme désormais « la dame de Sotchi » et d’autres relais à la popularité grandissante, la stratégie d’influence de Moscou en Afrique devient, pour Paris, un sujet de premier plan.

« Nous avons besoin d’avoir des instruments de communication qui disent quand la France est attaquée à tort, qui disent ce que fait la France et qui relaient notre action : l’action de nos écrivains, de nos artistes, de nos sportifs et de nos diplomates. Aujourd’hui, on subit trop, ou on ne fait pas assez. C’est donc un changement de conception profond, d’organisation et d’outils », martèlera Emmanuel Macron à l’occasion de son discours aux ambassadeurs au mois de septembre 2022.

Si Balard – où sont regroupés l’essentiel des états-majors de l’armée française – s’est déjà engagé sur le terrain de la lutte informationnelle, le Quai d’Orsay lui, rechigne en à en faire autant. « Nous avons beaucoup attendu avant de se saisir de cette question. Pendant longtemps, nous avons minimisé l’importance de certaines campagnes sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui encore, et alors même que les enjeux sont pris très au sérieux à l’Élysée et au ministère des Affaires étrangères, de nombreux diplomates se demandent s’il faut entrer dans l’arène, quitte à se salir et à mettre en lumière nos détracteurs », détaille une source au Quai d’Orsay, qui a requis l’anonymat.

Incarner la communication

Deux d’entre eux, pourtant, n’hésitent pas à aller au front : Sylvain Itté, ambassadeur au Niger depuis septembre dernier, et Anne-Sophie Avé, qui représentait la France au Ghana. En septembre, cette dernière a succédé au premier en tant qu’ambassadeur pour la diplomatie publique française en Afrique. Un poste créé en novembre 2019, soit à peine un mois après le sommet Russie-Afrique, et dédié à promouvoir l’action de la France sur le continent ainsi qu’auprès de la diaspora.

Financement de formations professionnelles, distribution de livres Martine à l’école à des élèves, visite virtuelle de l’ambassade du Ghana : en la matière, Anne-Sophie Avé verse tous azimuts dans la « communication positive ». En plus de relayer ses actions diplomatiques, elle multiplie les publications personnelles, se montrant en train de chanter du Whitney Houston, exhibant sa nouvelle coupe de cheveux ou célébrant son anniversaire aux côtés de célébrités ghanéennes. Ce positionnement, qui lui vaut d’être suivie par plus de 136 000 personnes sur son compte Instagram, pose la question du mélange des genres.

« De quelle influence parle-t-on ? Ce n’est pas tout d’être très suivie sur les réseaux sociaux, la vraie question est de savoir quel impact cette surexposition a réellement sur l’image de la France en Afrique. Est-ce que ce genre de publications, qu’on peut juger hors-sol, redore vraiment l’image de l’Hexagone ? » interroge un chercheur spécialiste des relations entre la France et l’Afrique. « Longtemps, nous avons été trop prudents, trop pudiques dans notre communication. J’ai le sentiment que depuis que nous mettons en avant la coopération entre la France et les pays africains, de plus en plus de gens viennent alimenter le contre-narratif face aux fausses informations et attaques répétées contre nous », répond l’intéressée.

« Consigne a été donnée aux ambassadeurs d’incarner leur communication, d’écrire à la première personne, d’a%cher leur visage sur les réseaux sociaux. Nous avons estimé qu’il fallait montrer qu’il y avait des êtres humains derrière les comptes de la diplomatie française, afin de montrer qu’une ambassade n’est pas juste un grand bâtiment froid entouré de barbelés », abonde un autre interlocuteur au Quai d’Orsay.

Fake news et contre-attaques

Pour regagner en influence, la communication positive ne su%t pourtant pas, et depuis qu’elle a pris ses nouvelles fonctions, Anne-Sophie Avé a adopté un ton beaucoup plus offensif. Sur le continent africain, le rapport de force a basculé à grands renforts de campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux. La diplomatie française a donc décidé de « rendre les coups », selon les mots d’un diplomate en poste sur le continent.

« Certains faiseurs d’opinion, dont nous savons qu’ils sont financés par la Russie, ont fait de la désinformation un business. Une partie de notre travail consiste désormais à identifier les fake news, à prendre le temps de les démonter et à répliquer en exposant la vérité », résume Anne-Sophie Avé.

Pendant longtemps en effet, Paris n’a pas répondu aux attaques menées par les chantres de l’anti-impérialisme et les usines à trolls. Si certains ambassadeurs à la retraite, comme Nicolas Normand, un temps en poste au Mali, ou d’anciens militaires n’hésitent pas à monter au créneau, quitte à verser dans une autre forme de populisme, nombre de diplomates en poste se montrent encore frileux lorsqu’il s’agit d’aller ferrailler sur les réseaux sociaux.

Sylvain Itté n’est pas de ceux-là. Lorsqu’il est nommé à Niamey en septembre 2022, l’une de ses premières décisions est d’annuler le visa de circulation pour la France du militant nigérien Maikoul Zodi, connu pour son engagement contre la présence militaire française au Niger. Très actif sur les réseaux sociaux, l’ambassadeur s’engage à tour de bras dans des échanges musclés contre Franklin Nyamsi, Nathalie Yamb, Kemi Seba ou encore le régime malien.

Son attitude querelleuse lui vaut d’être considéré lui-même comme un « troll français » par ses détracteurs. « Je suis dans l’œil du cyclone, car je suis pratiquement le seul diplomate à m’être engagé sur ce terrain. Que l’on me trouve un message où je suis agressif ou insultant. Que ça nous plaise ou non, une partie des opinions publiques se fait sur les réseaux sociaux. On peut s’en plaindre, mais il faut occuper cet espace. Le métier de diplomate a évolué », répond l’intéressé.

« Bien sûr, je réponds aux mensonges et aux invectives de Nathalie Yamb, qui voudrait que l’on me gi« e comme Emmanuel Macron. Mais je choisis l’ironie, l’humour. Si nous ne répondons pas, on nous accuse d’être hors-sol, de nous penser au-dessus de la mêlée. Si nous répondons, on trouve que c’est indigne d’un ambassadeur », ajoute-t-il.

Tradition de propagande

Entre communication positive et répliques au coup par coup, la stratégie du Quai d’Orsay peine encore à faire ses preuves. « Nous tâtonnons complètement », admet un diplomate. D’autant que le ministère des Affaires étrangères assure s’être fixé des lignes rouges, au risque de se pénaliser. « Nous ne mentons pas et nous ne payons pas pour que des tiers relaient nos informations. Nous nous interdisons de jouer à armes égales avec les Russes, sinon nous y perdrions notre âme », clame un diplomate, qui reconnait que dans la lutte d’influence que se livrent Moscou et Paris, cela revient à « courir avec les bras noués dans le dos et des boulets aux pieds ».

Pour la politologue et spécialiste de l’Afrique Niagalé Bagayoko, le rapport de force tient surtout à la caisse de résonance de chacun. « La force de la Russie est d’avoir réussi à avancer son propos par la voix d’opinions publiques africaines, sans jamais se retrouver à parler elle-même », avance la chercheuse. Effectivement, s’il s’est choisi des porte-voix influents, Moscou se met rarement en avant dans sa lutte informationnelle. « Quand la France fait passer ses messages par des voix officielles, la Russie utilise ses réseaux. Ce qui lui permet de perpétuer une vieille tradition de propagande », résume-t-elle.

Paris a pourtant bien essayé de gagner l’adhésion de faiseurs d’opinion. Notamment en organisant au mois d’octobre 2021 le sommet de Montpellier, au cours duquel Emmanuel Macron a échangé avec des représentants de la jeunesse africaine. Mais le rendez-vous n’a pas échappé aux critiques.

Jeune Afrique

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